Par Gaétan Supertino Publié le 7 mars 2021
De Rome à Athènes, de l’Egypte à la Bretagne, l’Antiquité a vu officier des prêtresses avec, parfois, autant de prestige que leurs homologues masculins.
Faut-il être un homme pour avoir l’oreille de(s) dieu(x) ? Pour guider les fidèles sur les voies du sacré, quelles qu’elles soient ? Beaucoup l’ont pensé, et beaucoup le pensent encore. Certes, les lignes bougent depuis un petit siècle. Aujourd’hui, des femmes sont pasteures, rabbines, mufties, imames ou théologiennes.
Mais dans la plupart des traditions religieuses, le clergé reste très majoritairement, parfois exclusivement, masculin. Ce « masculinisme » est-il le propre des monothéismes ? Non : il suffit de scruter l’histoire du bouddhisme ou de l’hindouisme pour constater que ces religions n’ont pas été épargnées par le patriarcat – certes à des degrés divers selon les époques, les lieux et les courants.
Qu’en était-il cependant dans les sociétés antiques, dites « païennes » ? Force est de constater que le paganisme – ce mot valise derrière lequel peuvent se ranger la plupart des polythéismes d’une époque où la croyance en un dieu unique n’était pas étendue dans le monde – donnait une large place aux femmes dans la relation au divin.
Parfois considérées comme épouses des dieux, les prêtresses antiques étaient tour à tour interprètes, prophétesses, voyantes ou préposées aux rites, parfois tout à la fois. Pour autant, étaient-elles considérées comme les égales des prêtres ?
L’égalité hommes-femmes du clergé grec
Dans la Grèce antique, malgré une société hautement patriarcale sur bien des aspects (familial, politique, juridique…), on peut répondre par l’affirmative. « La prêtrise apparaît comme l’un des rares domaines des cités grecques dans lequel s’établisse une égalité de fonction entre hommes et femmes », explique l’historienne Véronique Chankowski dans Le Clergé dans les sociétés antiques(CNRS Editions, 2018).
Prêtresses et prêtres font ainsi office d’intermédiaire avec les dieux, à parts égales. Rituels de divination, prières, organisation de sacrifices et de processions, interprétation des lois relatives au religieux, gestion financière des temples : leurs fonctions, qui diffèrent selon les lieux et les époques, sont multiples. « La prêtrise du culte des déesses est généralement assurée par des femmes et celles des dieux par des hommes, mais cette règle connaît plusieurs exceptions : la Pythie de Delphes, qui est l’interlocutrice d’Apollon, est une femme possédée par le dieu, Dionysos a parfois des prêtresses et Demeter des prêtres », ajoute Véronique Chankowski.
A en croire l’épigraphie et les textes antiques, la prêtrise accordait aux femmes grecques qui en étaient titulaires un prestige qu’elles n’atteignaient jamais par ailleurs. Ainsi qu’une source de revenus qui pouvaient être considérables, directement versés par la cité ou grâce aux produits des offrandes lors des sacrifices.
La prêtrise accordait aux femmes grecques qui en étaient titulaires un prestige qu’elles n’atteignaient jamais par ailleurs
Parfois héréditaire ou monnayé (les « ventes de prêtrise » n’étaient pas rares), souvent le fruit d’un tirage au sort (et donc de la volonté des dieux), le sacerdoce des prêtresses induisait également quelques obligations : port d’un vêtement particulier, régime alimentaire spécifique, interdiction de s’approcher du corps d’un défunt ou d’un nouveau-né… Mais à l’inverse de nombreuses autres traditions, les prêtresses grecques n’étaient pas tenues à la chasteté ou au célibat, et leurs obligations étaient relativement limitées.
De l’autre côté de la Méditerranée, en Egypte, la situation était légèrement différente durant l’époque pharaonique (de 3200 à 30 avant notre ère). Les prêtresses du dieu Amon, « le Caché », « l’Inconnaissable », étaient, elles, soumises au célibat, contrairement à leurs homologues masculins.
