Des députés en commission des lois formulent huit propositions pour améliorer la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques. Ils abordent, sans la trancher, la question de l'opportunité d'étendre en détention les programmes de soins prévus dans le cadre des soins sans consentement, qui fait débat parmi les psychiatres.
En vue notamment d'avancer sur la future loi d’orientation sur la justice, quatre groupes de travail sur les conditions de détention mis en place au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale, ont présenté le 21 mars leurs conclusions (consulter la vidéo). L'un de ces groupes, confié au député Stéphane Mazars (La République en marche, Aveyron), vice-président de la commission, s'est consacré à la prise en charge des détenus présentant des troubles psychiatriques, problématique récurrente tant les insuffisances de cette prise en charge sont régulièrement rappelées. Notamment par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, d'ailleurs récemment auditionnée par la commission (lire notre article).Trois priorités identifiées
Au terme de ces travaux, a expliqué Stéphane Mazars, "se dégagent trois priorités qui devraient s’imposer aux pouvoirs publics dans les prochaines années". À savoir, mieux connaître les pathologies psychiatriques en détention, améliorer l’organisation de la prise en charge et "garantir, enfin, une réelle continuité des soins" en détention et à la sortie de prison. Dans ses conclusions, prochainement mises en ligne sur le site de l'Assemblée et dont Hospimedia a eu transmission, il formule ainsi huit propositions pour répondre à ces priorités.
Outre la nécessité d'une nouvelle enquête épidémiologique sur la prévalence des troubles psychiatriques en population carcérale, le député rappelle l'importance de "consolider et homogénéiser les moyens" consacrés aux trois niveaux de prise en charge. En premier lieu, par la définition d’un ratio minimal d’encadrement médical dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) et d’une offre "cohérente et régionalisée" dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ; mais aussi par le lancement de la seconde tranche des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), "en tirant les conclusions de l’évaluation de la première tranche". Stéphane Mazars rejoint ainsi les conclusions de sénatrices — quoique assorties de plus de réserves pour ces dernières — en juillet dernier (lire notre article).
Sujet sensible des programmes de soins
Il aborde par ailleurs l’opportunité d’étendre au milieu pénitentiaire le programme des soins qui "soulève de vifs débats dans le milieu de la psychiatrie" pénitentiaire. Il a rappelé la complexité en droit de ce dispositif. Juridiquement, ce programme obligatoire et mis en œuvre sans le consentement de la personne qui n’est pas en état de le donner, n’autorise toutefois pas l’usage de la contrainte, sauf à transformer la prise en charge proposée en hospitalisation complète (lire aussi notre analyse).
"Pour les partisans d’une telle évolution, que nous avons rencontrés à l’UHSA de Villejuif, elle serait particulièrement adaptée à la prise en charge médicale des personnes souffrant de troubles psychotiques, dont la pathologie repose sur une perte de contact avec la réalité", développe-t-il. Les patients, notamment les plus fragiles, cesseraient souvent leur traitement une fois revenus en détention. Aussi, un "suivi renforcé* contribuerait à freiner le recours à l’hospitalisation en UHSA, seul moyen aujourd’hui disponible pour éviter l’arrêt des soins en détention", via une hospitalisation sous contrainte. "La continuité des soins entre l’UHSA et la détention ne peut reposer, à leurs yeux, sur la seule coordination ou la communication entre praticiens, ni être conditionnée au consentement de la personne, souvent incapable de le donner", développe Stéphane Mazars.
"La question des programmes de soin en prison est une situation complexe, juridiquement infaisable actuellement et imposant une forme de double peine."Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire
À l’inverse, les syndicats et associations de professionnels de santé intervenant en détention s’opposent à une telle évolution, signale le député, qui a notamment auditionné l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). Le président de l'association, Michel David, confiait en effet en janvier dernier à Hospimedia que la question des programmes de soin en prison est "une situation complexe, juridiquement infaisable actuellement et imposant une forme de double peine". Proposer ces programmes fait "l'impasse sur la notion du consentement et d'une réflexion globale sur les soins contraints en psychiatrie et du contexte carcéral", estimait-il.
Sujet "trop complexe" pour le groupe de travail
Pour les détracteurs de l'extension de ces programmes en détention, "le programme de soins en milieu libre s’inscrit dans un dispositif de soins sous contrainte au détour d’une hospitalisation complète", explique le député. Si le consentement n’est pas nécessaire, il repose malgré tout sur une adhésion de la personne et une forme de contrainte à son égard. "Or les soins en milieu pénitentiaire doivent exclure toute contrainte médicale s’ajoutant à la contrainte que constitue l’enfermement en milieu carcéral". Par ailleurs, aux yeux de ces professionnels, une telle mesure augmenterait le risque de rupture de soins, de passages à l’acte auto et hétéro-agressif et in fine "entravera les possibilités d’inscrire [ces patients] dans une authentique démarche de soin", aggravant "encore un peu plus" le pronostic psychiatrique à long terme. "La sensibilité particulière du sujet, sa complexité juridique et ses implications médicales excèdent manifestement les limites imparties à ce groupe de travail", conclut sur ce point Stéphane Mazars, recommandant de "poursuivre la réflexion et la concertation avec les acteurs concernés".
Enfin, le groupe de travail propose d'assouplir les conditions d’application des articles 720-1-1 et 729 du Code de procédure pénale, en clarifiant le critère de l’incompatibilité durable de l’état de santé mentale avec le maintien en détention et en examinant l’opportunité d’étendre le bénéfice de la suspension de peine aux personnes admises en soins sans consentement.
* Cette notion de suivi renforcé a notamment été exposée pour les patients schizophrènes à l'occasion d'une séance à l'Académie nationale de médecine le 16 janvier, par Magali Bodon-Bruzel, chef du pôle fédérant le SMPR et l'UHSA de l'hôpital Paul-Guiraud à Villejuif (Val-de-Marne) et David Touitou, responsable de l'UHSA (lire ci-contre).
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