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vendredi 23 mars 2018

Le bébé fait preuve d’un esprit déjà logique

Une nouvelle étude montre que des capacités déductives primitives devancent l’acquisition du langage.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 

Nos bébés sont-ils des ­« détectives » précoces ? En un sens, oui ! C’est ce que suggère une étude publiée dans Science, le 16 mars. Avant même de déployer leurs compétences de langage parlé, nos bambins semblent capables d’une forme de déduction logique. Plus précisément, ils montrent un raisonnement de type « syllogisme disjonctif », qui permet de dire : « Dans le cas où seulement une des deux propositions A ou B est vraie, si A est fausse, alors B est vraie. »
Depuis plus de quarante ans, les neurosciences cognitives n’ont cessé d’éroder le cliché selon ­lequel les nourrissons ne seraient que des ventres. « Depuis les ­années 1970, des centaines d’expériences ont mis en évidence les ­multiples compétences du bébé », relève Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentaleau Collège de France. « Même de jeunes enfants peuvent être vus comme de petits scientifiques capables d’inférences logiques », souligne Justin Halberda, de l’université Johns Hopkins de Baltimore (Maryland), dans un commentaire associé dans Science. Pour autant, « ce ­concept se heurte souvent à l’incrédulité. Après tout, le raisonnement logique semble demander beaucoup d’efforts conscients et de ­capacités linguistiques ».


Bébés de 12 à 19 mois


La nouvelle étude dans Science a été menée chez des « enfants » au sens premier du terme – du latin infans, « qui ne parle pas ». Les auteurs, chercheurs à l’université de Barcelone, ont présenté une ­série de courtes vidéos à des bébés de 12 et de 19 mois (vingt-quatre enfants de chaque âge). Sur un film mis en ligne par ces scientifiques, on voit un bambin joufflu suivre avec attention une de ces vidéos, assis sur les genoux de sa mère.

Les bébés regardent d’abord deux objets dessinés qui diffèrent par la forme, la couleur, la catégorie – par exemple, un dinosaure et une fleur –, mais leur partie supérieure est identique. Un écran masque ensuite ces deux objets. Puis un panier s’empare de l’un d’eux. L’enfant ignore lequel (il n’aperçoit que le haut de l’objet). L’écran est ensuite levé, révélant l’objet restant : le dinosaure, par exemple. Puis est présenté le contenu du panier. Dans la moitié des cas, la logique est sauve : c’est la fleur qui apparaît. Dans l’autre moitié des cas, le résultat est incohérent : c’est le dinosaure que contenait le panier.

Pendant que les enfants regardaient ces vidéos, les auteurs ­observaient… leur regard. A l’aide d’une technique d’eye tracking, ils enregistraient les mouvements des yeux des bébés balayant l’écran. Résultat : les enfants fixaient plus longuement les ­résultats incohérents. Quand le ­résultat était cohérent, les bébés de 12 mois regardaient l’objet ­durant 6,2 secondes en moyenne ; quand il était incohérent, durant 7,6 secondes. Chez les mouflets de 19 mois, ces durées étaient respectivement de 7,7 et de 10,5 secondes. Ainsi, face à un résultat violant les prévisions, les bébés marquent de la surprise, suggérant qu’ils font une inférence logique.

L’équipe espagnole a aussi ­mesuré la dilatation de leurs ­pupilles. Verdict : les pupilles se ­dilataient au moment de la « phase de déduction potentielle », quand l’écran était levé. Un signe supplémentaire de déduction logique, ­selon les auteurs. « Nos données établissent la présence de capacités déductives primitives », concluent-ils. « Tout enfant est dans une certaine mesure un génie », anticipait Arthur Schopenhauer, en 1819, qui ajoutait : « Et tout génie est en quelque façon un enfant. »

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