Par Cédric Mathiot 2 avril 2020
Hôpital Louis Pasteur, Colmar, le 26 mars 2020. Sébastien Bozon. AFP
L'Insee et Santé publique France communiquent depuis quelques jours des chiffres sur la surmortalité potentiellement liée au Covid-19. Mais le recul manque encore pour mesurer l'impact de l'épidémie.
Bonjour,
De nombreux lecteurs nous ont demandé si l’épidémie de Covid-19 avait un impact mesurable sur le nombre de décès en France. Pour avoir un ordre d’idée, il y a eu, en 2019 (les chiffres varient d’année en année), 610 000 décès en France. Soit une moyenne de 1 670 par jour.
Ce sujet d’une éventuelle surmortalité liée au Covid-19 fait partie du suivi de l’épidémie en France. A terme, ce sera sur la base de ces données (davantage que sur le décompte en temps réel que les autorités tentent de faire actuellement) qu’on pourra se faire une idée du bilan de l’épidémie en France. Mais le recul est encore insuffisant pour avoir des statistiques et les interpréter. Même si des premiers chiffres circulent.
La première source est l’Insee. Face au Covid-19, l’institut statistique a mis en place un dispositif d’information exceptionnel, «consistant à diffuser chaque semaine le nombre de décès quotidiens enregistré dans chaque département, afin de contribuer en toute transparence à la mise à disposition de données pendant l’épidémie de Covid-19». L’Insee effectue des comparaisons avec les deux années précédentes. La première note sur le sujet a été publiée le 27 mars.
Sur les seize premiers jours de mars : plus de décès en 2018 et 2019 qu’en 2020
Ce travail se heurte à un écueil : les données ne peuvent être obtenues en temps réel. L’Insee dispose ainsi du nombre de décès quotidiens (des données encore provisoires) avec onze jours de décalage. Les mairies ont légalement une semaine pour transmettre les décès à l’Insee, mais il faut y ajouter le temps de la transmission par voie de courrier pour les décès (certes marginaux) qui sont encore communiqués par ce canal. En se basant sur les seuls décès transmis par voie dématérialisée (environ 90% des décès étaient transmis ainsi en 2019), l’Insee parvient à réduire le décalage à sept jours. Des chiffres un peu plus récents, mais qui posent un problème : la comparaison d’une année sur l’autre du nombre de décès enregistrés par voie dématérialisée peut-être biaisée par le fait que ce mode de transmission tend a augmenter d’année en année. Une hausse statistique peut ainsi traduire une modification de l’usage (généralisation de la dématérialisation), et pas une hausse du nombre de décès à proprement parler. Ce qui explique que l’Insee communique plus volontiers sur l’ensemble des décès (transmission papier et numérique) pour laquelle les données sont plus comparables. Mais avec une dizaine de jours de retard, donc.
Au niveau national, écrit l’Insee, le nombre de décès survenus entre le 1er et le 16 mars 2020 est inférieur aux décès survenus entre le 1er et le 16 mars 2018 ou en 2019. Ainsi, entre le 1er et le 16 mars 2020, 26 900 personnes sont décédées, contre, sur la même période, 28 600 en 2019 et 32 900 en 2018.
Il y a donc eu, sur la première moitié du mois de mars, moins de décès en 2020 qu’il n’y en avait eu en 2019, et surtout en 2018. La mortalité élevée en 2018 tient à l’épidémie de grippe qui avait été exceptionnellement longue à l’hiver 2017-2018.
Une autre explication tient au fait que l’impact du Covid-19 sur la mortalité en mars 2020 s’est encore peu fait ressentir sur la période étudiée par l’Insee. Si on se réfère aux données officielles (certes incomplètes) du nombre de morts du Covid-19 en milieu hospitalier, il n’y avait ainsi, au 16 mars, 148 décès, contre plus de 4000 aujourd’hui. Nous n'étions alors qu’au stade précoce (relativement à aujourd’hui) de l’épidémie. La comparaison de l’Insee porte donc sur une période où le nombre de décès liés au Covid était encore faible. Les prochaines publications de l’institut statistique devraient être sensiblement différentes.
Hausse de 38% des décès dans le Haut-Rhin
Une approche départementale permet toutefois à l’Insee de noter d’ores et déjà quelques évolutions dans les territoires qui ont été précocement touchés par l’épidémie.
Si aucune différence notable n’est à relever dans l’immense majorité des départements, certains enregistrent davantage de décès en 2020 qu’en 2019 (et aussi 2018, pourtant marquée, donc, par une très forte mortalité à cette période de l'année). L’Insee remarque que c’est notamment le cas dans les zones qui ont été les premières touchées par l’épidémie de Covid-19. Entre le 1er mars et le 16 mars 2020, le nombre de décès enregistrés dans le Haut-Rhin est de 38% supérieur à ceux enregistrés sur la même période en 2019 (et de 10% par rapport aux décès de 2018) ; l’augmentation est également de 31% en Corse du Sud (9% par rapport à 2018) et 14% dans l’Oise (6% par rapport à 2018).
