Selon le Dr Alice Desbiolles, médecin spécialisée en santé environnementale, le contexte sanitaire actuel nous rappelle la nécessité urgente à se préparer aux changements environnementaux à venir.
La pandémie de Covid-19 a surgi alors que les nouvelles inquiétantes sur l’état de notre planète s’accumulent. De plus en plus de personnes ressentent une forme d’angoisse liée à ces événements, l’éco-anxiété. Autrice de L’Eco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé (Fayard, septembre 2020), Alice Desbiolles est épidémiologiste et médecin de santé publique spécialisée en santé environnementale. Loin de pathologiser ce mal-être, elle invite à le dépasser par l’action et à tirer les leçons de la crise sanitaire.
Peut-on considérer l’éco-anxiété comme une réponse normale aux bouleversements de notre écosystème ?
Tout d’abord, il faut comprendre que l’éco-anxiété est une sensibilité au monde, un rapport à celui-ci qui est très rationnel. Cette angoisse prospective, qui anticipe l’effondrement du monde et la disparition de la nature telle qu’on l’a connue, s’appuie sur une forme de véracité scientifique. Les éco-anxieux sont souvent très documentés et d’ailleurs, l’élément déclencheur de leurs angoisses est principalement une information ou une actualité sur le changement climatique. De là va s’amorcer un questionnement, une forme de prise de conscience qui va conduire ces personnes à identifier de plus en plus de problèmes et leur interconnexion. On passe alors d’une éco-anxiété simple à une forme plus complexe. L’étape finale de cette pensée en réseaux est de réaliser que les solutions à mettre en œuvre pour contrer ces événements sont très complexes, du fait de cette imbrication des problèmes.
Il est important de ne pas pathologiser ces émotions. Les personnes éco-anxieuses sont courageuses, elles sont lucides dans un monde qui ne l’est pas. Ne pas l’être est une manière de ne pas affronter la réalité. En cela, on ne peut pas dire que l’on ait affaire à une maladie mentale. Devenir éco-anxieux, c’est plutôt entamer une quête identitaire, bouleverser sa vision de soi, son rapport à soi-même et aux autres, au monde.
Si tout le monde est concerné par le réchauffement climatique et les conséquences qui en découlent, pourquoi ne sommes-nous pas tous en proie à l’éco-anxiété ?
Il y a certaines prédispositions à l’éco-anxiété, notamment un attachement profond à la nature (biophilie) et le fait d’être témoin direct de catastrophes naturelles. On constate pourtant que beaucoup de citadins sont éco-anxieux, alors même que leur biophilie est moindre, du fait de leur environnement. Les réseaux sociaux et les écrans permettent de rejouer cette connexion à la nature en transformant n’importe qui en témoin de ces catastrophes. Par ailleurs, les jeunes sont aussi particulièrement touchés par l’éco-anxiété. L’horizon d’un effondrement est plus proche pour eux que pour leurs aînés et ils n’ont pas envie d’être dépossédés de leur avenir environnemental. Certaines personnes, au contraire, choisissent délibérément de se mettre à distance de ces considérations, dans un souci de protection. Tout comme il ne faut pas pathologiser l’éco-anxiété, il ne faut pas non plus culpabiliser les personnes hermétiques à cette émotion.
En sciences, on fait souvent l’erreur de penser que l’exposé de faits alarmants suffit à susciter une réaction. Personnellement, je pense que l’on a besoin d’être touché dans nos émotions pour se sentir concerné, et c’est pourquoi j’appelle à une sensibilisation bienveillante. Il serait également bon de mettre en place une réelle pédagogie du risque, car il y a beaucoup de personnes pour qui les rapports du GIEC restent très abstraits. Enfin, il est difficile de saisir la gravité de la situation tant qu’il n’y a pas de sursaut de la collectivité à ce sujet. Personne n’avait réellement peur du Covid-19 jusqu’à ce que des mesures exceptionnelles soient prises par le gouvernement.