En outre, les prêtresses égyptiennes étaient exclues de certaines fonctions officielles importantes, celles de « lecteurs » ou de « chef des prophètes », par exemple. Néanmoins, contrairement à ce qu’ont pu affirmer certains auteurs grecs, tel Hérodote, les prêtresses égyptiennes, souvent considérées comme « épouses » de leur dieu, jouaient un rôle majeur dans l’exercice du culte et bénéficiaient d’un prestige certain : pour preuve, le fait même que ce soit une femme (appelée « divine adoratrice ») qui dirigeait le clergé d’Amon, l’une des principales divinités du panthéon égyptien.
Une femme, la « divine adoratrice », dirigeait le clergé d’Amon, l’une des principales divinités du panthéon égyptien
Radicalement différente était la situation dans la Rome antique, républicaine et impériale. Toutes les plus hautes fonctions du clergé se voyaient attribuées à des hommes : les pontifes, chargés du contrôle des cultes, du conseil des élites et de la planification des fêtes ou des rites, étaient des hommes, tout comme les « rois du sacrifice » (les rex sacrorum) ou encore les amines, ces prêtres dédiés au culte particulier des principales divinités romaines.
Prêtresses au foyer
Les femmes n’étaient, cependant, pas non plus absentes de la relation au sacré. Il y avait d’abord les épouses des « rois du sacrifice », les regina sacrorum, ou encore celles des flamines, les flaminiques, qui jouaient un rôle important, épaulant leur mari dans de nombreuses tâches.
Il existait surtout un groupe de prêtresses qui occupera un rôle primordial à travers les siècles pour la société romaine : les vestales. Dédié à Vesta, la déesse du foyer, de la maison et de la famille, ce collège de prêtresses a existé pendant mille ans (du VIIIe/VIIe siècle avant notre ère jusqu’à l’an 394), jugé indispensable à la survie du peuple romain.
Selon les sources antiques, le groupe était invariablement composé de six femmes qui se mettaient au service de la déesse pendant trente ans : deux d’entre elles suivaient une formation de dix années, deux effectuaient le service du culte durant dix ans également, et les deux plus anciennes s’occupaient de la formation des deux plus jeunes pendant le même nombre d’années.
Entretien du foyer sacré, processions, organisation de banquets… Leurs tâches étaient nombreuses… tout comme leurs obligations : virginité, chasteté, célibat, assignation à résidence près du temple, etc.
Une vestale était choisie durant l’enfance, souvent sous la pression de la famille : elle ne devait pas avoir plus de 10 ans (probablement pour être certain qu’elle soit vierge) et pas moins de 6 ans (pour s’assurer qu’elle n’avait pas d’handicap). Le grand pontife en sélectionnait alors vingt, puis un tirage au sort était effectué pour laisser le soin à la déesse de choisir les nouvelles « élues ».
Un groupe de prêtresses occupera un rôle primordial à travers les siècles pour la société romaine : les vestales
Les vestales n’avaient toutefois pas que des obligations. Outre des revenus relativement importants, elles ont pu, au fil des ans, bénéficier de plusieurs privilèges (des places au cirque, par exemple), notamment sous Auguste : face au manque de candidates, l’empereur voulait en effet attirer des volontaires pour ce culte jugé crucial pour l’Empire. A la fin de leur trentième année de service, les vestales pouvaient revenir à la vie civile, déménager ou se marier. Mais aux dires de nombreuses sources, beaucoup décidaient de rester vivre près du temple.
Mariages sacrés
Qu’en était-il des autres sociétés de l’Antiquité ? En Perse, où le mazdéisme prédominait, le clergé était exclusivement masculin. En Mésopotamie, à en croire les textes et l’épigraphie antique, une grande partie du clergé était aussi majoritairement masculine : les devins, scribes, incantateurs (chargés d’influencer la volonté des dieux) et autres guérisseurs semblent tous avoir été des hommes, à quelques rares exceptions près pour les devins.
