Les moyens déployés pour la prise en charge de la santé mentale des étudiants sont largement insuffisants, selon Frédéric Atger, psychiatre, responsable du bureau d’aide psychologique Pascal, à Paris.
Cours en partie ou totalement à distance, projets incertains, activités associatives ou sportives réduites et, pour certains, isolement contraint et maladie… Cette rentrée, marquée par de multiples inconnues et par une difficulté à nouer des liens sociaux ou amicaux, est à haut risque pour la santé psychique et le développement des jeunes adultes, alerte Frédéric Atger. Psychiatre, il est le responsable du bureau d’aide psychologique universitaire Pascal à Paris, en lien avec la Fondation Santé des étudiants de France. Il s’inquiète des moyens insuffisants déployés pour prendre en charge la santé mentale des étudiants, alors que, dans son centre, 300 personnes sont inscrites sur liste d’attente.
Pendant le confinement, de nombreux spécialistes s’étaient alarmés de la détérioration de la santé psychique des jeunes adultes. Sommes-nous toujours dans une phase critique ?
La période est loin d’être terminée. D’abord, parce qu’il y a et il y aura des effets retard du confinement. Celui-ci a été éprouvant pour une partie des jeunes adultes, chez qui il a entraîné une forte désocialisation et favorisé l’émergence de troubles. Ensuite, parce que, pour certains, le déconfinement a été tout autant, voire plus, perturbant : il a fallu sortir de son abri, se relancer brutalement dans le monde. Or, en cette rentrée, se resocialiser apparaît bien compliqué. En particulier pour les jeunes bacheliers qui ont passé leur bac dans des conditions bouleversées et intègrent la fac – un passage déjà à l’origine de nombreuses peurs – dans un contexte peu évident : avec du distanciel, des masques et des marqueurs de début d’année écornés ou absents.
Quels sont les enjeux pour tenir dans la longueur, face à cette vie étudiante bouleversée ?
Pour la majorité des jeunes, qui ont des appuis familiaux et amicaux, maintenir les relations avec son cercle le plus proche peut aider à tenir, malgré des sorties restreintes. Pour ceux qui, en revanche, sont en rupture de liens, pouvoir faire signe et connaître les structures d’aide psychologique susceptibles de les recevoir devient vital. Or, la plupart de ces structures sont saturées, et encore plus depuis le confinement. A Paris, dans les centres d’aide gratuits consacrés aux étudiants, nos listes d’attente dépassent les 300 personnes. Nous n’avons pas les moyens de faire face à la situation de crise.
Un problème quand l’accès aux soins payants est encore plus compliqué pour le public étudiant, qui est fragilisé financièrement par la crise…
La détresse sociale de certains étudiants est en effet encore plus marquée depuis cette crise. Des étudiants se sont retrouvés du jour au lendemain sans job, certains expriment encore aujourd’hui des difficultés pour se loger. A la Cité internationale, où nous travaillons, les enjeux financiers se sont couplés, pour les étudiants étrangers, à l’impossibilité de rentrer dans leur pays d’origine cet été, et une forme d’éloignement forcé. Toutes ces fragilités sociales auront aussi leurs répercussions sur le plan psychologique.
La vie sociale reste profondément altérée : activités associatives réduites, fêtes étudiantes interdites dans certaines villes, cours en partie à distance. En quoi est-ce préoccupant à cet âge de la vie ?
La socialisation n’a rien d’anecdotique pour l’équilibre du jeune adulte. Le moment des études s’inscrit dans la période où on quitte l’adolescence, et où on commence à construire des relations affectives stables et déterminantes en dehors du cercle familial. Cette ouverture relationnelle est primordiale, notamment dans la construction d’une identité propre. C’est une étape de la vie qui est marquée par une forte instabilité, et qui se vit souvent éloigné du lieu d’attache, des amis d’enfance et de la famille.
Dans ce contexte particulier, une rupture dans la vie sociale peut avoir des conséquences très sérieuses, jusqu’au développement de pathologies graves, de la dépression aux envies suicidaires. Les derniers mois nous l’ont appris : l’isolement social des jeunes adultes est un des dangers majeurs de cette rentrée. D’autant que c’est un public qui a du mal à demander de l’aide. Ils y voient un signe de dépendance à un moment où ils veulent au contraire acquérir leur autonomie.
Le poids de l’incertitude et les nouvelles anxiogènes génèrent du stress chez une grande partie de la population. Les jeunes adultes sont-ils plus perméables à cet état de tension ?
Tout à fait. Pour eux qui doivent gérer plusieurs transitions, faire face à autant d’incertitudes les renvoie à leur propre instabilité, ce qui peut être source d’angoisse. Beaucoup ont vu leurs projets bouleversés, notamment les étudiants en fin de cursus, qui ont dû faire une croix sur les cérémonials structurants de fin d’études – soutenance, remise de diplôme – et se lancent dans un monde du travail plus incertain que jamais. Pour ne rien arranger, ils sont confrontés à des adultes qui sont eux-mêmes hésitants et un peu perdus : ce n’est pas simple pour activer les processus identificatoires, essentiels à cette période de la vie. Il faut être vigilant sur les conséquences que ce stress généralisé fait peser sur les jeunes, car ils sont à un âge décisif : les trois quarts des troubles psychiatriques ou psychologiques graves surviennent entre 18 et 25 ans.
Depuis la rentrée, plusieurs établissements ont fermé totalement leur campus face à l’apparition de clusters. Que signifierait un retour complet au distanciel pour les étudiants ?
Il y a quelque chose d’irremplaçable dans le lien en présence. A distance, ce qui se joue vis-à-vis des professeurs est tronqué, il est difficile d’investir une relation « sans corps ». Quant à se passer d’interactions avec ses pairs, cela limite la stimulation, mais aussi la régulation de certaines angoisses, le partage des difficultés et du stress liés aux études permettant de dédramatiser. Ponctuellement, cela ne devrait pas poser problème – d’ailleurs, certains étudiants sont ravis de ne plus avoir à faire de longs trajets. Mais généralisé, cela fait peser un risque sur l’ensemble des liens qui font communauté à l’université.
D’aucuns appellent cependant à ne pas noircir le tableau et évoquent la capacité d’adaptation de cette jeunesse. Qu’en pensez-vous ?
Je ne voudrais pas donner une impression catastrophiste. Les personnes qui portaient déjà en elles certaines fragilités avant la crise voient cette rentrée aggraver leurs troubles et angoisses. Mais une majorité des jeunes adultes qui étaient en bonne santé s’adaptent plutôt bien à la situation. Pour autant, même eux seront impactés par le remodelage du lien social imposé par les restrictions sanitaires, avec de possibles phénomènes de glissement. Ils n’échappent pas aux enjeux de la période étudiante, cet entre-deux où la déliaison sociale peut avoir un impact fort.
N’y a-t-il pas un danger de décupler leur peur de l’avenir à les caractériser, comme cela a pu être fait, de « génération sacrifiée » ?
Absolument. Ce thème de la génération sacrifiée est davantage une projection des peurs des adultes sur leurs enfants qu’une expression portée par la jeunesse. Comme leurs aînés avant eux, les jeunes actuels ont une force de vie, des ambitions, des projets. Il suffit de voir leurs actions sur le plan sociétal, les combats pour lesquels ils demeurent actifs, mobilisés, en dépit de la crise sanitaire. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas confrontés à une situation inquiétante : ce qu’on leur transmet, entre la crise économique et la dette climatique, est un poids préoccupant. Mais il ne faudrait pas retirer à cette génération la vitalité qui est la sienne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire