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vendredi 23 mars 2018

Ces jeunes brillants victimes du « syndrome de l’imposteur »

Impression de ne pas mériter sa réussite, peur d’être « démasqué »... Etudiants et jeunes diplômés sont nombreux à éprouver, parfois, le sentiment d’usurper leur place.

LE MONDE  | Par 


Un étudiant de Polytechnique et son bicorne en 2008.
Un étudiant de Polytechnique et son bicorne en 2008. FRANCOIS GUILLOT / AFP


« J’ai été sélectionné parmi de nombreux candidats : le jury s’est trompé. J’ai une bonne note : le prof a noté large. J’obtiens un stage dans un grand groupe convoité : la personne qui m’a fait passer l’entretien était pressée de régler l’affaire, etc. » A chacune des réussites de Carole (le prénom a été modifié), étudiante du master de gestion publique de l’université Paris-Dauphine et de l’ENA, revient en elle cette petite voix angoissante qui lui dit qu’elle ne les mérite pas, qu’elle n’est pas à sa place.

A l’image des dizaines de brillants étudiants ou jeunes diplômés ayant accepté de témoigner sur le site du Monde, Carole souffre du « syndrome de l’imposteur », que les psychologues préfèrent qualifier de « sentiment d’imposteur » ou « complexe de l’usurpateur ». Soit l’impression permanente de ne pas être à sa place malgré les « réussites objectives », de ne pas avoir de légitimité, de jouer un jeu. Avec la crainte d’être un jour « démasquée », comme elle dit.

Etapes charnières


« Le sentiment d’imposture n’est pas une maladie. C’est un moment d’inconfort psychologique sur fond de questionnements et de doutes sur ses compétences et sa légitimité, parfois après un succès, que l’on retrouve aujourd’hui régulièrement chez les étudiants qui nous consultent », commente la docteure Dominique Monchablon, psychiatre et cheffe de service du Relais étudiants-lycéens de Paris, qui dépend de la Fondation santé des étudiants de France. Il est selon elle « consubstantiel aux études » dans la mesure où« plus on apprend des connaissances, plus on mesure l’étendue de ce qu’on ne sait pas ».

Mais aussi parce qu’il intervient généralement aux « étapes charnières » de la vie du jeune adulte : passage du lycée à l’université ou à la classe préparatoire, de la licence au master, entrée dans une grande école, en doctorat, ou dans la vie professionnelle. En somme, chaque fois que le jeune accède « à un nouveau statut auquel il avait rêvé, qu’il avait idéalisé ». A ce moment-là, l’étudiant sort d’un « environnement familier » où « les règles du jeu et de la compétition » étaient connues. Il doit en apprendre de nouvelles, questionner ses connaissances, « passer du savoir au savoir-faire, ou au savoir-être », etc. De quoi en déstabiliser certains.

Le complexe de l’usurpateur est aussi le « pain quotidien » d’Anne Delaigue, la cheffe du service de psychologie de l’Ecole polytechnique, qui existe depuis 1946. « Ce n’est pas parce qu’on a intégré une grande école qu’on est sûr de sa légitimité et qu’on ne se pose plus de questions sur sa valeur », commente-t-elle. Bien au contraire, après le tunnel « bac-classe préparatoire-concours », c’est parfois « la première fois qu’un élève peut s’interroger sur sa place », ses connaissances ou compétences par rapport à l’avenir professionnel qui s’ouvre à lui et dont il a la responsabilité. De plus, les élèves ont parfois du mal à vivre « l’image idéale » qu’on peut avoir d’eux à l’extérieur. Comme lorsque, sur des terrains de stage, « on omet de leur apporter certaines explications parce qu’on présume que, venant de X, ils savent déjà tout ».

Etre à la hauteur de l’image qu’on renvoie


Cela est valable pour d’autres parcours prestigieux. Comme celui de Raphaël, étudiant en médecine de 28 ans, titulaire d’une thèse d’immunologie recruté pour son internat dans un hôpital prestigieux. « Quand on vous voit arriver avec ce genre de parcours, on place de très hautes espérances en vous, explique-t-il, et il est particulièrement difficile d’être à la hauteur. Cela pousse à penser qu’on est un imposteur. » Ou alors « on fait semblant, on se met dans la peau de celui dont on nous renvoie l’image, la “tête”, “l’intello”, [pour]les laisser croire qu’on sait. Et on flippe terriblement que l’on soit démasqué un jour », complète Sophie (prénom d’emprunt), géographe de 26 ans diplômée de l’Ecole normale supérieure.

