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Photo Frédéric Stucin pour Libération
La virologue, passée par l’OMS, a pris la tête du comité chargé d’évaluer l’avancée des recherches sur le vaccin anti-Covid 19 espéré début 2021.
«Elle sait ce que gérer une crise sanitaire signifie.» Armé de cette recommandation de Yazdan Yazdanpanah, membre du Conseil scientifique, nous rencontrons Marie-Paule Kieny, avec une certaine curiosité. Dans une période de prise de parole intempestive, de décisions contradictoires et d’impression de grand n’importe quoi, ce compliment vaut de l’or.
Marie-Paule Kieny est virologue, directrice de recherches à l’Inserm et experte en santé publique. La rencontre a lieu dans un petit café littéraire près de la Bastille à Paris où elle a un appartement. Elle revient de Radio France, à l’autre bout de la capitale. Les médias se l’arrachent car le gouvernement l’a chargée d’évaluer les projets de vaccins en cours contre le Covid-19. Le développement rapide de ce type de sérum, elle connaît. Elle était sous-directrice générale de l’OMS au moment d’Ebola. «Nous avons lancé les phases 1 en septembre 2014 et obtenu les résultats des phases 3 en juillet 2015. C’est moins rapide que ce qui se passe en ce moment, mais quand même.» A cette époque, Kieny ne faisait que deux choses : travailler et dormir. Dans la pandémie actuelle, elle a été nommée par le gouvernement au sein du comité analyse recherche et expertise, puis présidente du comité vaccin en juin dernier.
«J’ai plaidé pour que le politique demande l’avis de scientifiques sur les projets en cours», explique-t-elle. Le comité a auditionné tous les candidats français mais aussi ceux auxquels l’Europe envisage de précommander des doses. Verdict ? Un «optimisme raisonnable» quant à l’arrivée d’un vaccin début 2021 sans «déborder d’enthousiasme». Marie-Paule Kieny pèse ses mots. «Rigoureuse» est l’un des trois termes utilisés par l’immunologiste Alain Fischer, membre du comité qu’elle préside, pour la décrire. Elle sait aussi être «directe». Sur France Inter, elle réagit aux propos de Jean Castex. «Cela m’énerve que l’on infantilise les vieux. J’ai détesté le discours qui disait qu’il allait falloir que les mamies et les papis arrêtent d’aller chercher leurs petits-enfants à l’école. Je suis une mamie, j’ai 65 ans, je prends mes propres décisions. Si je vais chercher mon petit-fils, c’est ma décision.» Pan sur le bec du Premier ministre. Tout le monde ne peut pas se permettre d’appeler «mamie» cette femme qui se teint les cheveux pour correspondre à «son idée intérieure» d’elle-même. Elle ajoute : «C’est condescendant. Je n’ai pas gardé les vaches avec lui.» Fille de médecins de Strasbourg, Kieny n’a jamais vraiment gardé de vaches d’ailleurs. Jeune, elle a bien caressé l’idée d’un retour à la terre sur le plateau du Larzac mais, après avoir tricoté un pull, elle est revenue au laboratoire.
Elle est comme ça, Marie-Paule Kieny, elle essaie, et puis si cela ne lui convient pas, elle passe à autre chose. Mariée jeune avec un camarade de promotion de l’école d’agronomie de Montpellier, elle le suit dans son premier emploi à Strasbourg avant de divorcer, avec la même justification que pour le Larzac : «Je voulais vivre autrement.» D’ailleurs, la vie à deux n’a pas été son truc pendant longtemps. Avant son histoire actuelle, longue de quinze ans avec un virologue russe rencontré à l’OMS, elle n’était jamais restée plus de trois ans avec le même homme. «Et vous n’avez pas eu d’enfant ?» lui demande-t-on. «Si, mais c’est autre chose.» De fait, elle tombe enceinte sans vraiment avertir son partenaire du moment, qui lui avait déjà annoncé vouloir la quitter… «Cela me choquerait davantage maintenant que cela ne me choquait à l’époque», concède-t-elle. Clémence, sa fille, a 32 ans et finit son doctorat en économie.
Marie-Paule avait 13 ans en 68. Elle se souvient avoir manifesté. Sa rébellion sera de refuser de faire médecine comme ses parents. «Je trouvais ce milieu affreux, entendu, prétentieux.» Elle ne s’en éloigne pas trop quand même. Après une thèse en biotechnologie, elle rentre dans la société Transgene où elle se spécialise dans le développement de vaccins. Elle y reste près de vingt ans avant de chercher à se réorienter en préparant… le concours de médecine. Qu’elle rate. «Ce n’est peut-être pas plus mal, c’était une façon de revisiter le passé.» Marie-Paule Kieny a bien fait quelques séances de psychanalyse, mais pas longtemps. «Trop lent.»
Devenue directrice de recherche à l’Inserm, elle postule à l’OMS. «Cela devait être temporaire, j’y suis resté dix-sept ans.» Marie-Paule Kieny travaille «à un rythme que beaucoup ont du mal à suivre», explique Ian Smith, conseiller du directeur général de l’OMS. Les résultats d’une enquête interne à l’OMS sur les questions de management la surprennent beaucoup. «Je ne pensais pas qu’on puisse avoir peur de moi. Moi, j’avais peur de mon père.» Un père peu patient avec les enfants, et qui rentrait tard du travail. Ses collaborateurs à elle lui reprochent surtout ses mails à une heure du matin ou le dimanche. «Pour moi, le soir ou le week-end, cela ne fait pas beaucoup de différence», explique celle qui travaille même chez le coiffeur. «J’ai dû leur expliquer que j’envoyais ces mails à mon rythme, mais qu’ils ne sont pas tenus d’y répondre dans l’instant.» Certes, «mais il ne faut pas qu’ils oublient de répondre», sourit Ian Smith.
Retraitée de l’OMS, elle s’intéresse aux maladies négligées via des ONG. «Si le secteur associatif ne s’en occupe pas, le secteur marchand ne le fera pas non plus. Pour l’industrie pharmaceutique faire de l’argent est devenu la première finalité. Elaborer des médicaments ne vient qu’ensuite.» Au rang des succès obtenus, elle cite la mise sur le marché de traitements contre la maladie du sommeil ou la baisse des prix des médicaments grâce aux génériques.
Son engagement est total. Durant l’épidémie d’Ebola, elle est volontaire pour les tests de phase 1. «Si je pousse les autres à le faire, je dois en être capable aussi.» La nuit après la piqûre, elle se réveille en claquant des dents. Douze heures de fièvre. «C’est passé avec du paracétamol. D’ailleurs, après ça, j’ai insisté pour que tous les volontaires reçoivent du paracétamol.» Quand le vaccin est prêt à être déployé sur le terrain, en Guinée, elle se retrouve à Conakry, au milieu des huiles locales alignées face aux seringues. Pour ne pas se sentir «stupide», elle se refait piquer mais sans fièvre cette fois.
«La notion de service à l’autre est importante dans ma famille. Mes parents étaient médecins, leurs parents enseignants. L’enrichissement personnel n’est pas un objectif. Mais je vis bien, il ne s’agit pas de faire pleurer Margot.» Elle réside dans une maison à Genève et a un pied-à-terre à Paris. Elle votait PS depuis toujours. «Mais, ces derniers temps, j’ai un peu de mal. Je crois que j’ai voté vert la dernière fois.» Soudain elle regarde son téléphone et s’excuse. Elle doit déjeuner avec sa tante avant d’être auditionnée par le Sénat. Ce sera la fin de cette journée commencée par la matinale de France Inter. Le troisième mot d’Alain Fischer ? «Efficace.»
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