Attention, l’institut statistique précise qu’il ne s’agit pas d’une estimation de la surmortalité liée au Covid-19. Pour le dire autrement : dans le Haut-Rhin, la hausse de 38% correspond à une augmentation de 115 décès entre la première quinzaine de mars 2019 (302 décès) et celle de 2020 (417 décès). S’il y a un effet Covid très probable, cela ne veut pas dire forcément que ces 115 décès sont tous imputables au Covid-19. D’autres facteurs que le Covid-19 peuvent influer sur la mortalité. On peut d’ailleurs constater que le nombre de décès sur la première quinzaine de mars est également nettement supérieur en 2020 à ce qu'il était en 2019 dans deux départements, la Creuse (+17%) et les Deux-Sèvres (+27%), où le nombre de morts liés au Covid est pour l’heure très faible (respectivement 0 et 2 décès au 1er avril). L’Insee précise dans sa note que l’estimation de la surmortalité liée au Covid-19 nécessitera la mobilisation de modélisations économétriques mises en œuvre par Santé publique France. Ce qui permettra de voir, au-delà des chiffres bruts, quelle part peut en être imputée à l’épidémie.
Surmortalité de 13% au niveau national sur la semaine du 16 au 22 mars
Lors de son dernier point presse consacré au Covid-19, mercredi soir, le directeur général de la Santé Jérôme Salomon a donné un chiffre qu’on ne retrouve pas dans la publication de l’Insee, évoquant une surmortalité en France de 13% sur la semaine 12 (qui correspond à la semaine du 16 au 22 mars). Ajoutant que 22 départements étaient concernés par cette surmortalité. Traduction : il y a eu, entre le 16 et 22 mars, 13% de morts en plus qu’attendu (sur la base des statistiques des dernières années). Une hausse que, là aussi, on ne peut encore attribuer avec certitude au seul Covid-19.
Ces données proviennent d’une autre source, l’agence Santé publique France, qui se base aussi sur les données les plus récentes de l’Insee, celles transmises par voie dématérialisée. Santé publique France construit ses statistiques à partir du nombre de décès dans 3 000 communes. Ces communes sont choisies notamment parce qu’elles pratiquent la transmission dématérialisée depuis plusieurs années. Ainsi, la comparaison d’une année sur l’autre n’est a priori pas polluée par une variation du taux de recours à la dématérialisation. Ce qui permet de traiter des données plus récentes que l’Insee (avec un retard de «seulement» sept jours).
Ce qui explique que Santé publique France conclut, au niveau national, à une surmortalité, là où l’Insee (qui arrêtait ses chiffres au 16 mars) n’en voyait pas : Santé publique France retient une période de comparaison plus tardive dans le mois, donc un peu plus affectée par l’effet Covid-19 (l'épidémie se propageant de manière exponentielle). Et ce, même si cette semaine 12 correspondait encore à un faible nombre de morts de la maladie, comparativement à aujourd’hui (632 morts en milieu hospitalier au 22 mars, contre plus de 4 000 au 1er avril). Autant dire qu’il y a de fortes chances que les chiffres de surmortalité communiqués dans les semaines à venir soient d’un autre ordre de grandeur. Il faudra attendre le milieu de semaine prochaine pour avoir les données de surmortalité sur la fin du mois de mars.
Les certificats électroniques du CépiDC
Un dernier acteur permet à Santé publique France d’avoir des informations sur les personnes décédées. Il s’agit du CépiDC de l’Inserm, qui informe sur les causes des décès, via la certification électronique des décès. «La certification électronique des décès (via CertDc), explique à CheckNews Grégoire Rey, directeur du CepiDc de l’Inserm, permet d’avoir des données en temps réel, dès que le médecin a validé un certificat de décès. Notre statistique complète celle de l’Insee parce qu’elle est plus réactive, et parce que nous avons les causes de décès. Nous pouvons donc spécifiquement suivre la mortalité par Covid-19, mais aussi connaître les causes des potentielles autres hausses de la mortalité.» Cette source d’information en temps réel ne concerne toutefois qu’environ 20% des décès. «Elle ne couvrait que 18% de la mortalité totale en 2019. Environ 90% des certificats de décès électroniques proviennent des établissements hospitaliers, et seulement 7% des Ephad. Mais cela va évoluer très vite. La DGS vient de transmettre mardi matin des instructions à toutes les Agences régionales de santé (ARS) et tous les établissements médico-sociaux (y compris les Ehpad) pour un déploiement en urgence. Nous avons eu depuis beaucoup de demande de raccordement. Seuls les médecins de ville vont encore être en difficulté pour utiliser CertDc (web ou mobile), car ils doivent imprimer et transmettre un papier à l’état civil dans la plupart des communes.» Ces informations permettront, non pas de mesurer la hausse de la mortalité, mais de l’interpréter, en en renseignant le causes. Un des enjeux sera notamment de voir si le Covid-19 a aussi pu influer indirectement sur la mortalité, en compliquant, en raison de la saturation du système de santé, la prise en charge de malades souffrant d’autres affections.
En résumé : l’Insee, en comparant la période du 1er au 16 mars (période où la France était encore peu affectée par l'épidémie), ne note pas de surmortalité au niveau national, mais pointe en revanche une hausse de décès dans quelques départements précocement touchés par l’épidémie. Santé publique France, en se focalisant sur la période plus récente du 16 au 22 mars, note une surmortalité de 13% au niveau national. Cette hausse de la mortalité devrait être plus forte dans les semaines à venir. Des études, notamment fondées sur les informations du CepiDC concernant les causes de décès, permettront d’interpréter la hausse et de connaître la part de cet excès de mortalité liée à l’épidémie de Covid-19.
Cordialement
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