Les cas de personnes âgées souffrant de détresse respiratoire aiguë se multiplient dans des hôpitaux franciliens débordés. Les Ehpad seront également confrontés à des décisions complexes.
Afin d’« aider les équipes à “inventer” une réponse à l’urgence imposée par l’épidémie de Covid-19 », un document a été diffusé le 19 mars aux établissements de l’AP-HP. Plusieurs options sont détaillées pour organiser la prise en charge des patients incurables et leur permettre « de finir leur vie le plus sereinement possible, ou tout au moins le moins mal possible, dans ce contexte exceptionnel ». Il suggère notamment que des unités de soins palliatifs temporaires soient créées « lorsque les capacités de services de soins qui accueillent les patients atteints du Covid-19 sont mises en difficulté ».
De tels services, déjà mis en place dans certains hôpitaux, ont pour objectif d’accueillir les patients qui ne peuvent pas être réanimés, et pour lesquels un retour à la maison ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) n’est pas possible. Afin d’aider les soignants des services de réanimation dans leur décision de récuser un patient, des « cellules éthiques de soutien » pourront être mises en place.
« Le risque de saturer les services »
A Saint-Antoine, une dizaine de médecins seniors issus de différentes spécialités vont par exemple être mobilisés pour apporter un regard extérieur sur une décision d’arrêt des traitements et contribuer au processus collégial prévu par la loi. « Dans des situations compliquées, ça peut être bien d’avoir une espèce de “sage” vers lequel se tourner, il s’agit de ne pas laisser les médecins réanimateurs prendre seuls le poids de décisions éthiques lourdes », explique Bertrand Guidet, chef du service de médecine intensive-réanimation à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, et coauteur d’une fiche méthodologique détaillant la prise en charge à l’AP-HP des malades du Covid-19 incurables.
Faute de place, certains patients ne pourront cependant pas être transférés à l’hôpital, et devront être pris en charge par les Ehpad. Or, rares sont les établissements en mesure d’accompagner 24 heures sur 24 un grand nombre de patients mourants. « On a un boulot énorme à faire dans les soixante-douze heures en Ile-de-France pour mettre en place des astreintes téléphoniques, avec des médecins qui pourront se déplacer », prévient Pauline Rabier-Lebrun, gériatre à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Sur les 70 Ehpad que compte sa zone, seuls 16 disposent d’une infirmière la nuit.
L’AP-HP devrait aussi mettre en service très rapidement une ligne téléphonique directe ouverte 24 heures sur 24. Des gériatres se relaieront pour aider les soignants des Ehpad dans leurs décisions. « Les médecins sont parfois dépassés quand il est question de limiter les soins car ils n’ont pas toujours les moyens − humains, en matériel et médicaments − pour que les fins de vie se passent dans de bonnes conditions. C’est une décision compliquée à prendre seul », explique Pierre Hausfater, chef du service des urgences de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
En milieu de semaine, un médecin d’un Ehpad voisin de l’hôpital l’a ainsi contacté pour lui demander conseil. « Il nous avait déjà adressé deux patients dans un état grave et s’interrogeait sur un troisième cas. Il avait besoin qu’on l’aide à prendre la décision de ne plus envoyer ses pensionnaires aux urgences, raconte le médecin. De notre côté, nous ne voulions pas prendre le risque de saturer les services alors que l’issue pour ces patients était connue. Il est évident que l’on préfère donner le maximum de chances à ceux dont on sait qu’ils vont pouvoir guérir. »
Cet accompagnement est d’autant plus important que les services de réanimation n’ont, certains jours, plus un lit disponible. « C’est dans ces situations qu’on doit anticiper sur des décisions d’admettre ou non des patients en réanimation », indique Pierre Hausfater, en rappelant que ce choix repose sur une évaluation du bénéfice-risque à laquelle les réanimateurs sont bien rodés.
« Situations bouleversantes »
Pour accompagner au mieux leurs résidents, certains Ehpad ont créé des unités Covid-19 dédiées. Mais, partout, les difficultés à trouver des renforts pour administrer des soins appropriés inquiètent. « Nous craignons de ne plus pouvoir gérer si le nombre de cas augmente », lâche Eric Pautas. Dans tous les secteurs hospitaliers, le manque de bras inquiète. Or, la prise en charge médicale de ces patients s’avère délicate. « Il s’agit de fins de vie difficiles sur le plan respiratoire. Cela peut être très spectaculaire, donc il faut savoir utiliser à bon escient les médicaments comme les sédatifs et la morphine », souligne le gériatre.
Il existe, selon lui, une grande disparité entre les établissements. « Les médecins qui ont l’habitude de travailler en lien avec l’hôpital sont mieux armés pour faire face à cette situation », avance-t-il. « Ce sera plus difficile pour ceux qui n’ont pas de référents. » Le document diffusé dans l’AP-HP souligne le risque psychologique pour les soignants des Ehpad, « qui vont être confrontés à la récurrence de situations singulières, complexes et bouleversantes ».
Le fardeau est d’autant plus lourd à porter que les visites des familles sont en principe interdites dans les Ehpad pour limiter au maximum le risque de contamination. « C’est une grande difficulté », admet Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP. « Il faudra peut-être (…), suivant les capacités des services, assouplir les règlements et rouvrir les portes de la chambre du patient à ses proches », avance le document de l’AP-HP, citant l’exemple de l’hôpital Avicenne, à Bobigny, où des externes ont été mobilisés afin d’aider les familles à s’habiller de blouses, surchaussures et charlottes. Cette opération, très chronophage, permet désormais aux proches des malades de venir, deux par deux, dire au revoir.
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