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lundi 8 mars 2021

Retour sur Comment la lutte contre les violences obstétricales s’est imposée

par Lea Mormin Chauvac  publié le 7 mars 2021

Le 7 mars, le collectif de lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques Stop VOG appelait à un rassemblement pour dénoncer des actes médicaux effectués sans le consentement des patientes. L’Amérique latine, première terre de mobilisations, a fait de ces actes un objet de lutte et un sujet de recherche.

Sur le Power Point, les femmes sont comparées à des juments – «celles qui ont des grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais c’est celles (sic) qui mettent bas le plus facilement». Le 7 décembre 2018, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) se réunit à l’occasion de son congrès annuel. La citation projetée sur grand écran est extraite d’un roman historique écrit par un gynécologue, Yves Aubard. Elle choque. Sur son compte Twitter, le réseau militant Osez le féminisme dénonce, en plus de ce parallèle insultant, deux ateliers aux intitulés évocateurs : «Ces prétendues violences obstétricales: les enjeux juridiques» et «Comment se prémunir des plaintes pour attouchement sexuel». Deux communications dont les titres disent bien le malaise du secteur gynécologique depuis que des femmes ont commencé massivement, il y a quelques années, à raconter publiquement les violences et humiliations endurées au cours de leur parcours de soin, et particulièrement pendant leur grossesse et leur accouchement.

D’un côté, la fin d’une omerta. Depuis quelques années, des patientes s’expriment, notamment sur les réseaux sociaux, grâce à des hashtags comme #PayeTonGyneco ou #PayeTonUterus. Elles racontent avoir subi des interventions chirurgicales non désirées, perçues comme violentes et inutiles, et s’être senties maltraitées par le personnel hospitalier. De l’autre, une communauté soignante au rythme de travail infernal, ébranlée par une séquence de libération de la parole souvent mal vécue, juge l’expression «violence obstétricale» généralisatrice, stigmatisante. «Lorsque vous parlez de violences obstétricales, vous maltraitez notre profession dans son ensemble», écrit ainsi le président du CNGOF, Israël Nisand, dans une lettre à la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, après qu’elle a évoqué en juillet 2017 le taux très élevé (et erroné) de 75 % d’épisiotomies en France (1).

«Naissance humanisée»

Pourtant, le terme de violence obstétricale s’installe peu à peu. Circonscrite aux cercles féministes et militants il y a une dizaine d’années, l’expression est désormais utilisée fréquemment, notamment dans la recherche, où les travaux menés en sociologie et en histoire se multiplient. «Lorsque j’ai fait ma thèse sur l’accouchement il y a une dizaine d’années, le terme n’apparaissait pas du tout. Depuis deux ans, beaucoup d’étudiantes que je suis pour leur mémoire travaillent sur ces sujets» raconte Béatrice Jacques, sociologue de la santé à l’université de Bordeaux. Idem dans les sphères institutionnelles, puisque Marlène Schiappa commande à l’été 2017 un rapport sur les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical au Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et femmes. «Les actes sexistes sont courants dans le suivi gynécologique et obstétrical des femmes», constatent les autrices du rapport. Et ils restent «largement impunis». Le 6 décembre 2019, une conférence internationale consacrée au sujet a eu lieu à l’Institut national des études démographiques, à Paris.

Pour comprendre comment cette expression toujours controversée s’est imposée dans le débat public, il faut traverser l’Atlantique. Dans les années 90, l’Amérique latine est une terre de mobilisations en faveur de ce que l’on appelle la «naissance humanisée». «Dans ces pays l’interventionnisme médical a été perceptible dès les années 80 : les taux de césariennes ont flambé dans les zones urbaines alors qu’à l’inverse, les habitantes des milieux ruraux ou les femmes racisées accédaient difficilement à la médicalisation», explique Sezin Topçu, historienne et sociologue à l’EHESS, spécialiste des controverses autour des violences obstétricales.

Le concept de naissance humanisée permet de dénoncer la pathologisation de l’accouchement et son lot d’interventions médicales abusives, césariennes ou épisiotomies. La question s’est particulièrement posée en Amérique latine, explique Tania Romero Barrios, doctorante en sociologie à Paris-VIII, «où les femmes des Andes et de l’Amazonie pratiquent un type d’accouchement non reconnu avec des sages-femmes traditionnelles». «Le terme violencia obstétrica a été proposé par des ONG à la fin des années 90, avec l’idée d’une critique postcoloniale de la surmédicalisation»abonde Béatrice Jacques, sociologue de la santé.

En 2007, le Venezuela est le premier pays du monde à légiférer autour du concept de violencia obstétrica, défini comme «l’appropriation du corps et des processus de reproduction des femmes par le personnel soignant […] et l’interprétation pathologique d’un processus naturel». Le Mexique suit, puis l’Argentine en 2009, pénalisant à leur tour le traitement «déshumanisé» des parturientes, «l’abus de la médicalisation» et la «pathologisation des processus naturels».

