Didier Bille, ex-directeur des ressources humaines, dénonce les pratiques inavouables des entreprises pour « attirer, lobotomiser, casser, jeter » les salariés.
Longtemps il a licencié « pour des raisons futiles », « convaincu que cela était nécessaire à la bonne santé de l’entreprise ». Didier Bille, ex-directeur des ressources humaines, dénonce dans un brûlot sans concessions les pratiques inavouables des entreprises pour gérer les salariés. « Un licenciement exemplaire », « Risquer la vie des autres, c’est bankable », « Licenciez-les tous, Pôle emploi reconnaîtra les siens », « Discriminez, discriminez, il en restera toujours quelque chose », les titres de chapitre donnent le ton de ce livre-témoignage, qui dit tout haut ce que chacun voit parfois entre les murs de l’entreprise.
Avant de décrire l’activité de directeur de ressources humaines, dans ce qu’elle peut avoir de plus noire : une machine à broyer les salariés, l’auteur prend le soin, en préface, d’avertir qu’il aime son métier. On comprend qu’il l’a aimé. La définition qu’il donne de la mission des ressources humaines est volontairement réduite à quatre mots : « attirer, lobotomiser, casser, jeter ». Dans son parcours professionnel, le côté « humain » des DRH a presque toujours relevé « d’initiatives personnelles et non d’une politique ou d’une volonté d’entreprise », précise-t-il.
La force des détails
Mais la force de cet ouvrage est dans les détails, dans la description de méthodes mises au service d’un cynisme sans borne, qu’il a lui-même « exécutées », avec parfois la volonté d’instaurer une culture de la peur. « L’entretien préalable [de licenciement] bien mené est un travail d’équipe dans lequel les ressources humaines et le salarié creusent ensemble la tombe de ce dernier », écrit ainsi l’auteur.
Il explique comment « se prémunir contre un recours » ; comment « casser suffisamment la victime pour qu’elle n’aille pas en justice », en donnant au passage un coup de griffe au rôle parfois contre-productif de la défense syndicale. Il raconte aussi pourquoi selon le profil du salarié « à licencier », le RH va lui conseiller un avocat (ou pas).
L’auteur présente les méthodes pour réaliser les objectifs de réduction d’effectif fixés aux DRH, parfois sans autre motivation que « l’envie de se débarrasser de quelqu’un », grâce à de fausses raisons, des pratiques illégales comme la sous-notation des compétences des salariés, ou avec force coups bas : « la moindre suspicion de faute était sanctionnée par un licenciement. Les lettres anonymes dénonçant l’un ou l’autre étaient également prises pour argent comptant », écrit-il. Les managers qui ont tenté de s’opposer à ces méthodes douteuses ont été licenciés, ajoute-t-il.
S’il y a négociation, il faut convaincre voire contraindre le salarié de signer une transaction quand il est encore sous l’influence de l’entreprise, avant l’envoi de sa lettre de licenciement, explique-t-il, car une fois dehors le salarié « risque de reprendre ses esprits et de consulter un avocat compétent qui fera monter les enchères ». Comble du cynisme : « si la cible [du licenciement] était bien choisie, et un peu conditionnée, trente minutes suffisaient pour toutes les formalités », témoigne l’auteur. Le propos n’est pas d’accuser des entreprises en particulier, mais de dénoncer la déshumanisation de la gestion du personnel.
« Les plus grands coupables de discrimination »
Tous les sujets abordés sont à l’avenant. Les réseaux sociaux ? Une mine d’informations personnelles, scrutées par les RH « si on souhaite étoffer un dossier » sur un salarié.
La sécurité des salariés ? « Si vous voulez avoir un bonus en fin d’année, on ne peut rien faire (...). On verra cela l’année prochaine », rapporte-t-il, signalant au passage qu’une pression est parfois exercée sur les salariés pour qu’ils ne déclarent pas leur accident du travail. « Si vous avez des ambitions de carrière, fuyez les postes en relation avec la sécurité, conseille-t-il, ce sont des voies de garage ».
Les critères de recrutement ? « Un jour, d’humeur taquine, je précisai au recruteur à qui je souhaitais confier la recherche d’un responsable financier que je préférais qu’il ne m’envoie que des candidats BBR (Bleu Blanc Rouge) », se souvient-il, ce qui est bien évidemment totalement proscrit pas la loi. Les cabinets de recrutement sont « les plus grands coupables de discrimination », affirme-t-il, avant de préciser que les RH y recourent toujours pour de multiples raisons.
« Les RH peuvent aussi faire un travail respectueux et constructif, concède toutefois l’auteur, pour peu que le sujet émarge à plus de 150 000 euros ou ait encore suffisamment d’influence dans l’entreprise ». Pas de quoi redorer leur blason. Didier Bille, en rouvrant tous les dossiers obscurs qu’il a connus dans les entreprises où il est passé, dresse un portrait à charge de la fonction RH.
« DRH. La machine à broyer. Recruter, casser, jeter », de Didier Bille. Le Cherche midi, 268 pages.
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