« L’épidémie rend tout le monde plus anxieux, parfois agressif », dans les centres où sont confinés les sans domicile fixe. Les salariés, eux, manquent de masques et de gel hydroalcoolique.
« Ils n’ont pas le droit de m’empêcher de sortir, c’est inhumain… Et je ne mangerai pas de leur merde ! » Pas facile de faire respecter le confinement à Suzanne (son prénom a été modifié), 60 ans. L’ancienne fonctionnaire des écoles qui s’est retrouvée à la rue après une expulsion pour dettes est, depuis octobre 2019, hébergée en centre d’urgence dans l’Est parisien. Elle n’ignore rien de la situation liée à l’épidémie de Covid-19 mais ne veut pas renoncer à son habitude : aller, chaque jour, déjeuner aux Restos du cœur de La Villette, un des rares encore ouverts.
Depuis le début de la crise sanitaire, Suzanne a pris en grippe les conditions de vie qu’elle appréciait pourtant lorsqu’elle est arrivée, il y a six mois. « On nous prend d’autorité la température, le centre ne nous donne pas toujours d’attestation de sortie, l’entrée est contrôlée, la grille fermée avec un antivol de moto et il y en a qui l’escaladent la nuit… Et quand on s’énerve, ils jouent au psychologue, ils nous font des tests. C’est du harcèlement moral », proteste-t-elle.
La tension devient forte dans certains centres d’hébergement d’urgence, ne serait-ce que pour les personnes déjà psychologiquement fragiles ou les accrocs au tabac et à l’alcool, des denrées devenues compliquées à acheter.
« Nous accueillons beaucoup de résidents avec des addictions et en tenons compte, quitte à leur procurer ce dont ils ont besoin, témoigne Béatrice Baal, directrice du centre Charles-Péan, de la fondation de l’Armée du salut, à Maromme, près de Rouen. L’épidémie rend tout le monde plus anxieux, parfois agressif, notamment la nuit, où nos veilleurs de nuit, très compétents et formés pour cela, doivent constamment désamorcer des conflits, calmer les angoisses et supporter les humeurs. Nous avons, malheureusement, dû supprimer toute vie collective alors que c’est ce dont les résidents ont besoin, et que le vivre-ensemble est le premier objectif de notre métier. »
« On manque de tout »
« La question des addictions revient fréquemment dans les centres d’hébergement d’urgence à tel point que nous devons, ici ou là, assouplir les règles, confirme Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Mais, je le redis, les gens ne doivent pas être enfermés, ils ne sont pas en prison. »
Du côté des salariés, travailleurs sociaux, cadres, personnel de ménage et de cuisine, le confinement est aussi éprouvant. Leurs effectifs sont réduits de 30 % à 40 % pour cause de maladie, de garde d’enfants ou de droit de retrait. « On manque de tout. Nos salariés ne sont pas protégés car il n’y a ni masque ni gel pour ces professionnels qui ne sont pas considérés comme prioritaires », déplore M. Gueguen, dont la fédération a passé une commande groupée de ces produits pour ses adhérents.
Jusqu’ici, l’épidémie est heureusement contenue : l’association Aurore, qui accueille 10 000 personnes dans 250 centres, en France, a recensé 200 cas de Covid-19, dont la moitié de salariés.
Assurer le suivi scolaire des enfants
Partout, on cherche d’autres façons d’organiser la vie des résidents désormais confinés dans leur chambre : jeux de société, lecture, films à regarder sur tablette… Pour les familles, la difficulté est d’occuper les enfants et d’assurer leur suivi scolaire avec les rares ordinateurs à disposition. Beaucoup d’entre elles sont logées en hôtel, à plusieurs dans une seule chambre.
« C’est dur mais on tient le coup, rassure Meriem, qui vit depuis des années avec son mari et ses trois enfants dans deux chambres de 9 m2 chacune d’un hôtel parisien. Pour les devoirs, je reçois sur mon téléphone portable les mails de la maîtresse et je les recopie sur un agenda. Les enfants s’occupent en participant à la préparation des repas et nous avons reçu de l’aide du Samusocial de Paris sous forme de colis alimentaires et de chèques services. »
Le gouvernement a, en effet, débloqué 15 millions d’euros pour la distribution, par les associations, de tickets services à utiliser selon les besoins d’hygiène et d’alimentation dans les magasins de son choix.
A cinq dans une chambre de 19 m2 d’un hôtel de la banlieue parisienne, une famille originaire de Géorgie, dont le père, intérimaire dans le bâtiment, est privé de chantier, doit se frotter à l’hostilité des gardiens de l’établissement. « Ils nous insultent et se montrent violents avec les femmes. Heureusement, nous sommes solidaires entre voisins, nous nous entraidons et partageons, par exemple, les informations sur les distributions de colis alimentaires ou de tickets services », explique-t-il.
Destruction d’un bidonville à Montreuil
Le quotidien est rendu encore plus rude par l’épidémie dans les 413 campements et squats de France où, selon le dernier recensement, en janvier 2020, par la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement, vivent 19 000 personnes. « Nous nous rendons dans les campements pour alerter sur les risques d’épidémie et traduire les règles d’hygiène à ces populations très stressées qui, d’ailleurs, respectent le confinement et n’osent plus se déplacer, raconte Arnaud Pavy, de l’association Première Urgence internationale. La difficulté première est l’accès à l’eau. »
La crise du coronavirus a aussi eu pour conséquence de précipiter le retour au pays de nombreux Roms. A Montreuil (Seine-Saint-Denis), l’annonce du confinement a vidé deux campements, et deux autres à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne). Première Urgence internationale s’est, avec d’autres associations dont Médecins du monde, indignée de la destruction du bidonville des Acacias, à Montreuil, juste après le départ de la quasi-totalité de ses 350 occupants.
« Nous avons en effet, pour sécuriser le site et parer au risque d’atteinte à la santé publique, envoyé les bulldozers mais après avoir relogé les dix personnes encore sur place, explique Gaylord Le Chequer, adjoint au maire chargé de l’urbanisme de la ville de Montreuil. Nous n’avons jamais demandé l’évacuation de ce campement qui est là depuis 2014, malgré la demande pressante de riverains ou du promoteur Nexity, qui doit y ouvrir un chantier. Nous avons, au contraire, supplié l’Etat de remplir ses obligations d’hébergement et de missionner une association pour effectuer un diagnostic social avant le relogement, scolariser les enfants et fournir une aide sanitaire. »
Des besoins qui restent d’actualité, malgré la crise. « Il y a certes des départs vers la Roumanie mais les familles les plus ancrées, celles présentes en France depuis longtemps, sont toujours là », constate Nicolas Clément, du Secours catholique.
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