par Kadiatou Sakho publié le 9 mars 2021
Selon Marie-Claire Kakpotia Moraldo, directrice d’un centre de prise en charge de femmes excisées à Bordeaux, le parcours de soins des victimes de mutilations génitales reste très compliqué, malgré la mobilisation des associations pour les repérer et les orienter.
En France, les autorités médicales estiment à 125 000 le nombre de femmes victimes d’excision. Un acte pratiqué au nom de croyances culturelles, religieuses et sociales dans plusieurs parties du monde. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, Marie-Claire Kakpotia Moraldo revient sur l’accompagnement dont bénéficient les jeunes filles et les femmes excisées en France. En septembre, elle a notamment créé une unité de soins régionale, à Bordeaux, avec son association les Orchidées rouges, lancée en 2017.
Quel est le profil des personnes excisées en France ?
Habituellement, cet acte est commis durant l’enfance ou l’adolescence des filles. Certaines ont été excisées à l’étranger avant de venir habiter en France. D’autres sont nées sur le territoire français et ont été excisées avec ou sans le consentement de leurs parents au cours d’un voyage dans leur pays d’origine. Il y a aussi quelques femmes qui ont été excisées sur le territoire français. Il faut noter que notre association, les Orchidées rouges, est sollicitée par beaucoup de femmes originaires de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la Guinée-Bissau, du Nigeria et d’Egypte. Si elle n’est sollicitée par quasiment que des femmes noires, c’est parce qu’il y a un travail autour de la libération de la parole qui est un peu plus avancé au sein de leurs communautés par rapport à d’autres en France ou à l’étranger. Les acteurs sociaux et médicaux y sont pour quelque chose. Lorsque les professionnels osent parler de ce sujet tabou, ils ont tendance à le faire seulement avec des femmes noires. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on oublie parfois qu’il y a aussi des femmes maghrébines, hispaniques, asiatiques et européennes excisées en France. Par exemple, dans certains peuples en Tchétchénie ou en Russie, des filles sont excisées. Il faudrait avoir une vision globale des mutilations pour lutter contre cela. Notre association essaie de travailler sur cette problématique au quotidien.
Comment fait-on pour repérer les victimes d’excision ?
Les associations développent des partenariats avec d’autres structures pour pouvoir repérer les femmes excisées. Avec mon équipe, on est en lien avec des associations au niveau régional, national et international. C’est très important de travailler avec des structures étrangères parce que, pour régler le problème, il faut aller à sa source. C’est bien beau de mettre des dispositifs en place en France, mais si on ne fait rien à l’étranger, nos actions n’auront pas de grands impacts. En France, on travaille avec le barreau et le CHU de Bordeaux. On aimerait aussi faire un travail avec l’Education nationale pour sensibiliser et repérer des filles qui pourraient être excisées. Toutes ces structures orientent les victimes vers notre association. Il y a des femmes qui ont le courage de nous contacter d’elles-mêmes parce qu’elles nous découvrent sur Internet. Mais elles sont très minoritaires. L’excision, c’est encore un sujet tabou malheureusement.
Comment se déroule l’accompagnement des victimes ?
Chaque structure de soins a son protocole. Il y a quelques structures pluridisciplinaires, notamment en région parisienne, mais ce n’est pas le cas sur tout le territoire français. Dans notre unité de soin, on a une équipe pluridisciplinaire pour que les femmes ne soient pas baladées d’une structure à une autre. Cela évite qu’elles racontent à chaque fois leur histoire, ce qui peut être très douloureux pour elle. On a une équipe de vingt-cinq professionnels réunis en un seul lieu. Elle est composée de gynécologues obstétriciens, d’un chirurgien formé à la chirurgie réparatrice de l’excision, de psychologues, de sexologues, d’une avocate, d’une professeure de yoga, etc.
Une infirmière et un médecin spécialisés dans le recueil de témoignages ont pour mission d’accueillir en premier la victime. Après cet entretien, elle accepte ou non de suivre un parcours personnalisé de soins chez nous. Il permet de se réapproprier son corps, sa sexualité et de s’insérer socialement et professionnellement. La chirurgie réparatrice vient en complément. Toutes les femmes n’en ont pas besoin. Celles qui ont subi une infibulation sont obligées de passer par la case opération. L’infibulation implique l’ablation de tout ou partie des organes génitaux externes, et la couture ou le rétrécissement de l’orifice vaginal.
Vous avez vous-même subi une excision au cours de votre jeunesse. Qu’est-ce qui est le plus difficile dans le processus de reconstruction ?
Je pense que la plus grande difficulté est de se dire qu’on va à l’encontre de valeurs qu’on nous a inculquées depuis petite. C’est-à-dire qu’au début, on se construit en pensant qu’on renie sa famille, ses origines et sa communauté. Les acteurs sociaux et médicaux sont là pour nous prouver le contraire. Ils nous aident à comprendre que le parcours de soins dont on bénéficie nous permettra de retrouver une bonne estime de nous et une meilleure santé. La paix que cela nous procure est bien plus importante que le respect de cette tradition et de ce qui en découle. Je pense que chaque femme excisée a besoin d’entendre cela, surtout lorsqu’elle n’est pas accompagnée par sa famille dans sa reconstruction.
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