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CHRONIQUE «AUX PETITS SOINS»
Au centre psychiatrique du Bois de Bondy (Seine-Saint-Denis), le 7 mai. Photo Loïc Venance. AFP
Contraint par le Conseil constitutionnel, le gouvernement a glissé dans le projet de loi de finances de la Sécu un nouveau cadre juridique permettant de régulariser la contention et l'isolement en milieu psychiatrique, mais sous le contrôle du juge.
C’était une belle occasion pour en débattre, du moins pour s’interroger sur des pratiques de plus en plus étendues en psychiatrie : la contention (c’est-à-dire le fait d’attacher un patient) et l’isolement. Le Conseil constitutionnel a, en effet, rendu un avis très ferme l’été dernier : faute de la présence d’un juge, les recours à l’isolement et la contention seront interdits. Les sages donnent au gouvernement jusqu’à la fin 2020 pour définir un cadre juridique, faute de quoi l’interdiction entrera en vigueur.
«Cela se fait, sans trop s’interroger»
Curieusement, cet avis de la haute juridiction n’a donné lieu à aucun débat, aucun échange, aucun témoignage. Comme si cette question ne méritait pas qu’on s’y attarde. Et bizarrement, c’est dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) que se sont glissés quelques articles de loi pour fixer les nouvelles règles. Cette absence de discussion est d’autant plus dommageable que ces dites pratiques sont pour le moins problématiques. «Attacher et isoler, voilà deux attitudes aux antipodes du lien de confiance que nécessite la relation thérapeutique», note dans son livre, non sans bon sens, Yves Gigou, ancien infirmier psychiatrique (1).
Or, en France, ces méthodes sont présentes un peu partout, se sont développées discrètement dans le silence des hôpitaux, loin des regards extérieurs, et se sont «banalisées», comme le déplorait Adeline Hazan, ancienne contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Dans son rapport annuel, elle dénonçait, avec inquiétude, une sorte de recours habituel à ces mesures dès lors qu’il y avait un peu de tension dans un service : «Et cela se fait, sans trop s’interroger, banalement, dans une sorte de grande fatalité.» Ainsi, on attache, on isole, on referme la porte, et dans certains cas cela peut durer des jours, voire des semaines. «Ce qui est impressionnant, analysait Adeline Hazan, c’est que dans un même hôpital psychiatrique, un service pouvait y avoir recours de façon massive, et juste à côté un autre service ne jamais s’en servir. C’est de fait très arbitraire, et c’est bien cela qui nous interroge.»
Absence cruelle de moyens
En écho, des associations de malades pointaient le caractère «violent» et «destructeur» de ces pratiques pour le malade. «Etre attaché ou isolé… Le malade le prend comme une punition», notait, avec effroi, Tim Greacen, représentant des usagers. Quant au personnel soignant, souvent dépassé, souvent seul face à des situations délicates, il mettait en avant l’absence cruelle de moyens pour justifier l’usage de ces mesures.
Dans la loi pourtant, un amendement voté en 2015 avait cherché à donner un cadre à ces pratiques. «J’ai hésité à le déposer, nous expliquait alors le député Denys Robiliard, député socialiste de Blois, car il y avait un risque du même coup de légitimer ces pratiques. Mais il fallait donner un signal d’alerte. Dans l’amendement, on parle de pratiques de dernier recours, et on encadre sévèrement.» Ainsi, seul un médecin pouvait le prescrire, et il y avait obligation toutes les 12 heures et 24 heures de dire s’il y avait lieu de prolonger ou pas ces mesures. Ces garanties n’ont pas suffi aux yeux du Conseil constitutionnel qui a jugé que «le législateur ne pouvait permettre le maintien à l’isolement ou en contention en psychiatrie au-delà d’une certaine durée sans contrôle du juge judiciaire».
«Surveillance stricte»
Dans son avis, le Conseil constitutionnel a rappelé d’abord «que le placement à l’isolement ou sous contention d’une personne ne peut être décidé que par un psychiatre pour une durée limitée lorsque de telles mesures constituent l’unique moyen de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour elle-même ou autrui». Ajoutant que «leur mise en œuvre doit alors faire l’objet d’une surveillance stricte», mais aussi que «tout établissement de santé chargé d’assurer des soins psychiatriques sans consentement doit veiller à la traçabilité des mesures d’isolement et de contention en tenant un registre». Si en situation d’urgence, ces mesures peuvent être prises, elles ne peuvent l’être que pour une durée limitée. Et s’il est nécessaire de les prolonger, alors elles doivent se faire sous le contrôle de la justice. Ce que ne prévoyait pas l’amendement de Denys Robiliard. D’où la décision du Conseil constitutionnel de retoquer son texte.
Dans le PLFSS, le gouvernement a donc glissé un article 42, pour fixer de nouvelles règles. D’abord le cadre : «L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical.»
Eviter les dérapages
Sur la durée, la mesure d’isolement est prise pour une durée de douze heures. «Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de douze heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d’une durée totale de quarante‑huit heures.» Quant aux mesures de contention, elles ne doivent être que de six heures. «Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de six heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d’une durée totale de vingt‑quatre heures.» Puis : «A titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au‑delà des durées maximales prévues aux deux alinéas précédents, la mesure d’isolement ou de contention, dans le respect des autres conditions prévues aux mêmes alinéas. Le médecin informe, alors, sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la mesure. En cas de saisine, le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt‑quatre heures.»
Par cet article, le gouvernement répond donc aux objections du Conseil constitutionnel. Est-ce que cela va éviter les dérapages et le recours parfois bien systématiques à ce type de mesures ? En Italie, le Dr Mario Colucci, psychiatre historique auprès du département de santé mentale de Trieste, nous disait l’intérêt de bannir ces pratiques : «Interdire la contention nous oblige à innover, à être présent, à agir différemment.» En France, il faudra attendre encore un peu. D’autant que l’on peut craindre que le manque de personnels ne serve d’argumentations pour le maintien de ces méthodes… bien peu hospitalières.
(1) Mon métier d’infirmier. Eloge de la psychiatrie de secteur, par Yves Gigou avec Patrick Coupechoux, Editions d’une.
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