Par Camille Stromboni Publié le 8 mars 2021
REPORTAGE Dans deux cabinets de généralistes de la région Auvergne-Rhône-Alpes, les patients se montrent souvent suspicieux et inquiets face au vaccin qu’on leur propose.
« Je n’ai pas du tout envie, docteur, j’ai peur, ce n’est peut-être pas encore tellement au point, j’étais restée dans l’idée qu’il fallait plusieurs années pour faire un vaccin, j’ai des doutes… »Installée dans la salle de consultation de la maison de santé plantée au milieu des barres d’immeubles du quartier des Etats-Unis, à Lyon, Paulette, 90 ans, réagit avec inquiétude à la proposition de son médecin.
Avec entrain, le docteur Vincent Rébeillé-Borgella vient de lui annoncer qu’il pouvait la vacciner contre le Covid-19. En ce vendredi 5 mars, il a sous la main une dose supplémentaire d’AstraZeneca après des rendez-vous annulés, des contre-indications empêchant la vaccination, ou encore des doses surnuméraires extraites des flacons durant l’après-midi, où une trentaine de vaccinations étaient prévues avec lui et deux de ses associés.
Le médecin de 64 ans a donc souhaité en faire bénéficier sa patiente, venue pour un renouvellement d’ordonnance, en raison de son âge et de ses comorbidités. Depuis l’arrivée du vaccin d’AstraZeneca dans les cabinets des généralistes le 25 février, les réactions comme celles de Paulette ne sont pas rares. Le produit souffre d’une image négative. Qu’ils acceptent ou non d’être vaccinés, les questionnements sont nombreux chez des patients méfiants qu’il faut rassurer et convaincre.
Vincent Rébeillé-Borgella ne se démonte pas et s’attelle à la discussion avec cette patiente qu’il suit depuis plus de trente ans. Le docteur aligne les études scientifiques. « Par rapport à ce que l’on sait, cela vaut le coup, on a le recul. » Il concède que les premières études faisaient état d’une efficacité moindre par rapport au vaccin Pfizer, avant de rappeler que les choses ont évolué depuis avec des données plus récentes.
« Et vous, vous êtes vacciné ? »
« Mais elle est très faible. Et si elle attrape le Covid-19 à cause du vaccin ? », poursuit la femme qui accompagne Paulette. Les questions s’enchaînent, le médecin répond aussi avec son expérience personnelle. « Je me bats pour que mes patients soient vaccinés, j’ai vu trop de patients attraper le Covid-19 et mourir », dit l’homme qui exerce dans le quartier populaire depuis trente-sept ans.
« Je ne sais pas, je suis très hésitante », reprend la dame de 90 ans. « Oh, et si je l’attrape, je partirai », lance-t-elle. « Ce n’est pas une mort facile », rétorque le généraliste avant de conclure : « Vous réfléchissez ce week-end, et vous me rappelez lundi. » « Et vous, vous êtes vacciné ? », demande-t-elle avant de partir.
La dose refusée terminera finalement dans le bras d’un soignant du cabinet, où pas une dose n’est gâchée, grâce à une liste de secours permettant d’appeler aussi, en dernière minute, d’autres patients volontaires.
Malgré les réticences, le docteur lyonnais et ses associés ont pu jusqu’ici remplir leurs rendez-vous sans difficultés. A entendre les médecins, les refus sont souvent une porte laissée ouverte pour plus tard. Ils varient selon les patientèles, entre un non pour dix personnes appelées pour tel médecin, jusqu’à un tiers ou la moitié pour tel autre.
Changement de braquet
Initialement annoncé pour les 50-64 ans avec comorbidités, l’AstraZeneca a entre-temps été étendu, à compter du 2 mars, à l’ensemble des plus de 50 ans, en commençant par ceux avec des comorbidités, a annoncé le gouvernement. Un changement de braquet rapide qui rend difficile l’organisation – les vaccins doivent être commandés une semaine à l’avance – mais aussi les échanges avec les patients. Ce vaccin n’était-il pas déconseillé au plus de 65 ans ? Pourquoi ont-ils changé les règles ? N’est-ce pas dangereux ?
« Certains se sont mis dans la tête que l’AstraZeneca n’était pas bon pour eux, décrit la secrétaire médicale, Marie-Ange Abiyou. Maintenant, ils sont méfiants. » Parmi les personnes que la jeune femme de 25 ans appelle pour leur proposer un rendez-vous, il y a les « angoissés », rapporte-t-elle, ceux qui « hésitent », ceux qui « veulent d’abord voir les effets sur les autres » et ceux qui « préfèrent le Pfizer ».
Madeleine Bruchet-Jonyk n’a pas eu ce genre d’atermoiements. Il lui a suffi que son médecin l’appelle. C’est la première vaccination à domicile du docteur Rébeillé-Borgella, qui n’a eu qu’à monter les étages de l’immeuble juste en face du cabinet, dans lequel vit sa patiente de 87 ans, qui ne souhaite plus sortir de chez elle. « Je lui fais confiance, ça fait si longtemps qu’il me suit, je ne sais pas si je l’aurais fait sinon », dit la grand-mère de quinze petits-enfants, six arrière-petits-enfants, dont les photos sont étalées sur les murs, buffet en bois et table avec toile cirée au milieu de la pièce.