Le contexte de crise sanitaire dans lequel nous sommes est-il propice à développer ce type de prise de conscience individuelle ?
Il faut d’abord rappeler que nous ne sommes pas tous vulnérables aux crises de la même façon, cela varie selon plusieurs facteurs comme les ressources financières ou culturelles. Mais de manière générale, l’anxiété a augmenté en France au début du confinement et ce, pour des raisons légitimes liées à l’avalanche d’informations et de « fake news », à la peur de contracter le virus, au confinement lui-même, à l’époque et aux autres mesures associées. Pour ce qui est de l’éco-anxiété, elle a pu être engendrée ou même ravivée chez certains, notamment du fait d’une « mise sous le tapis » des sujets environnementaux, que ce soit dans le traitement médiatique de l’actualité ou par la hiérarchisation des priorités de l’action publique. Je pense par exemple aux incendies qui sévissaient à l’époque en Australie et dont il n’a plus été question du jour au lendemain. Le confinement a aussi engendré beaucoup d’interrogations, et de nouvelles aspirations – concernant le lieu de vie notamment – qui peuvent témoigner d’une forme d’éco-anxiété naissante.
Quelles leçons pourrions-nous apprendre de ces événements ?
Cet épisode nous rappelle que nous sommes vulnérables et que nous pouvons être confrontés à des menaces inattendues. En vérité, les épidémies ont jalonné notre histoire, donc on sait comment y faire face. Ce qui est plus inquiétant, ce sont les perturbations géophysiques de la Terre qui nous menacent et que l’on risque de ne pas pouvoir maîtriser. A nous de tirer les leçons de la période actuelle et d’adopter un véritable principe d’anticipation. On a vu que notre gouvernement était capable de prendre des décisions radicales, extraordinaires et engageant tout le monde et de les faire appliquer en moins de quarante-huit heures. Tout cela a été entrepris car la menace était jugée suffisament importante. Je ne veux pas faire de parallèle entre ces mesures et celles qu’il faudrait adopter face au changement climatique, je dis simplement que notre société est capable de se protéger, si elle s’en donne les moyens. Les faits sont là, la planète va mal. On a tout intérêt à se préparer au changement, tant physiquement que psychologiquement.
Comment peut-on bien vivre cette anticipation d’un avenir catastrophique, comment garder une forme d’espoir ?
Le terme d’éco-anxiété évoque quelque chose de sombre, une forme d’angoisse qui inhibe. Elle peut l’être si l’on reste dans une forme passive, mais on peut choisir, au contraire, de s’engager par l’action. On peut, par exemple, modifier sa consommation et son alimentation et contribuer à la fois à son bien-être et à celui de l’environnement. Par ailleurs, il est très important de s’autoriser à lâcher prise. On peut facilement se sentir dépassé par tout ce qu’il reste à accomplir et cela est contre-productif. Je recommande de choisir les combats que l’on veut mener, quitte à faire des sacrifices temporaires. Il est également possible de se réapproprier des formes de croyances, de spiritualités écologiques pour s’apaiser et créer ce que j’appelle des « clusters de bonheur ». Ce qui peut rassurer aussi, c’est de réapprendre des compétences simples. N’oublions pas, enfin, qu’il existe encore nombre d’endroits magnifiques avec une nature vivante, où l’on peut retrouver une forme de biophilie. Le plus important reste d’assumer et d’accepter ce que l’on ressent. Ce n’est en aucun cas une honte d’être éco-anxieux, bien au contraire.
Peut-on être éco-anxieux et optimiste ?
Tout à fait, je le suis moi-même. Ce n’est pas parce que l’on est en proie à certains questionnements que l’on doit s’empêcher de vivre. Je vois l’éco-anxiété comme une nouvelle forme d’humanisme, plus inclusive et moins anthropocentrée. C’est une invitation à repenser notre rapport à la nature, au monde, notre manière d’apprendre et d’enseigner. De belles initiatives existent, à nous de décider quel rôle on souhaite jouer dans notre destin écologique.
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