Relation entre le corps médical et les patientes

En France, des militantes féministes se saisissent du terme au début des années 2010, «sans doute via un “effet Internet”», suppose Béatrice Jacques, qui cite également le travail de médias, et surtout des blogueuses. En 2014, Agnès Ledig, sage-femme libérale, publie un billet de blog sur le «point du mari», pratiqué après l’épisiotomie pour resserrer le vagin de la femme et augmenter le plaisir de son partenaire durant la pénétration. Les campagnes de témoignage se multiplient. Sur Twitter les hashtags #PayeTonUterus et #PayeTonGyneco, via le Tumblr «Je n’ai pas consenti», sont lancés à l’initiative de la juriste Marie-Hélène Lahaye… Surtout, en 2015, la publication d’un document de l’université de Lyon-Sud recommandant aux étudiants d’apprendre à faire des touchers vaginaux et rectaux sur des patients endormis fuite sur Internet. «Là, il s’est passé quelque chose», juge Ovidie, réalisatrice du documentaire Tu enfanteras dans la douleur consacré aux violences obstétricales. «Cet exemple parfait d’acte non consenti, systémique, a amorcé une prise de conscience massive et générale de toutes ces questions autour du consentement. C’était comme une sorte de proto #MeToo, au niveau de l’accouchement.»

Au cœur du débat sur les violences obstétricales se joue une nouvelle définition de la relation entre le corps médical et les patientes. Car si le terme est nouveau, «ce qu’il recouvre existe depuis longtemps», selon Béatrice Jacques. La chercheuse cite les travaux de Jacques Gelis sur l’histoire de l’accouchement (l’Arbre et le Fruit puis la Sage-femme et le Médecin, parus chez Fayard en 1984 et 1988). Ceux d’Yvonne Knibiehler, historienne féministe, ont également fait école. En 1980, elle publie son Histoire des mères du Moyen-Age à nos jours (éditions Montalba) et poursuit aujourd’hui son travail de recherche sur la parentalité. «Ces historiens avaient déjà décrit les maltraitances dont pouvaient être victimes les femmes à l’hôpital, mais elles étaient plutôt présentées comme des pratiques professionnelles routinisées», poursuit Béatrice Jacques. Et si l’on ne parlait pas de violences, la surmédicalisation est critiquée dès les années 60, quand l’accouchement quitte progressivement le domicile pour l’hôpital, raconte la sociologue Sezin Topçu, de l’EHESS. «La dénonciation d’une forme de brusquerie de la part du personnel hospitalier et des difficultés à gérer la douleur existe dès cette époque.» Mais elle n’est pas entendue.

Enjeu de mobilisation féministe

Face à la technologisation de l’obstétrique, des mouvements alternatifs se développent pour dénoncer ce qui est perçu comme une forme d’interventionnisme médical. L’accouchement devient le motif d’une controverse entre l’accouchement «sécurisé», fer de lance de la lutte contre la mortalité périnatale, et les adeptes d’un accouchement «pacifique», qui s’inspirerait de la médecine alternative, souvent issus des mouvements contre-culturels globalisés comme l’altermondialisme. Sur ce sujet, les féministes sont divisées. «La deuxième vague du mouvement des femmes, à dominante intellectuelle, était très égalitariste», explique Sezin Topçu : «Pour elles, la maternité était une forme d’esclavage qui devait être démystifiée. Il fallait émanciper la femme, y compris des différences biologiques, alors qu’à l’inverse les différentialistes pensaient que ce même pouvoir d’engendrer était une force, un atout, et peut-être même la condition de leur émancipation.» La grossesse et l’accouchement, jugés sacrificiels, deviennent un impensé chez les premières, tandis que les secondes mettent en avant la richesse de cette expérience humaine jusqu’à parfois la sacraliser.

Si les violences obstétricales sont devenues assez tardivement un enjeu de mobilisation féministe, c’est aussi parce que le phénomène ne se laisse pas facilement définir. Entrent-elles dans la longue liste des violences de genre, liées à la domination hommes-femmes ? Impossible pourtant de réduire les violences obstétricales à une dénonciation du patriarcat. «Longtemps, c’étaient les femmes qui faisaient accoucher d’autres femmes. On pouvait parler de violence des matrones, rappelle Béatrice Jacques. Même si elle découle aussi des rapports de genre, la violence obstétricale ne tient pas qu’à cela.»

La dénonciation de ces violences s’inscrit alors dans une remise en question, plus large, du rapport d’autorité asymétrique, entre les soignants et les usagers. Là encore, la question du consentement est le nerf de la guerre. En France, où la loi Kouchner de 2002 organise le respect du consentement libre et éclairé des patients, comme dans les pays ayant légiféré sur les violences, celles-ci sont rarement sanctionnées dans les faits. Faut-il alors inventer de nouveaux concepts juridiques, ne serait-ce que pour ouvrir l’espace de discussion ? Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) préconise plutôt d’améliorer les procédures de signalement afin de condamner les pratiques déjà sanctionnées par la loi, tout en renforçant la formation des forces de l’ordre et des magistrats sur les violences sexistes et sexuelles.

(1) En réalité, les chiffres de l’Insee disponibles en 2017 évoquent un taux de 26,8 % d’épisiotomies.


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