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Le pont de l’A15 à Argenteuil, près duquel Alisha était venue retrouver sa camarade. Le corps de la jeune fille de 14 ans a été retrouvé dans la Seine, quai de Saint-Denis à Argenteuil, sous le pont ci-dessus. © PhotoPQR/Le Parisien/Arnaud Journois/Maxppp
À chaque crime, la violence des enfants rappelle aux adultes cette dure vérité qu’il n’y pas d’âge pour commettre le pire. En début de semaine, Alisha, une jeune fille de quatorze ans, a été brutalement agressée par un couple d’adolescents dans la banlieue d’Argenteuil. Pour d’obscures raisons de vengeance, le jeune duo, un garçon et sa petite amie de quinze ans, ont tendu à la victime un guet-apens sur les berges de la Seine, et, après l’avoir rouée de coups, l’ont ensuite jetée, blessée, dans le fleuve où elle serait morte par noyade. Cette scène d’une rare brutalité nous révèle une façade plus sombre de la jeunesse, celle des enfants meurtriers.
Si elle reste largement inexplorée de la philosophie, la délinquance des (très) jeunes puise dans le répertoire pourtant bien connu des historiens des faits divers et des meurtres inclassables. L’historien Denis Crouzet rapporte ainsi le rôle des enfants-bourreaux, au XVIIe siècle, qui s’amusaient à saccager les cadavres des ennemis huguenots pendant les guerres de religion. Plus près de nous, les exemples ne manquent pas de violences commises par ces criminels tout juste pubères, mais souvent ignorants ou inconscients de la gravité de leurs gestes.
Cela n’empêche pas toute une tradition morale de maintenir l’enfance comme une période qui resterait préservée du mal, quels que soient la violence et les crimes réels que peuvent commettre les plus jeunes. Et peu nombreux, d’ailleurs, sont les philosophes à avoir osé « dire du mal » des enfants. Au nombre des exceptions, il faut citer le cas de John Locke, le penseur anglais, qui, dans ses Quelques pensées sur l’éducation (1693), aborde avec courage la question de « l’instinct de cruauté chez l’enfant ». Une réflexion pour le moins inhabituelle qui pourrait se résumer en trois points.
- Les enfants sont des petits cartésiens. Locke commence par se pencher sur une violence bien connue chez les enfants, celle qui prend la forme de la cruauté, envers les animaux en particulier. Il remarque que l’on passe souvent aux enfants cette manie de « maltraiter toutes les pauvres créatures qui sont en leur pouvoir ». Si personne ne les en empêche, « ils traitent cruellement les oiseaux, les papillons et autres petites bêtes qui tombent entre leurs mains, et cela avec une sorte de plaisir », note-t-il dans ses observations. « L’enfant martyrise les animaux, le plus souvent, sans se douter qu’il leur fait du mal. Il torture un chat comme il éventre sa poupée, pour exercer son besoin d’activité et pour satisfaire sa curiosité ». Locke en conclut que « tout enfant est un petit cartésien sans le savoir » quand il veut ouvrir les corps, disséquer pour voir, mettre son œil à l’intérieur. À la recherche de nouvelles connaissances, il frappe, torture, et parfois même tue. Mais sans véritable méchanceté. Sa cruauté est alors indissociable de son désir de connaître.
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