Mais il existait tout de même d’autres types de clergé ouverts aux femmes. A commencer par l’une des premières formes de prêtrise attestées par les historiens : les enu, ou entu au féminin. De l’Empire akkadien (du XXIVe siècle au début du XXIIe siècle avant notre ère) jusqu’à l’Empire néobabylonien (disparu au VIe siècle avant notre ère), le titre d’« en » désignait des groupes de femmes ou d’hommes plus ou moins coupés du reste du monde en raison d’une familiarité particulière avec un dieu. Enu ou entu vouaient « une dévotion particulière, pouvant aller jusqu’au mysticisme » à leur divinité, souvent la divinité tutélaire de leur ville, selon l’historien Pierre Villard*.
La plupart du temps, les femmes se consacraient à des dieux masculins, et les hommes à des déesses, contractant ainsi des « mariages sacrés » avec leur divin partenaire. Il semblerait que ces mariages imposaient aux prêtres comme aux prêtresses une interdiction d’avoir des enfants, même s’il est difficile de savoir si le célibat devait être total. Ces enu et ces entu étaient souvent (mais pas exclusivement) issus de familles nobles, contractant ce mariage sacré de leur propre volonté ou à la suite d’une décision familiale. Leur rôle consistait à organiser des processions, gérer les biens et les animaux d’un temple, ou à prier une divinité avec ferveur.
Toujours en Mésopotamie antique, d’autres termes désignent des membres d’un clergé féminin : les naditu, qadistu, kulmasitu et autres istaritu semblent avoir été des prêtresses dédiées à une divinité particulière. Leur rôle reste cependant méconnu, et le qualicatif de « prostituées sacrées », parfois utilisé pour certaines d’entre elles, continue de diviser les historiens : rien ne prouve qu’elles aient été mêlées à des rites basés sur l’acte sexuel.
Voyantes et druidesses
La situation est encore plus floue dans le monde celte (y compris gaulois), pour lequel les écrits parvenus jusqu’à nous sont rarissimes. Au IVe siècle, alors que le monde celte est largement romanisé, des récits relatent l’histoire de familles gauloises se revendiquant de lignées de druides… ou de druidesses.
Bien qu’elles soient appelées « druidesses » dans certains récits, ces femmes semblent ne rien avoir en commun avec les véritables druides
Si les historiens n’accordent que peu de crédit à leur authenticité, de nombreux autres documents des premiers siècles mentionnent toutefois l’histoire de femmes aux pouvoirs extraordinaires en Gaule, en Germanie ou en Bretagne. Possédant notamment des dons de voyance, elles suscitaient la curiosité des empereurs romains eux-mêmes. Ces femmes officiaient parfois en groupe.
Ainsi, le géographe romain Pomponius Mela relate-t-il, vers l’an 45, l’histoire d’un collège de femmes sur l’île de Sein, en Bretagne, rattachées à un « sanctuaire de papier » et au culte d’une divinité anonyme. Elles auraient été capables de guérir des maladies incurables, de prédire l’avenir, de déclencher des tempêtes ou même de changer de forme.
Bien qu’elles soient appelées « druidesses » dans certains récits, ces femmes ne semblent rien avoir en commun avec les véritables druides, ces prêtres-philosophes qui se trouvaient au sommet du clergé – voire du pouvoir – celte, et que les rares sources disponibles décrivent comme exclusivement masculins.
Cet article a initialement été publié dans « Le Monde des religions » n° 95, mai-juin 2019.
A lire : « Le Clergé dans les sociétés antiques, statut et recrutement », par Laurent Coulon et Pierre-Louis Gatier [dir.] (CNRS Editions, 2018) ; « Le Prêtre à Rome », par Danielle Porte (Les Belles lettres, 2007) ; « La Religion grecque », par Jan N. Bremmer (Les Belles lettres, 2012) ; « Aithra et Pandora. Femmes, genre et cité dans la Grèce antique », par Pauline Schmitt-Pantel (L’Harmattan, 2009) ; « La Femme au temps des pharaons », par Christiane Desroches Noblecourt (Le Livre de poche, 2008).
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