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Crédit photo : S.Toubon
Le dopage intellectuel est marginal chez les étudiants, mais les conduites dopantes sont fréquentes, surtout chez les étudiants en PACES et dans la filière santé. Tels sont les résultats de l'enquête COSYS, le premier observatoire français des usages actuels de substances psychoactives (SPA) chez les étudiants portés par le centre d'addictovigilance de Paris.
La conduite dopante consiste à utiliser des produits psychoactifs pour « passer un obstacle » comme le stress ou le manque de sommeil. Quelque 21,91 % des participants sont dans ce cas. Il peut s'agir de la prise de benzodiazépine ou de cannabis pour dormir, ou de propranolol avant un oral pour que la voix ne tremble pas avant un oral.
Dans le paysage des études supérieures, les premières années de médecine sont un « monde à part », comme l'explique le Dr Anne Batisse du centre d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance (C.E.I.P) de Paris et co-auteure de l'étude. « Il s'agit d'une filière à risque, avec un niveau de stress élevé et un bien-être très bas. La filière santé, et notamment les étudiants en première années de médecine consomment 2 à 3 fois plus de benzodiazépines, de protoxyde d'azote et de poppers que dans les autres filières », détaille-t-elle.
Le dopage intellectuel pratiqué par 5,4 % des étudiants
L’enquête COSYS a colligé 78 167 réponses exploitables au cours des années 2017 et 2018, dont 67,2 % proviennent d'étudiants en université et 25,9 % dans les grandes écoles. Les étudiants interrogés sont majoritairement de sexe féminin (63,4 %) avec un âge moyen de 21,36 ± 3,7 ans. Les chercheurs ont questionné la consommation de drogues illicites et de médicaments psychoactifs : opiacés (paracétamol codéiné, morphine, dextrométhorphane), benzodiazépine, psychostimulants (modafinil, méthylphénidate, bromazépam).
Le principal enseignement est que seulement 5,4 % des étudiants pratiquent le dopage intellectuel, c’est-à-dire consomment des produits psychoactifs (médicaments ou drogues) pour améliorer activement leurs capacités de concentration, d'éveil ou de mémorisation. La prévalence du dopage intellectuel chez les étudiants français serait ainsi bien inférieure à celle de leurs homologues américains (jusqu'à 20 % de mésusage de médicaments psychostimulants) ou islandais (pour les médicaments psychostimulants ; 42 % de prescription et 13 % de mésusage).
Une société de performance
« Le dopage intellectuel est un phénomène marginal, résume le Dr Batisse, bien plus limité que ne le suggère la place qu'il occupe dans les médias. Il faut lutter contre ce mythe médiatique qui normalise les usages illicites. La conduite dopante est bien plus répandue, et ne se résume pas à la performance académique. Une quête de performance sociale ou encore sexuelle est également retrouvée dans une société où l'injonction à la performance exige toujours plus de l'individu dans tous les domaines. »
L’usage de substances psychoactives (médicaments ou drogues) pour gérer le stress est recherché par 18,6 % des étudiants, via l'usage de cannabis (3 cas sur 4) et d'anxiolytiques (1 cas sur 2). Dans 14,1 % des cas, c'est la qualité du sommeil qui est recherchée, à l'aide de cannabis (2 cas sur 3) ou de benzodiazépines (1 cas sur 4). Près de 20 % des étudiants déclarent également tenter d'améliorer leur sommeil avec des médicaments codéinés, 7 % utilisent plutôt la mélatonine. Seuls 3,81 % des étudiants consomment des SPA spécifiquement pendant la période des révisions et des examens. Dans ce cadre, seul l'usage de médicaments persiste, signe de la banalisation et de la normalisation de son usage à ces fins de performance.
Des profils différents entre hommes et femmes
Les chercheurs ont constaté une différence de profils entre des hommes consommateurs plus fréquents des drogues illicites (28,1 % versus 17,6 %) et des femmes qui recourent plus souvent aux médicaments psychoactifs (22,5 % versus 15,1 %). « Si on regarde les réponses, les femmes se sentent plus stressées, sont soumises à plus de pression scolaire, probablement en lien avec leur fort désir d'indépendance, et enregistrent un bien-être globalement plus bas, précise le Dr Batisse. On peut aussi penser que les médicaments opiacés, surreprésentés, leur sont prescrits dans la prise en charge des douleurs menstruelles et des céphalées. »
Le Dr Batisse évoque aussi une « image de fragilité de la femme qui persiste dans le milieu familiale et jusque dans le corps médical » et qui conduit naturellement à une surprescription de médicaments, notamment de benzodiazépines. Quant aux hommes, plus nombreux à déclarer devoir gérer leur stress avec des substances, « ils le font avec des drogues, et accordent plus de place au "lâcher prise". Ils gèrent le stress par des drogues illicites comme la cocaïne, au lieu de prendre des anxiolytiques », complète-t-elle.
Le CEIP de Paris est actuellement à la recherche de financements pour mener une nouvelle édition de leur enquête. « Je suis convaincue que si on refaisait notre étude maintenant, le constat serait beaucoup plus alarmant, s'inquiète le Dr Batisse. La crise sanitaire de la Covid-19 a durement impacté la vie des étudiants. »
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