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Dans la nuit du 27 au 28 octobre 1910, Tolstoï, alors âgé de 82 ans, prend la fuite. Il rêve d'une autre vie, loin de sa femme, de sa famille, de son domaine et de ses habitudes. Cette fugue s’achève tristement, dans le froid glacial de la gare perdue d’Astapovo. Mais toutes les fuites ne finissent pas mal. Il y a au contraire du bon à vouloir prendre la tangente. Une sagesse, même : celle des anachorètes et autres ermites du désert, qui tournent le dos au monde et à ses tentations pour mieux le sauver et se sauver eux-mêmes.
Fuguer peut aussi être un art, celui auquel consentent les génies qui s’isolent pour mieux restituer le monde en phrases et en idées. Ce n’est pas la vie qu’alors on fuit, mais ses mondanités et ses futilités, tous ce small talk et ces soirées qui détournent de l’essentiel : « Le grand nombre d’amis et de parents que je ne pouvais me dispenser de voir dérobaient tout mon temps et mon loisir à ces études, qui font mon bonheur », enrage Descartes, pour qui la vraie vie est de philosopher, pas de se disperser.
Fuir pour trouver ailleurs du plus intense. Car Descartes le souligne, il ne fuit pas par peur mais par goût de la vie – une vie centrée sur ce qui compte, et non plus comme dérobée à elle-même : « Et ainsi pendant que vous n’aurez point de mes nouvelles, vous croirez toujours, s’il vous plaît, que je vis, que je suis sain, que je philosophe, et que je suis passionnément. »
Fuir également ce qui enracine pour s’offrir de la marge et du mouvement. Ne plus être arrimé à ce qu’on est mais se désencombrer de celui qu’on a fini par être, et qu’on est contraint de rester. C’est alors la tactique de Montaigne que l’on choisit d’adopter, cet art de la glisse qui permet de vivre sans s’appesantir : « Il faut un peu légèrement et superficiellement couler sur ce monde. Il faut glisser sur lui. » (Essais, III, chapitre 13)
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