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mardi 31 mars 2020

«Pendant cette période, il faut maintenir les liens le plus possible»

Par Sibylle Vincendon — 
La semaine passée, l’angoisse a été le cinquième diagnostic le plus posé par SOS Médecins.
La semaine passée, l’angoisse a été le cinquième diagnostic le plus posé par SOS Médecins. Photo Clémence Losfeld. Hans Lucas

Jean-Dominique Nicolas est psychiatre et a été médecin en sous-marin où les équipages vivent parfois confinés plus de deux mois. Il décrit à «Libération» les ressorts psychologiques d’une telle épreuve.

Psychiatre, Jean-Dominique Nicolas a été médecin généraliste à bord des sous-marins de la marine française entre 1991 et 1998. Le confinement vécu par les équipages pendant des missions de soixante-dix jours sans aucun contact avec l’extérieur est assez lointain de ce que vivent les populations contraintes à rester chez elles partout dans le monde. Mais ces situations donnent aussi des clés pour comprendre ce que nous traversons.
Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience des sous-mariniers pour notre propre confinement ?
On peut tirer des enseignements intéressants de toutes les situations de confinement, celle des sous-marins mais aussi celles des hivernages des stations de l’Antarctique en terre Adélie où de petits groupes de personnes sont confinés pour des durées assez longues, pour des missions scientifiques. Ou encore, des séjours dans la Station spatiale internationale. Mais la différence entre ces situations et celle des sous-marins, c’est que les sous-mariniers ne peuvent pas communiquer avec l’extérieur.
Tandis que nous, nous pouvons communiquer…
Nous devons le faire même. Quand on est confiné, on ne voit plus la famille, les amis. Or, il faut maintenir les liens le plus possible. Dans un premier temps, on va le faire facilement, c’est nouveau, un peu bizarre, on a envie de partager. Mais il faut tenir dans la durée. Si le confinement, l’isolement, doivent se poursuivre, il faut s’imposer de prendre des nouvelles régulièrement. D’autant plus que tout le monde ne vit pas le confinement de la même façon : si l’on télétravaille avec pas mal de choses à faire, on peut ne pas trop voir le temps passer. Mais les gens qui cumulent le confinement et l’isolement ont absolument besoin de ce contact.
Les chaînes de télé, les radios multiplient les contacts avec les gens via les réseaux sociaux autour du Covid-19. Peut-on considérer cela comme une forme de communication ?
L’information en continu, qui se répète en boucle, avec le ressassement du nombre des victimes ou des morts, n’est pas une aide au plan psychologique. On peut avoir tendance à entrer dans une fascination qui risque de devenir néfaste. C’est bien de rester informé, c’est important, mais il faut donner un sens à cette information.
Le confinement a d’abord été annoncé par le gouvernement à quinze jours, puis quinze autres et il est probable qu’il atteigne six semaines. Comment tenir dans la durée ?
En ayant des activités les plus variées possible et en s’imposant un programme pour la journée. Il faut faire du sport mais aussi s’exposer à la lumière du jour, notamment le matin, car c’est un régulateur essentiel de notre rythme veille-sommeil. Le temps des repas est important, encore plus que d’habitude. Il faut que tout le monde soit présent autour de la table, ensemble, et si on peut se faire un peu plaisir dans le menu, c’est encore mieux. Il faut aussi garder des rythmes habituels, avec un programme différent pour le week-end, une soirée cinéma avec un film qui plaît à tout le monde, par exemple. Au-delà, c’est bien aussi de se fixer un objectif pour ce temps de confinement : ranger sa maison, rattraper des lectures…
Et côté rapports humains ?
Il faut faire très attention à la manière dont nous échangeons entre nous. Quand quelqu’un ne va pas bien, cette personne est moins en situation d’être attentive aux autres. J’ajoute que quand on est confiné, il est essentiel que chacun ait un espace d’intimité. Même dans un sous-marin, cet impératif est respecté. Pour les adolescents, c’est capital.
On peut tenir six semaines et peut-être davantage, avec ça ?
Ce qui permet aux sous-mariniers et aux professionnels de tenir, c’est que le confinement ait du sens. C’est la mission à accomplir. On le fait parce que c’est nécessaire. Notre confinement est nécessaire pour lutter contre l’épidémie, il va permettre de sauver des vies. Même aux enfants, on peut expliquer que l’on reste à la maison pour protéger les autres. On participe à quelque chose qui soutient l’ensemble de la communauté.
S’agissant des sous-mariniers, qui partent en mission pour soixante-dix jours, vous évoquez le syndrome du J-40, une sorte de déprime au 40e jour. Allons-nous avoir notre J-40 ?
Dans un sous-marin, la première moitié du trajet, on fait avec. Passé la moitié, on se dit qu’on se rapproche du retour mais en même temps, il y a encore une moitié du chemin à faire. Cela crée un moment où l’on se sent moins bien, variable selon les personnes. Pour gérer la durée, il est important de savoir quand le confinement se finit. Je pense que quand les premières annonces du Président ont porté sur deux semaines, nous avions probablement tous en tête que cela durerait plus longtemps. Si l’on se rend compte que le confinement devra durer trois mois, ce sera plus difficile à vivre. Mais cela, personne ne le sait. Tout dépend de l’épidémie.
Peut-on anticiper l’après-confinement ?
Quand ils reviennent à terre, les sous-mariniers ignorent certains événements qui se sont passés pendant leur absence. Mais ce n’est pas parce que nous, nous savons tout ce qui se passe, que cela sera sans conséquence. Les liens dans les couples et les familles pourront en sortir plus resserrés ou au contraire s’altérer et conduire à des divorces comme en Chine. Même si nous sommes confinés pour nous protéger de la maladie, il y a et il y aura encore des décès. Pendant ce confinement, les proches ne peuvent pas accompagner leurs morts comme ils le souhaitent. Cela risque de rendre le deuil plus difficile à faire. Une cérémonie ultérieure ne remplacera pas ce qui aurait pu se passer sur le moment. Le deuil risque de se faire en deux temps : un deuil à distance pendant le confinement, puis la difficile prise de conscience de l’absence de la personne au quotidien, lorsque nous pourrons reprendre nos activités habituelles. Dans le travail, le confinement aura changé la donne, certains se seront épanouis dans le télétravail, les rapports avec la hiérarchie se seront modifiés. Il y aura des conséquences économiques et nous aurons peut-être le sentiment que des choses qui nous semblaient essentielles ne le sont pas tant que ça. Tout dépendra de la façon dont le confinement se sera passé au niveau individuel, mais dans l’ensemble restera le soulagement d’avoir traversé une épreuve inédite.

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