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mardi 31 mars 2020

«Le coronavirus aura un effet dévastateur quand on fera le décompte des morts de la rue»

Par Sylvain Mouillard — 
Des SDF trouvent refuge sous la gare de Lyon, à Paris, en février 2018.

Des SDF trouvent refuge sous la gare de Lyon, à Paris, en février 2018. Photo Cyril Zannettacci pour Libération

Le collectif «Les morts de la rue» rend ce mardi son hommage annuel aux 569 personnes sans domicile décédées en 2019. Un chiffre largement sous-estimé.

La cérémonie devait se dérouler dans le square Serge-Reggiani, situé dans le XIXarrondissement de Paris. Une liste de 569 noms égrenée pour rendre hommage aux «morts de la rue» de l’année 2019, tout à la fois pour «interpeller les pouvoirs publics» mais aussi donner une identité à ces personnes sans-domicile et «faciliter le deuil» de leurs proches, familles, amis et voisins… En conclusion, des pétales de fleurs devaient être jetés dans le canal de l’Ourcq. Mais le confinement décidé pour lutter contre l’épidémie de coronavirus est venu mettre à mal les plans du collectif «Les morts de la rue», créé en 2002 par des travailleurs sociaux et des personnes sans logis. «On a envisagé de reporter notre hommage annuel, mais avec une grande inconnue sur la date à laquelle il pourrait avoir lieu, confie Cécile Rocca, la coordinatrice. Finalement, on a opté pour une cérémonie virtuelle.»

C’est donc sur Internet que les interventions se succéderont à partir de 9 heures du matin ce 31 mars. Une vingtaine de vidéos seront publiées sur la plateforme YouTube, mêlant courtes interventions de bénévoles et lecture des identités des 569 personnes sans domicile mortes l’année dernière en France. Un chiffre très en deçà de la réalité, selon Cécile Rocca. D’abord car d’autres décès ont été communiqués après l’arrêt du décompte. Mais aussi parce qu’aucun suivi exhaustif du phénomène n’est tenu par les autorités. D’après une étude réalisée par le collectif il y a quelques années, «on estime que notre bilan annuel ne correspond qu’à 20 % des personnes perdant la vie à la rue», dit-elle.
Une donnée, cependant, ne change pas : l’âge moyen des disparus. En 2019, il est de 50 ans, comme les années précédentes«C’est trente années plus tôt que la moyenne nationale, regrette la coordinatrice. Le phénomène est très visible, mais il manque la volonté politique pour s’y attaquer.»

«J’aurais dû et pu mourir mille fois»

Un sentiment partagé par Ervé, bientôt 48 ans, à qui Libération avait déjà donné la parole. L’homme a passé l’essentiel de ses vingt dernières années à la rue. «Le slogan selon lequel il faut "penser" aux personnes SDF, je ne peux plus l’entendre, peste-t-il. Maintenant, il faut agir.» Ce Nordiste d’origine, qui a fait du quartier du Canal Saint-Martin son «coin» depuis une paire d’années, est parti sur la Côte d’Azur il y a quelques semaines pour un petit boulot. Il y est encore, confinement oblige, hébergé par des amis qui lui ont tendu la main.
Dans le court texte qu’il a enregistré face caméra, Ervé leur rend hommage, ainsi qu’à «toutes celles et ceux, qui depuis des années, me soutiennent personnellement, m’épaulent et, à travers moi, le feront aussi pour d’autres. J’aurais dû et pu mourir mille fois, mais je suis là, triste, en colère et dévasté en écrivant ces lignes et en pensant au décompte qui sera fait de cette année 2020 qui commence par un drame sanitaire qui touche tout le monde, les personnes SDF inclues».

Errance et solitude renforcées

Le coronavirus, assure-t-il, est un fléau pour les gens vivant sur un bout de trottoir. Verbalisations par les agents de police pour absence d’attestation, maraudes restreintes, distribution de repas ralenties, Ervé redoute «un effet dévastateur quand on fera le décompte des morts de 2020». Il en vient même à se «sentir coupable» de ne pas être à Paris, au côté de ses camarades de bitume qui souffrent. «Je n’ose imaginer la difficulté si tu chopes ce virus tout en étant dehors, alors que ton état de santé est déjà très fragile.»
Cécile Rocca appuie : «Le Covid-19 met beaucoup de gens dans une galère noire, car les rues sont désertes à cause du confinement. La manche est en berne, les invendus des supermarchés ne sont plus distribués. Cela risque de renforcer l’errance et la solitude.» Avec ses mots, Ervé conclut : «Honorons ces morts, prenons soin des vivants.»

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