Les psychologues et psychiatres s'organisent sur le terrain et via des cellules d'écoute téléphonique pour apporter un soutien moral aux médecins, infirmières et autres personnels de l'hôpital sous pression face à l'épidémie de Covid-19.
Jusqu’à 150 appels par jour. L’activité de la plateforme de soutien psychologique aux soignants de l’association Soins aux professionnels de santé (SPS) (1) a été multipliée par 30. D’habitude, ces appels concernent surtout l’épuisement professionnel. Maintenant «il s’agit de l’anxiété liée au coronavirus : la provenance de nos appels suit l’évolution géographique de l’épidémie, nous avons 30% d’appels de l’Ile-de-France et 20% provenant du Grand-Est», explique l’association.
Mais la prise en charge des soignants sous pression commence dans les services hospitaliers. Les psychologues habituellement dédiés aux patients passent désormais leur temps auprès de leurs collègues. En première ligne face à l’épidémie de Covid-19, les soignants trinquent. Il s’agit surtout d’angoisse : peur pour soi, crainte de contaminer ses proches, fatigue, stress des réorganisations permanentes pour s’adapter à une crise que personne n’arrive vraiment à prévoir, colère face au manque de moyens…
«Chaque site a monté ses dispositifs d’aide en s’appuyant sur une solidarité et un volontarisme exceptionnel des équipes», explique Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat à Paris. Dans cet hôpital, un lieu d’accueil pour les personnels a ouvert «pour qu’ils puissent parler, se décontracter». Dans les Hauts-de-France aussi, les psys s’organisent pour être disponibles au plus près des équipes sursollicitées, comme les services d’urgences et de réanimation.
«C’est l’inconnu»
Au-delà de ces actions de terrain, des cellules d’écoutes téléphonique ont été mises en place, par la SPS, donc, qui existe depuis 2016, mais aussi par le conseil national de l’ordre des médecins, par la Croix-Rouge et le réseau national de l’urgence psychologique, par la Société française de psychologie analytique (SFPA) ou encore à l’échelle régionale.
Une ligne d’écoute téléphonique a ainsi été lancée le 19 mars dans les Hauts-de-France. Elle est coordonnée par Frédérique Warembourg, psychiatre au CHU de Lille : «Nous avons reçu une quarantaine d’appels pour le moment. Nous sommes ouverts à tout le personnel hospitalier et nous allons étendre le dispositif aux médecins généralistes.»
Mais, là aussi, les équipes font face à l’inconnu. «Nous savons que nous allons devoir tenir dans le temps mais nous ne savons pas combien de temps. Dans le cas d’un attentat, nous savons que le dispositif dure un mois. Là c’est l’inconnu, et la question du suivi de nos patients habituels va se poser», poursuit-elle.
Multiplicité des plateformes d’écoute
En complément des initiatives de terrain, l’AP-HP a également lancé une cellule d’écoute coordonnée par la psychologue Véronique Le Goanvic et Michel Lejoyeux. «Nous recevons dix à quinze appels par jour, précise ce dernier. La moitié provient d’infirmiers, aides-soignants, personnels administratifs. La réponse apportée n’est pas nécessairement psychologique. Parfois nous les mettons en contact avec un infectiologue pour répondre à leur question.»
La solitude des patients, l’une des particularités de cette crise, pèse particulièrement sur les équipes. En l’absence de la famille, c’est tout le rapport de l’équipe soignante au patient qui change. Et en cas de décès, les personnels sont pris entre la nécessaire rapidité pour libérer un lit, prévenir la famille par téléphone et la difficulté d’accepter eux-mêmes la tristesse de la disparition.
Laurence Druet est psychanalyste. Elle a reçu un appel d’une infirmière via la SFPA. «Elle avait besoin d’exprimer un trop-plein. Trop de malades, trop de situations inédites, trop de changements rapides, trop d’émotions trop diverses… L’appel lui a aussi permis de partager des expériences vécues qu’elle ne pouvait pas dire à ses proches».
Face à la crise, Michel Lejoyeux pense que la multiplicité des plateformes d’aide est plutôt une bonne chose : «Personne n’a raison tout seul. Ce qui se fait au niveau local est très pertinent mais il faut respecter les différents canaux. L’important c’est que les personnes qui en ont besoin trouvent la porte qui leur correspond.»
D’autant plus que le besoin de prise en charge pourra évoluer avec le temps. Quand la crise prendra fin, et que le pays sera soulagé, voire joyeux, les soignants pourraient connaître un contrecoup de leur engagement. «Pour le moment, les personnes qui nous appellent expriment de l’angoisse face au virus, de la colère contre le manque de moyens. Nous n’avons pas à gérer des appels en post-traumatique, après un décès ou autre. Ils sont gérés en interne. Mais ce sont des personnes que nous verrons peut-être faire appel à nous dans deux ou trois mois», prédit Eric Henry, président de SPS.
(1) La plateforme de l’association est joignable au 0805.23.23.36
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