Mais dans le cabinet du médecin, les choses ne se passent pas toujours comme prévu. « Il n’y a pas assez de recul sur le vaccin », répète fébrilement un cinquantenaire, qui souffre notamment d’anorexie. Il avait accepté le rendez-vous il y a quelques jours mais, aujourd’hui, la panique monte. « Je n’ai pas de problèmes cardiaques, je fais du sport, je ne suis pas vraiment à risque », se justifie-t-il, alors que l’interne en médecine, qui a pris le relais du docteur, reprend calmement les éléments d’explications, un par un. « Et s’il procure d’autres problèmes plus tard ?, dit-il. Et s’il m’arrive un truc, avec les effets secondaires, ce sera ce week-end et le docteur Rébeillé ne sera pas là… » La discussion se conclut en faveur d’un rendez-vous ultérieur : « Aujourd’hui, psychologiquement, je suis pas prêt, je veux le faire un jour, mais pas aujourd’hui. »
« Il faut faire beaucoup de pédagogie »
Cinquante kilomètres plus au sud, dans le village de Saint-Pierre-de-Bœuf (Loire), au bord du Rhône, en dessous des vignes, les onze patients inscrits au planning de la docteure Bénédicte Hauvespre ont tous accepté de se faire vacciner, samedi 6 mars dans la matinée. Mais souvent à reculons. « Globalement, ça se passe bien, les patients nous font confiance, dit la généraliste de 38 ans, qui installe quelques chaises dehors, pour une seconde salle d’attente à l’extérieur. Mais nous avons énormément de questions, d’inquiétudes, de suspicions… Tout le monde s’est fait abreuver d’informations médicales qu’il ne maîtrise pas, c’est compliqué pour les gens de prendre une décision… »
Avec une difficulté supplémentaire pour ce dernier venu, l’AstraZeneca : « Il y a eu l’impression que c’est un vaccin de “seconde zone”, il faut faire beaucoup de pédagogie, il y a toute une partie de la population à rassurer », ajoute-t-elle, en montrant sur son ordinateur les outils qu’elle utilise « pour discuter et convaincre », comme ce tableau qui résume les risques avec et sans le vaccin par rapport à la maladie.
Josiane Henocque, 60 ans, est certes venue, mais elle reste très angoissée. « Je n’étais pas pour le vaccin et je ne le suis toujours pas, dit-elle alors qu’elle attend son tour. C’est assez flippant, un vaccin fait tellement vite, et l’AstraZeneca, ma fille, infirmière en Moselle, m’a dit qu’ils ne le font plus chez eux, parce qu’il y a trop de trucs qui se passent après, trop d’effets secondaires, je crois plus ma fille que les journaux. » Si elle fait le vaccin aujourd’hui, c’est pour une seule raison : elle est certaine qu’un passeport sanitaire va être mis en place. « Je veux pouvoir continuer à prendre le train pour voir mes enfants. »
Fortement questionnée sur les effets secondaires, la docteure Hauvespre rappelle, à chaque rendez-vous, le numéro à appeler pour joindre le médecin du canton de garde, en cas de problème durant le week-end, tout en expliquant que ces symptômes pseudo-grippaux, constatés à ce jour, sont des effets secondaires classiques sans gravité, nécessitant la prise de paracétamol.
« Je pense que la vaccination est la seule issue pour sortir de cette épidémie, soutient Arlette Rivory, 66 ans, qui prend la suite. Mais je ne vous cache pas que j’ai une certaine appréhension. Les effets secondaires, ça ne met pas forcément en confiance, ça déstabilise aussi de voir que les soignants n’adhèrent pas à l’AstraZeneca… »
Une petite musique proche du complotisme
Dans la bouche de chacun, les informations données dans la presse reviennent en boucle. « Il y a des articles de journaux sur Internet qui disent qu’il ne faut pas le donner aux soignants, souligne Sébastien Sili, 51 ans, automaticien. Voir le vrai du faux, c’est compliqué quand même. » Il est venu se faire vacciner avec sa femme, aide-soignante à l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du village de 1 700 âmes, elle aussi réticente jusqu’au coup de fil de son médecin. « Nous avons eu un gros cluster en décembre [2020], ça a quand même fait aussi pencher la balance », dit-elle.
Pas toujours facile cependant pour le médecin de trouver les mots pour convaincre. « Il nous faudrait tellement de temps, souligne Bénédicte Hauvespre. On a les données scientifiques pour apporter les explications, mais les choses bougent sans arrêt. C’est lourd à porter sachant qu’on est forcément dans une zone d’incertitude, ça ne fait pas dix ans qu’on fait ce vaccin et qu’on connaît cette maladie. »
Avec parfois une petite musique proche du complotisme qui laisse la docteure « un peu démunie ». « On reçoit des arguments qui ne sont pas accessibles à la discussion, résume-t-elle. Chez certains, tout ce qu’on avance, ça rentre dans leur idée qu’on est nous-mêmes manipulés… » L’aspect « politique »est plus marqué sur ce vaccin AstraZeneca, ressent-elle : « On est vus comme des courroies de transmission du gouvernement. »
A 63 ans, avec d’importants problèmes cardiaques, Michel (le prénom a été modifié) préfère que personne ne sache qu’il se fait vacciner. Son entourage est réticent. Lui-même n’était « pas chaud » : « Vu les infos à la télé, on entend de tout, que le vaccin ne marche qu’à 50 %, 60 %, 70 %… on sait plus trop, on entend que les essais cliniques, c’était pas les personnes âgées, finalement oui, ça fait douter… »
En discutant plus longuement, c’est l’ensemble de sa méfiance envers le discours des institutions qui ressort, entre ces « Ehpad qui ne comptabilisaient pas tous leurs morts » pendant la crise, ces « gens entrés à l’hôpital pour une maladie mais qui étaient déclarés Covid-19 ensuite », ou encore ce virus « qu’ils ont dû faire, à jouer les apprentis sorciers, comme Ebola ». Mais quand sa médecin l’a appelé, Michel a quand même dit « d’accord ».
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