Gynécologue et obstétricien, Philippe Deruelle entend réagir, dans une tribune au « Monde », à certaines réactions qu’il a lues, après la condamnation d’un homme sage-femme, jugé coupable d’avoir violé onze femmes.
Tribune. Le 26 février, la juriste et féministe Marie-Hélène Lahaye réagissait sur Twitter au procès en cours d’un sage-femme homme qui est accusé d’avoir violé onze femmes dont il avait la charge : « Une victoire sur la question du consentement avant chaque acte médical. La question qu’il faudra un jour oser se poser : qu’est-ce qui peut pousser des hommes à devenir obstétricien ou sage-femme ? »
Marie-Hélène Lahaye a fait et fait beaucoup dans la lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques (VOG) mais utilise cette affaire de façon erronée. Dans ce procès, le problème n’était pas celui du consentement à la réalisation de gestes médicaux. Ce praticien a été (depuis) condamné car il a détourné des gestes médicaux en pratiques sexuelles. Il est exact que l’absence de consentement joue un rôle important dans la survenue des VOG.
Interpréter un toucher vaginal fait sans consentement comme un viol fait débat. Pour le soignant, c’est un geste médical sans aucune connotation sexuelle alors que, pour la femme, c’est une intrusion intime dans sa sphère sexuelle. Cette question mérite d’être discutée mais, dans cette histoire, les faits rapportés ne se limitaient pas à des touchers vaginaux sans consentement.
La question de la reconnaissance en droit des VOG
Les femmes auraient pu donner leur consentement à la réalisation d’un toucher vaginal dans le cadre de leur suivi médical mais pas aux autres gestes qu’elles ont rapportés. Ce sage-femme a finalement été reconnu coupable de onze viols et d’une agression sexuelle sur des anciennes patientes.
Il s’agit d’actes de malveillance (actes criminels selon le dictionnaire de la langue française) et qui ne représentent pas, fort heureusement, la majorité des situations de VOG qui sont plutôt induites par des situations de maltraitance, en attestent les travaux de Meghan A Bohren et al qui a repris plus de 65 études internationales sur les VOG.
Au travers de cette première phrase du tweet, c’est la question de la reconnaissance en droit des VOG qui est sous-entendue et qui, actuellement, n’existe pas. On peut comprendre que pour les femmes qui ont subi des VOG, la question de la réparation est légitime mais, dans le cas présent, les faits reprochés sont punissables par la loi et leur auteur a été condamné.
Les hommes sage-femme n’ont pas tous des pensées perverses
C’est surtout la deuxième partie du tweet qui m’a poussé à réagir. Marie-Hélène Lahaye a le droit de s’interroger sur le choix d’hommes de s’impliquer dans la santé des femmes. Le mettre en regard d’une affaire de viol est au mieux maladroit au pire scandaleux. Non, les hommes sage-femme ou gynécologues-obstétriciens ne sont pas tous empreints de pensées perverses.
Nous sommes des soignants qui effectuent des gestes médicaux, lorsqu’ils sont nécessaires, après avoir obtenu le consentement de la personne soignée. Ces gestes touchent parfois à la sphère intime des femmes. Notre pratique − respect de la pudeur, attitude neutre entre autres − doit tenir compte de cette spécificité mais ces métiers ne doivent pas nous être refusés sous prétexte que nous sommes des hommes.
Le principe de parité d’accès aux métiers ne peut pas être unilatéral. Un soignant doit accompagner ses patients quels que soient leur sexe, leur sexualité, la couleur de leur peau, leur religion et même leurs éventuels crimes sinon on installe une forme de communautarisme médicale. Il est vrai que la situation est loin d’être parfaite dans la vie réelle et que les VOG prennent aussi leur source dans la stigmatisation.
La diversité de cette discipline médicale
Mais, n’ajoutons pas de la difficulté en laissant penser qu’il faut être femme pour s’occuper de la santé des femmes. Au demeurant, l’inverse n’est pas vrai non plus. Pourquoi un homme choisit-il un métier en lien avec la santé des femmes ? C’est une vaste question. Pourquoi ai-je choisi de faire de la gynécologie-obstétrique ? Quand j’essaie de comprendre mon propre choix, je sais que l’éducation et les rencontres m’y ont poussé.
Je me plais à repenser aux ouvrages lus dans l’enfance sur la reproduction ou au goût d’apprendre certains cours plus que d’autres lorsque j’étais étudiant en médecine. Je me souviens du stage de gynécologie-obstétrique qui m’a fait comprendre la diversité de cette discipline médicale avec de la médecine, de la chirurgie, de l’échographie.
Distinguer le métier et le genre
Enfin, le choix de l’obstétrique est aussi lié à un rapport à la mort complexe. En mon fort intérieur, rien en moi ne laisse penser que ce choix tienne au corps des femmes ou encore à la sexualité. Je suis persuadé de distinguer mon métier, pour lequel mon genre tient une place minime dans la relation à l’autre, de l’homme dans sa vie personnelle avec une frontière infranchissable.
En tant qu’enseignant, j’ai au cœur de transmettre cela à mes étudiants et d’œuvrer contre les VOG au travers de la formation des générations futures de soignants. Un bon praticien de la santé des femmes doit offrir une relation de partenariat soignant-soigné et être – la liste est non exhaustive − bienveillant, respectueux de l’autonomie, compétent et spécifiquement empreint d’un certain féminisme. Certains ont naturellement ces qualités et, heureusement, cela s’apprend, ce qui laisse de l’espoir pour l’avenir.
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