Utiles pour les dépressions sévères, ces traitements ne semblent pas très opérants dans les autres cas. Et l’évaluation de l’effet placebo est toujours discutée.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Catherine Mary
Dans quelle mesure les antidépresseurs sont-ils efficaces, et quelle est la part de l’effet placebo dans la guérison des patients ? Au total, plus d’une quarantaine de ces molécules sont commercialisées à travers le monde.
Apparus dans les années 1950-1960, les antidépresseurs de première génération (tricycliques et inhibiteurs de monoamine oxydase) sont aujourd’hui moins utilisés du fait de leurs effets secondaires. Ils ont été principalement remplacés par des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), développés à partir des années 1980-1990, avec comme chef de file la fluoxétine (Prozac).
Leur conception a été motivée par une hypothèse jamais démontrée attribuant la dépression à une baisse de la concentration en sérotonine, considérée comme l’hormone du bonheur dans le cerveau. Mieux tolérés que les premiers antidépresseurs, les produits actuels – dont certains agissent aussi sur la noradrénaline – peuvent cependant provoquer une baisse de la libido, une prise de poids et de la fatigue ou de la somnolence.
Les experts s’accordent pour reconnaître que l’efficacité de ces médicaments est modeste, et leur contribution réelle à l’amélioration de l’état des patients reste discutée. « Dans 50 % à 70 % des cas, un premier traitement antidépresseur ne fonctionne pas et il est alors nécessaire d’en essayer un autre », estiment Adeline Gaillard et David Gourion dans leur ouvrage Antidépresseurs, le vrai du faux (Delachaux et Niestlé, 2015).
Piètre littérature scientifique
Une étude d’ampleur inédite, publiée dans The Lancet le 21 février, contribue à éclairer le débat, mais laisse des zones d’ombre. Elle a intégré les données issues de 522 études cliniques, totalisant près de 116 500 patients avec un trouble dépressif majeur. « Notre méthode nous a permis de comparer l’efficacité respective des antidépresseurs. Notre conclusion est qu’ils sont plus efficaces que le placebo pour les dépressions sévères chez l’adulte et nous avons pu établir une échelle d’efficacité à laquelle les médecins peuvent se référer, rapporte le psychiatre Andrea Cipriani, de l’université d’Oxford, au Royaume-Uni, premier auteur de l’article. En revanche, chez l’enfant et chez l’adolescent, un seul antidépresseur s’est avéré efficace [le Prozac]. »
Si elle a le mérite d’établir une gradation entre les 21 antidépresseurs les plus prescrits, cette étude se heurte, comme les précédentes, à la piètre qualité de la littérature scientifique. « Le problème n’est pas que les antidépresseurs marchent, mais que la littérature est problématique, commente le psychiatre et pharmacologue Florian Naudet (université Rennes-I), spécialisé en évaluation des thérapeutiques. Par exemple, sur l’ensemble des patients inclus dans l’étude dirigée par Cipriani, le placebo est le traitement le plus fréquemment utilisé. Il est rare, lorsqu’un nouvel antidépresseur est évalué, qu’il soit comparé à un autre antidépresseur déjà commercialisé, car les agences de régulation sanitaire qui accordent l’autorisation de mise sur le marché ne l’exigent pas assez. Les nouveaux antidépresseurs sont donc comparés à un placebo. » Par ailleurs, ajoute-t-il, « les études négatives sont fréquentes et ne sont pas publiées, ce qui explique que, pendant longtemps, l’efficacité des antidépresseurs a été surestimée. D’où la nécessité, comme cela est fait depuis quelques années, de prendre en compte l’ensemble des études, publiées comme non publiées ».
Pouvoir de l’effet placebo
L’écueil est d’autant plus problématique que l’effet placebo joue un rôle majeur dans le traitement contre la dépression. « Il y a des patients qui vont bénéficier des antidépresseurs, mais d’autres dont l’état va s’améliorer parce que la dépression s’améliore seule et qu’il y a une alliance thérapeutique qui fonctionne avec le psychiatre », complète le docteur Naudet. « Ce qu’il y a de particulier dans la dépression, c’est que l’effet placebo est très fort. Il faut donc intégrer cette dimension à l’évaluation des antidépresseurs », confirme le psychiatre Jean-Nicolas Despland, du CHUV de Lausanne.
Il poursuit : « La question passionnante, c’est : “Est-ce qu’on doit retrancher l’effet placebo de l’effet de l’antidépresseur, ou est-ce que ce n’est pas un effet global ?” L’antidépresseur en lui-même a un effet symbolique, et on peut se demander si son intérêt n’est pas de renforcer l’effet placebo. Je ne pense pas qu’il y ait une réponse simple à cette question. »
Autre faille de la littérature, les soupçons de ghostwriting. Cette pratique opaque consiste en la publication d’une étude signée par un expert renommé, mais rédigée par un auteur fantôme payé par l’industrie pharmaceutique. Il s’agit ainsi de déployer un argumentaire commercial en jouant sur la crédibilité des revues médicales. Si l’impact de cette pratique est méconnu, elle est au moins documentée pour une étude publiée en 2001 et financée par la firme GSK, concluant à l’efficacité d’un de ses antidépresseurs, la paroxétine. Ce n’est qu’en 2015 qu’une nouvelle évaluation a montré que cet antidépresseur n’était ni efficace ni bien toléré.
Dans les années à venir, le débat sur l’efficacité des antidépresseurs pourrait bien rebondir, avec l’arrivée d’une nouvelle classe thérapeutique : les dérivés de la kétamine, qui agissent sur un autre neurotransmetteur, le glutamate. Déjà commercialisés comme anesthésiants, ils sont actuellement en cours de tests cliniques dans la dépression, avec des premiers résultats prometteurs.
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