blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

vendredi 23 mars 2018

«Je ne laisserai pas le travail me pourrir la vie»

Par Amandine Cailhol — 

Jean-Philippe 53 ans, infirmier à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

«Ma décision est prise depuis un an : je veux partir. Qu’est-ce qui pourrait me retenir ?» Jean-Philippe (1), la cinquantaine, est infirmier aux urgences d’un établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis plus de vingt ans. Une profession qu’il a choisie «pour le contact humain». Pendant ses premières années d’exercice, il y trouve son compte. «J’étais fier de travailler pour l’hôpital public, là où se fait la grande médecine. C’est ici qu’on avance techniquement, qu’on innove». Sans oublier la reconnaissance des patients. «On est fier quand quelqu’un arrive aux urgences dans de mauvais draps, puis repart en bien meilleur état, en nous adressant un grand merci», explique-t-il. Mais en quelques décennies, tout a changé. «Aujourd’hui, c’est tout l’inverse, vu notre charge de travail, on court partout, les patients nous accusent d’être lents, ils nous critiquent, pointent les dysfonctionnements.»

Le quinquagénaire raconte un hôpital public devenu «mercantiliste», obnubilé par les chiffres : «On est devenus des machines. Les conditions de travail sont exécrables». Pêle-mêle, il pointe le quotidien d’un collègue infirmier qui doit parfois prendre en charge plus de 20 patients par jour. Celui de certains services où le travail de dix est fait par cinq. Et le sien : «Au bloc, je suis seul et j’ai pourtant la responsabilité de la sécurité, de l’hygiène, de tout un tas de choses, c’est infernal.» A la fatigue physique s’ajoutent les dégâts sur la santé psychique. «On se sent totalement dévalorisés. Le risque, c’est l’épuisement professionnel.»Un risque auquel il veut échapper avant qu’il ne soit trop tard, lui qui «adore [s]on métier, mais ne veut pas laisser le travail [lui] pourrir la vie». Son projet professionnel est encore flou. Démissionner pour devenir infirmier libéral, partir dans le privé ou prendre un nouveau poste dans un établissement public lui offrant «un peu plus de sérénité» : il ne se ferme aucune porte. Avec deux enfants à charge, ce père de famille, qui gagne 1 990 euros net par mois, n’a pas peur de perdre la «sécurité» de l’emploi, «car dans le secteur, ce n’est pas le boulot qui manque». Mais, prévient-il, s’il claque la porte de la fonction publique, ce ne sera pas en raison d’un éventuel plan de départ volontaire. «Il ne faut pas se leurrer, si les agents partent, ils ne le feront pas pour le chèque, mais parce qu’ils sont sur les jantes. Moi, je n’attends rien de Macron. Je m’en irai, avec ou sans indemnité de départ.»
(1) Le prénom a été modifié

Aucun commentaire: