Edouard Philippe après le Conseil des ministres vendredi. Photo Christophe Ena.Pool. Reuters
Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour «Libération», il tient la chronique quotidienne d'une société sous cloche à l'heure du coronavirus.
Vous êtes confinés. Le temps s’écoule avec une infinie lenteur. Les soignants courent. Ceux qui affrontent la vague, comme ceux qui ont eu la chance de pouvoir se préparer, en structurant une ligne de défense avec les moyens du bord. On est sur le pont tout le temps, même quand on ne voit pas de malades. On s’informe de la progression de l’épidémie, on reçoit les messages des copains en fonction du taux de remplissage des urgences, des lits, des réa. De temps en temps, on est saisi par le tweet ou le message retransmis d’une infirmière de nuit bossant avec 39°C dans un service submergé, dans l’incapacité de s’arrêter parce que les effectifs tombent comme des mouches. On prend le temps de relire, on visualise un moment la situation sur place puis on revient à sa propre organisation locale, on empile d’autres sacs de sable.
Le Covidrome est prêt, on a reçu les premiers patients, procédé à quelques aménagements. L’hôpital auquel on est adossé n’a pas eu à ouvrir de lits supplémentaires ce week-end, c’est déjà ça. Un industriel local nous a offert de premiers prototypes d’écrans antipostillons sortis de son imprimante 3D. Un collègue m’a demandé si je pouvais lui envoyer les blouses en plastique qu’on m’avait déposées mercredi, pour équiper SOS Médecins et les aides soignantes dans son coin. On se démerde, on s’entraide, les patients, les citoyens, donnent ce qu’ils ont : masques, équipements. Je n’ai toujours rien reçu du gouvernement français à part une boîte de 50 masques chirurgicaux il y a trois semaines, une éternité.
Pas le temps de compter les conneries tant elles s’accumulent
Et pendant ce temps, les conseillers de Macron essaient de le faire passer pour un roi thaumaturge, tandis qu’il fait son show sur la résilience en cosplay Clemenceau derrière son masque canard. On n’a pas le temps de compter les conneries tant elles s’accumulent. «Certains de ceux qui ont tenu les bureaux de vote au premier tour des municipales sont en train de mourir», m’écrit une consœur de la région parisienne. Et Edouard Philippe, royal, avec son «Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement». On ne sait pas où commencer, mon pauvre. Comme on dit chez nous, «il n’y a rien qui va dans ce tweet». Cette posture de matamore ridicule serait presque touchante. Vous n’avez pas encore compris comment ça va finir vos bravades ? «Qu’ils viennent me chercher !» et ensuite t’es obligé d’envoyer la troupe sur la populace tous les samedis… Tu n’as pas à laisser dire ou pas. «Ne parlez pas de violences policières. Ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit.» On n’est pas dans 1984 et tu n’es pas au Ministère de la Vérité. Tu es sur le radeau de la Méduse où ça refoule la transpète. Parce que pendant que vous envoyiez les Français voter, nous avons été nombreux, soignants de tous bords, à crier que c’était une folie et qu’il fallait rester chez soi.
Regarde les hommes tomber, Edouard. Je sais que c’est dur, mais il va falloir t’y habituer. Ça s’appelle être responsable de ses paroles et de ses actes. J’ai lu que vous redoutez de devoir rendre des comptes. Mais enfin, comment te dire : dans quel monde vivez-vous ? Nous, nous rendons des comptes tous les jours. Les travailleurs dans les usines, les artisans, les fonctionnaires, les médecins, tout le monde. Bienvenue dans le monde réel, celui où vos paroles ont des conséquences. Comme quand tu expliques que pour aller chez le médecin, il faut une convocation. Et qu’on voit les patients non Covid, inquiets, déserter les cabinets. Au point que l’Association d’aide aux jeunes diabétiques est obligée de passer des messages expliquant qu’un enfant peut débuter un diabète à n’importe quel moment, même pendant une épidémie. Dingue, non ? De même que les péritonites, étranglements herniaires, infarctus et autres dissections aortiques ne vont pas faire relâche parce qu’il y a Covid.
Nous, médecins, nous savons tous qu’une épidémie tue aussi des gens qui n’ont pas été infectés, parce qu’ils remettent à trop tard leur accès aux soins. Dis-le, la prochaine fois, Edouard : «Vos médecins ont dans leur majorité pris des mesures d’hygiène et de sécurité. En cas de doute n’hésitez pas à les contacter.»
Dis-le aux Français, Edouard. Dis-le. Circonstances atténuantes, tout ça, tout ça. Ça peut toujours servir.
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