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mardi 20 mars 2018

La culture du viol, un concept pour en finir avec notre fatalisme

Cessons de considérer que le viol fait partie de la nature humaine, affirme Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale ». Le concept de culture du viol, souvent mal compris, constitue un levier remarquable pour changer nos réflexes.

LE MONDE  | Par 

CEDRIC ROULLIAT / PLAINPICTURE

Le viol, les abus, sont-ils une fatalité ? Font-ils partie de la nature humaine… et plus précisément d’une certaine nature masculine ? Au regard des derniers chiffres diffusés par l’Ifop, qui font état de 12 % de femmes violées et de 43 % touchées et caressées contre leur gré, on pourrait prêter le flanc au pessimisme. Ce serait pratique : en déclarant la partie perdue d’avance, nous nous dédouanons des efforts nécessaires pour changer la situation. Les abuseurs vont adorer.

Ce laisser-faire prend la forme de discours désabusés et absurdes : « C’est comme ça, ma bonne dame »« Les accidents sont inévitables »« On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs » (traduction : « On ne fait pas de sexualité sans casser des gens »). On imagine la même logique appliquée aux autres injustices : « Il y aura toujours des enfants victimes de maltraitance, cessons de nous en préoccuper. »

Trêve de mauvaises nouvelles, nous disposons aujourd’hui d’une ressource remarquable pour sortir du fatalisme : le concept de « culture du viol ». Lequel n’est malheureusement pas toujours bien compris. On pense à un encouragement, à une célébration du viol, alors qu’il s’agit surtout d’inertie et de vieux réflexes. On ne saura donc trop recommander la lecture d’un essai tout récent, qui synthétise brillamment ces enjeux : En finir avec la culture du viol, aux éditions Les Petits Matins. Son auteure, Noémie Renard, fournit une quantité redoutable d’exemples concrets. En voici quelques-uns (la liste n’est évidemment pas exhaustive).

Le mythe culturel du « vrai viol » se propage

La culture du viol, c’est quand on excuse les violeurs par une maladie mentale (cela concerne moins de 7 % d’entre eux) ou par le très flou concept de misère sexuelle (89 % auraient eu des rapports sexuels consentis au moins deux fois par semaine avant leur incarcération). C’est quand on affirme que les hommes ont des besoins irrépressibles, et que les victimes l’auraient « cherché » – qu’on parle d’habillement, de consommation de substances ou de comportement.

La culture du viol propage le mythe culturel du « vrai viol » : dans un parking ou un lieu glauque, sous l’agression forcément violente d’un inconnu… alors même que ces actes ont plutôt lieu au domicile et qu’ils sont majoritairement exercés par une personne proche, laquelle n’a nullement besoin de tabasser une victime stupéfaite ou terrifiée. En définissant certains viols comme plus « authentiques » que d’autres, on décourage la majorité des victimes de porter plainte.

La culture du viol, c’est quand on associe pénétration et hiérarchie : celui qui pénètre, c’est le dominant – et par extension, comme le démontre régulièrement l’actualité, c’est celui qui gagne la guerre. A l’inverse, notre langage implique que ceux qui « se font baiser » subissent une forme plus ou moins sévère d’arnaque. Du coup, sans surprise, la culture du viol se nourrit des inégalités hiérarchiques tout en les renforçant : femmes, enfants, vulnérabilité, pauvreté, orientation sexuelle, mais aussi statut, force physique, emprise psychologique ou différence d’âge. On viole trois fois plus souvent une handicapée, deux fois plus souvent les femmes plus économiquement défavorisées. Au cas où il faudrait encore accentuer les inégalités qui facilitent le crime, la culture du viol propage l’érotisation des différences de pouvoir : sont considérés comme attirants les hommes les plus musclés et riches, les femmes les plus minces, jeunes, incompétentes sexuellement et timides – tiens donc !

La culture du viol, c’est encourager les femmes à offrir du sexe pour faire plaisir, ou pour se débarrasser d’une corvée, ou parce qu’elles ont peur des conséquences








La culture du viol, c’est celle qui ne donne pas à la justice les moyens nécessaires à son travail – décourageant ainsi les victimes d’y avoir recours (même quand il y a procès, les victimes sont 81 % à trouver que la justice n’a pas rendu son rôle). Noémie Renard explique que de nombreux viols sont requalifiés pour passer en correctionnelle : les peines sont diminuées… les statistiques du viol, aussi.

20 % croient qu’une femme qui dit non pense souvent oui


La culture du viol, c’est encourager les femmes à offrir du sexe pour faire plaisir, ou pour se débarrasser d’une corvée, ou parce qu’elles ont peur des conséquences. C’est leur faire croire que refuser un rapport sexuel revient à mettre en danger l’épanouissement et la confiance du conjoint – revient à compromettre le couple entièrement. C’est proposer aux femmes de s’abandonner à « un petit coup rapide », en sachant très bien qu’on parle de sexe sans préliminaires, sans caresses, donc le plus souvent sans plaisir.

La culture du viol, c’est s’interdire de s’arrêter quand le rapport a commencé, et/ou laisser le rapport déraper vers des pratiques non consenties. De 40 % à 75 % des femmes auraient connu au moins une situation de coercition « banale » dans leur vie : Noémie Renard propose ainsi de complexifier les niveaux de contrainte. Ainsi, la culture du viol, c’est quand on traite l’autre comme un objet, quand on éjacule sans prévenir sur une partie du corps, quand on se livre ou on essaie de se livrer à une sodomie-surprise ou à une fellation en gorge profonde. C’est quand on retire le préservatif secrètement, quand on continue alors que l’autre veut arrêter, quand on ignore des larmes ou des paroles pour juste « finir rapidement ». C’est quand on gifle ou qu’on tire les cheveux, qu’on étrangle sans se poser la question de savoir si c’est acceptable ou bien vécu (sachant que les magazines et la pornographie encouragent, en les banalisant, des actes de domination considérés comme innocents – « y a pas mort d’homme », « c’est fun »).

La culture du viol, c’est quand on affirme que les femmes sont masochistes, et qu’au pire, elles finiront par aimer ça. C’est affirmer qu’elles sont passives, c’est valoriser leur inexpérience et leur naïveté (il ne faudrait pas qu’elles soient trop « chaudes »). La culture du viol, c’est quand 25 % des Français pensent que les femmes ne savent pas vraiment ce qu’elles veulent, quand 20 % croient qu’une femme qui dit non pense souvent oui. La culture du viol, c’est quand on affirme que la douleur est normale, dangereuse, excitante… mais que cette injonction n’est valable que pour les femmes. C’est quand les trois quarts d’entre elles ont déjà eu mal pendant l’amour et qu’une sur dix souffre de douleurs persistantes – et que ces femmes n’en parlent pas.

Une culture se modifie, se contourne, se conteste


En somme, la culture du viol n’est pas seulement le fait de prédateurs. Elle existe dans nos mots, dans nos lâchetés, chez vous, chez moi : un constat à la fois accablant et enthousiasmant, qui nous pose toutes et tous en position de responsabilité. Et, de fait, une culture se modifie, se contourne, se conteste. On pourrait notamment travailler à dissocier notre érotisme de la prédation : il ne s’agit pas de détruire la pornographie ou de réécrire Carmen, encore moins d’interdire des œuvres d’art, mais de pouvoir critiquer le passé tout en créant des œuvres qui nous ressemblent, et des représentations moins cruelles. Pour cela, il faudra cesser de considérer la culture comme un monstre sacré et statique. Il faudra aussi se livrer au plus agréable des devoirs (et non, pas le devoir conjugal, justement !) : celui qui consiste à se débarrasser de notre pessimisme.

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