Des militants d’Act Up à Paris pour la Journée mondiale contre le sida, le 1er décembre. Photo Marie Rouge
«Libération» publie en exclusivité l’avis du Conseil national du sida, favorable à une «notification formalisée aux partenaires». Une proposition choc destinée à casser la chaîne de contamination de l’épidémie.
Vendredi a débuté le Sidaction 2018 dans un contexte français bien gris. Six mille nouvelles contaminations par an, avec pourtant un dépistage massif mais bien peu efficace : plus de cinq millions de tests sont effectués par an avec une proportion d’un séropositif pour mille. En 2017, il a été estimé que 153 000 personnes sont séropositives et qu’au moins 25 000 d’entre elles ne le savent pas. Plus grave, il se passe en moyenne trois ans entre le moment de la contamination et la découverte de la séropositivité.
Si les traitements sont remarquablement efficaces, tels sont les chiffres de l’échec français en matière de prévention du sida : alors qu’il y a tous les éléments pour casser l’épidémie en France, celle-ci se poursuit. Comme s’il n’y avait rien à faire. Non sans courage, le Conseil national du sida et des hépatites virales vient de rendre un avis sur «la notification formalisée aux partenaires», que Libération publie en exclusivité.
L’idée ? Prévenir et dépister aussitôt les partenaires quand une personne se découvre séropositive, et ce dans l’anonymat le plus absolu, évidemment. Une manière efficace de rebooster le dépistage, en allant ainsi vers les groupes les plus touchés, quitte à bousculer au passage quelques blocages.
Recherche du partenaire
Petit rappel. Une infection sexuellement transmissible (IST) n’est pas une pathologie comme les autres. On est certes infecté, mais cela ne s’arrête pas là. Il y a d’autres protagonistes à considérer : ceux (ou celles) d’avant et ceux d’après. Ceux (ou celles) qui ont pu vous infecter et ceux que vous avez pu infecter. Que fait-on ? On recherche la personne ou non ? «C’est un moment terrible. Au début, j’étais d’abord effondré pour moi, raconte un séropositif qui a découvert sa maladie en 1998. Puis on saisit, on sort du trou noir, le médecin en parle, et c’est vrai que l’on se demande pour les autres. Qui vous a contaminé ? Mais aussi le pire : qui a-t-on pu contaminer ?» Les impératifs de santé publique pousseraient à réagir aussitôt et à briser le plus vite possible la chaîne de contamination en recherchant les partenaires pour les dépister. Mais qui doit le faire ? Et comment ?
Certains veulent privilégier la responsabilité individuelle, en laissant le choix entre les seules mains de la personne infectée. Le dispositif de notification s’inscrit dans cette problématique, en tentant de se donner les moyens d’aller chercher ceux qui ont pu être contaminés autour du «patient index», comme on l’appelle.
Trois modèles différents
Sur cette question de la recherche des partenaires, la politique de la France a toujours été égale à elle-même, pétrie de grands principes mais peu efficace dans les faits. Elle a ainsi fait le dos rond, avec le souci au début de l’épidémie de n’exclure ni de ne stigmatiser personne. On est resté sur l’idée de la responsabilité partagée : pour être contaminé il faut être deux, ce n’est donc la faute de personne.
Avec l’arrivée des traitements en 1996, ce mode de réflexion a vécu, car il présente un énorme risque de laisser une personne éventuellement infectée dans l’ignorance. D’autant que l’on va découvrir qu’un patient prenant régulièrement son traitement ne devient plus contaminant. Il n’y a alors que des raisons pour aller vers un dépistage bien plus offensif. Mais comment ? De fait, trois modèles sont apparus dans les pays occidentaux. Le premier (le plus contraignant) se traduit par la loi. Certains Etats ont ainsi encadré juridiquement le recours à la notification, en particulier la Suède - mais aussi le Canada et plusieurs Etats des Etats-Unis - qui a construit un cadre juridique relativement coercitif. Ainsi, une loi a rendu obligatoire la mise en œuvre de la notification, obligeant le séropositif à faire état de ses partenaires, puis à les prévenir. Ces derniers, le cas échéant, devant se traiter. Aux Etats-Unis comme au Canada, où la nécessité d’informer le partenaire est considérée comme plus importante que le respect du secret médical, si le patient ne le fait pas, le professionnel de santé se doit de le faire à sa place. Dans ces trois pays, en tout cas, ont été construits des services de notification qui sont proposés aux patients, avec du personnel formé.
A côté de ce modèle législatif, il y a un groupe de pays qui recommande la notification, mais sur la base de guides de bonnes pratiques. En clair, voilà ce qu’il faut faire, mais la loi n’est pas là pour contraindre. Au Danemark, la démarche de notification doit obligatoirement être proposée au patient, mais celui-ci demeure entièrement libre de son choix. Aux Pays-Bas, la législation prévoit que le professionnel de santé a le droit de divulguer la séropositivité en l’absence de consentement, mais «uniquement [si] un tiers est en danger, par exemple un fœtus ou le nouveau-né». Au Royaume-Uni, la législation permet, avec l’accord du patient, de rompre le secret médical.
Troisième modèle, ceux qui ne font rien, comme la France ou l’Allemagne. On reste arc-bouté sur le secret médical qui ne doit jamais être levé, mais aussi sur le respect du consentement du patient, sur le respect de la vie privée des partenaires. En somme, aucun dispositif, ni formel ni informel, n’existe. Et cette recherche des partenaires va dépendre essentiellement de la personne qui se découvre infectée.
Recommandations
Pour la première fois, donc, un dispositif est proposé. On peut le juger timide, cela ne fut pourtant pas facile, le conseil de l’ordre des médecins ne voulant aucun changement, et refusant notamment que le professionnel puisse faire lui-même cette notification. Il est vrai que dans le code de déontologie, le médecin n’est jamais délivré du secret médical, même à la demande de son patient.
Dans ces conditions, le conseil propose une sorte d’organisation «pour un accompagnement à la notification au partenaire»dans les lieux où le dépistage se fait, comme les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (Cegidd), voire aussi dans le milieu associatif, qui développe les tests rapides. Dans ces lieux, «une proposition d’accompagnement doit être systématiquement intégrée au parcours des patients diagnostiqués pour une IST» (1).
Que proposer ensuite ? Après avoir informé le patient, «doit s’établir avec lui une stratégie de notification, en réfléchissant avec lui sur la façon de le faire (téléphone, courrier, SMS…)», mais aussi en protégeant la vie privée des personnes qui vont être contactées. «Les médecins libéraux pourraient accompagner directement leurs patients dans cette démarche, ou les adresser à un centre de santé, beaucoup de dépistages se faisant dans le cadre de la médecine libérale», note le Conseil du sida.
De fait, la grande nouveauté est de proposer «exceptionnellement» à un professionnel de santé de faire la notification lui-même, ce qui est aujourd’hui à la limite de la légalité. Cela permettrait en tout cas de faire sauter un verrou. Et d’ouvrir des possibilités. D’où le souhait du Conseil d’une évolution législative.
En tout cas, ces recommandations ont été adoptées à l’unanimité du Conseil… A l’exception du représentant du conseil de l’ordre des médecins.
(1) L’idée étant d’inscrire cette démarche pour toutes les IST.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire