par Collectif Santé en danger publié le 13 mars 2021
Nous sommes des membres du corps soignant, de toutes les professions qui le composent. Nous sommes dans nos villes, nos campagnes. Nous sommes libéraux, salariés, fonctionnaires. Soigner est notre but, le système de santé, notre outil de travail. En tant qu’utilisateur de cet outil, nous souhaitons manifester notre inquiétude. En effet, les prochaines décennies seront celles de la contrainte écologique. Notre système santé n’y est pas préparé. Nous craignons pour sa survie.
Médicaments, chirurgie de pointe, imagerie médicale, services de réanimation, vaccins, recherche médicale, Samu, néonatalogie, thérapies ciblées… Tous ces exemples illustrent les avancées indéniables en matière de santé publique des décennies passées. Les résultats sont indiscutables : augmentation de l’espérance de vie, éradication de maladies, prise en charge de pathologies autrefois incurables, etc. Voilà peut-être le vrai sens du mot «Progrès», avec son «P» majuscule. L’envers du décor, lui aussi, est impressionnant. Une consommation phénoménale d’énergie (3 millions de tonnes équivalent pétrole par an soit 35 milliards de kWh) correspondant à 2% de l’énergie finale consommée en France. Energie qui, nous le rappelons, est à plus de 60% d’origine fossile. Quelque 700 000 tonnes de déchets incluant près de 20% de déchets d’activités de soins à risque infectieux dont le traitement est coûteux, énergivore et polluant ; environ 800 litres d’eau par jour et par lit d’hôpital ; des intrants à n’en plus finir (nourriture, médicaments, dispositifs médicaux, papeterie…) représentant environ le quart de la facture carbone de la santé ; des déplacements de patients, de personnels et de visiteurs souvent en véhicules thermiques (voitures, ambulances, hélicoptères…) ; enfin, une grande quantité de matériel high-tech immobilisé avec les métaux rares qu’ils contiennent (hémodialyseurs, IRM, respirateurs de réanimation, automates de laboratoire…). Tous ces flux physiques, nécessaires à la structuration de notre système de santé, constituent la face cachée de celui-ci. Le constat est sans appel. La santé moderne est extrêmement émettrice de gaz à effet de serre (GES) : 35 millions de tonnes équivalent CO2 par an, 5% de l’empreinte carbone de la France. Et, de fait, elle est aussi extrêmement dépendante des combustibles fossiles.
Notre mission de soignant
Le dérèglement climatique et ses conséquences, décrites par les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), nous incitent à limiter au maximum son importance, ce qui implique une réduction tout aussi importante de nos émissions de GES. Comment imaginer y parvenir sans impliquer le système de santé dans cet effort ? Une étude publiée en février dans The Lancet précise que le respect des objectifs de réduction des émissions de GES prévues par l’accord de Paris préserverait chaque année des millions de vies dans le monde, comparativement aux objectifs nationaux de réduction annoncés (NDC) et ce dès 2040. Primum non nocere (d’abord, ne pas nuire), apprenons-nous…
Ensuite, le dérèglement climatique amène de nouveaux défis sanitaires, sans doute les principaux de ce siècle. Sécheresses, catastrophes naturelles, canicules, zoonoses ou peut-être, un jour, la malnutrition… Le rapport The Lancet Countdown de 2020 confirme que les capacités des systèmes de santé à faire face aux chocs sanitaires futurs sont insuffisantes et notamment en France. La crise sanitaire du Covid-19 nous en donne d’ailleurs un aperçu plutôt saisissant. Pourtant, nous allons bien devoir faire face à tous ces nouveaux défis, il en va de notre honneur, c’est notre mission de soignant.
Enfin, vient la dépendance aux combustibles fossiles. Nous, soignants, connaissons le sujet. Qui dit dépendance, dit manque et les symptômes qui l’accompagnent… L’hôpital est accro au pétrole, il a besoin de sa dose de psychostimulant noir. En manquera-t-il un jour ? Les rapports «World Energy Outlook» de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ainsi que celui du Shift Project de juin semblent indiquer que oui… Il y a donc effectivement un «risque» pour nos ambulances, nos médicaments made in ailleurs et notre matériel médical moderne, tous bien utiles (indispensables ?) pour soigner.
Repenser une médecine préventive de proximité
Nous demandons donc aux pouvoirs publics d’ouvrir les yeux vis-à-vis de tous ces signaux qui, bientôt, ne seront plus faibles. Nous demandons qu’une réflexion prioritaire soit menée, afin de rendre notre système de santé le plus résilient possible à cette contrainte. Prenons l’exemple du système de santé britannique (NHS) qui, en février 2020, s’est engagé dans une démarche visant la neutralité carbone totale.
Nous pensons que la meilleure façon de garantir cette résilience est de diminuer la charge qui pèse sur les structures les plus dépendantes de l’énergie. Moins nous aurons besoin de soins curatifs, plus l’adaptation sera facile. Nous estimons de ce fait qu’un plan de prévention sanitaire courageux et ambitieux est à la fois indispensable et urgent. Il s’agirait de repenser une médecine préventive de proximité, d’accepter de lutter contre certains lobbies (alcool, agro-alimentaire…) et de réorienter les crédits publics de la recherche médicale vers la prévention.
De même, le système de financement des établissements sanitaires par la tarification à l’activité (T2A) incite à «produire» du soin. Est-il pertinent vis-à-vis de la contrainte écologique ?
Enfin, la relocalisation de la production de médicaments et de dispositifs médicaux garantirait l’indépendance de la France et diminuerait l’empreinte carbone de la santé.
Nous le répétons : soigner est notre objectif. La santé est un bien commun que nous devons préserver. L’histoire récente nous l’a montré. Le 26 décembre, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS déclarait : «La pandémie a mis en évidence les liens intimes entre la santé des humains, des animaux et de la planète.»
Prenons tous ensemble conscience de l’existence de ces liens, afin de préserver l’ensemble durablement.
Sources :
• «Réalisation d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre : secteurs établissements sanitaires et médico-sociaux». Ademe, 2020. 118 pp. Clés pour agir.
• «Vers un plan de transformation de l’économie française en faveur du climat et de la résilience». The Shift Project, juillet 2020. 272 pp.
• «Changement climatique et terres émergées». Giec, 2019.
• «World Energy Outlook 2018». IEA Publications, 2018.
• Auzanneau, Matthieu. «L’union européenne risque de subir des contraintes fortes sur les approvisionnements pétroliers d’ici 2030». The Shift Project, 2020.
• Ottaway, Bénédicte. «NHS britannique, le carbonexit est enclenché». Le C2DS, février 2020.
• Hamilton, Ian. «The Public Health Implications of the Paris Agreement : a Modelling Study». The Lancet, février 2021.
Fondé par le médecin anesthésiste-réanimateur Arnaud Chiche le 27 juillet 2020, Collectif Santé en danger est aujourd’hui une association loi 1901 qui compte plus de 9 200 adhérents. Le collectif Santé en danger défend la parole et les revendications de l’ensemble des professionnels de santé, du privé comme du public. Accompagnés de Paul-Simon Pugliesi, médecin réanimateur au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône et animateur du groupe de travail environnement du collectif Santé en danger, les soignants sonnent l’alerte quant à la durabilité du système de santé en France. Ils revendiquent une prise de conscience des pouvoirs publics.
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