Combien de personnes sont concernées par ce sentiment d’imposture ? « L’estimation est difficile à faire car, par définition, les personnes qui ont l’impression d’être des imposteurs dans un milieu en parlent rarement », commente Kévin Chassangre, docteur en psychologie, qui a consacré une thèse au sujet en 2016. Il rappelle cependant que les deux psychologues américaines ayant conceptualisé le phénomène à la fin des années 1970, Pauline Rose Clance et Suzanne Imes, estimaient que 20 % de la population, femmes et hommes confondus, peuvent en souffrir à un moment ou un autre de leur vie, et que ce sentiment s’atténue avec l’âge.

Les personnes qui souffrent de ce complexe, « pas grave lorsqu’il ne dure pas trop longtemps », selon Kévin Chassangre, l’expriment rarement directement. Cela peut se traduire par un manque de confiance en soi, une peur d’aller vers les autres ou de s’exprimer en public, du travail frénétique ou à l’inverse de la procrastination, jusqu’à des troubles anxio-dépressifs. Des signaux d’alerte auxquels sont de plus en plus attentifs les établissements d’enseignement supérieur et les psychologues qui y font des consultations.

Stopper « l’hémorragie narcissique »


« Le simple fait d’en parler, de mettre des mots sur ce sentiment, de leur expliquer qu’ils sont nombreux à le ressentir, suffit à ce qu’ils aillent mieux », commente Anne Delaigue, de l’Ecole polytechnique. Un des moyens les plus « structurants » pour aider les étudiants à sortir de cette « désastreuse image d’eux-mêmes », de les réconcilier avec leur parcours et leur succès, est de leur offrir la possibilité d’un travail de thérapie analytique.

L’objectif est d’accorder une « pause » au jeune pour éviter qu’il soit « débordé par son anxiété, qu’il bloque devant les futurs obstacles », complète Christophe Ferveur, psychologue clinicien et président du Réseau de soins psychiatriques et psychologiques pour les étudiants. Et pour éviter la prophétie autoréalisatrice inconsciente qui consiste à se mettre en échec pour se confirmer qu’on était bien un imposteur.

Le parcours du jeune répond-il, ou s’oppose-t-il, à une volonté familiale ? S’autorise-t-il à faire mieux que ses parents, si c’est le cas ?








Pour cela, les psychologues s’attachent d’abord à mettre le doigt sur les éléments objectifs de réussite pour « stopper l’hémorragie narcissique » « D’accord, vous ne savez pas tout, mais voyez votre brillant parcours ! », donne comme exemple le spécialisteLa seconde étape consiste à « revenir au moteur de l’ambition qui a permis la réussite », et de questionner ce qu’elle implique intérieurement ou socialement afin de mieux saisir d’où vient le sentiment d’imposture : le parcours du jeune répond-il, ou s’oppose-t-il, à une volonté familiale ? S’autorise-t-il à faire mieux que ses parents, si c’est le cas ? Y a-t-il un conflit de valeurs sous-jacent ?… L’objectif est d’aider le jeune à comprendre et à accepter sa réussite. Et à « utiliser cette période de doute comme une chance » pour trouver une nouvelle dynamique et de nouvelles motivations, explique Christophe Ferveur.

« C’est un long processus de se sentir légitime », conclut Léa (prénom d’emprunt). Récemment diplômée d’un institut de sciences politiques, elle a décroché son poste au ministère de l’intérieur un jour seulement après la fin de son stage. Six mois après, elle aussi a toujours « l’impression de ne pas mériter [sa] place », que cette embauche « était peut-être une erreur » ou qu’« ils manquaient de personnes à ce moment ». Mais « la réappropriation de mon succès est devenue un combat de tous les jours. Accepter les compliments sur mon parcours sans chercher des excuses pour atténuer ma réussite, c’est difficile, mais cela vient petit à petit ».

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