Selon des chiffres inédits, 75 % des collégiens de fin de troisième sont incapables de s’exprimer correctement en anglais, malgré des progrès à l’écrit. Un plan ministériel sera présenté le 18 avril.
Les Français ont-ils un problème « congénital » avec les langues étrangères ? C’est en tout cas la réputation qu’on leur prête, admet le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) en ouverture d’une synthèse publiée jeudi 11 avril sur l’enseignement des langues vivantes, basée sur quatre rapports inédits. Cette étude d’ampleur, fondée en grande partie sur des données du ministère de l’éducation nationale, brosse cependant un tableau plus nuancé. « Dans le détail par compétences, on voit apparaître des forces et des améliorations, accompagnées de réelles faiblesses », résume Nathalie Mons, présidente du Cnesco.
Ainsi, la part des élèves en difficulté pour comprendre un texte écrit en langue étrangère, censé être adapté aux exigences scolaires de leur niveau, baisse de manière encourageante depuis le début des années 2000, à la fois à l’école primaire et au collège. Mais, à l’oral, le niveau des petits Français est plus préoccupant : 39 % des élèves de primaire rencontrent des difficultés pour comprendre un énoncé.
A la fin de l’année de 3e, 43 % des élèves ont toujours des difficultés de compréhension de l’anglais. En expression orale, les résultats sont encore plus alarmants : à la fin de la 3e, les trois quarts des élèves « ne sont pas capables de produire une langue globalement correcte » en anglais. Ils sont 73 % en espagnol et 63 % en allemand.
Ces résultats suffisent-ils à dire que les Français sont à la traîne en langues vivantes ? En réalité, peu de comparaisons internationales existent sur le sujet, souligne le Cnesco, à la différence des compétences en mathématiques ou en lecture, qui sont analysées régulièrement. Les derniers chiffres datent de l’étude SurveyLang commandée par la Commission européenne en 2011 : la France se situait alors à sa place historique de queue de peloton, avec le cortège habituel des « pays latins », tandis que la Suède et les Pays-Bas se disputaient la tête du classement.
Retard historique
La place peu enviée de la France dans les compétences en langues étrangères a des facteurs multiples, remarque le Cnesco. Le niveau des élèves est en effet mesuré au terme d’une histoire complexe, celle d’un système scolaire construit sur le rejet des langues régionales et la sacralisation du français comme langue de l’Etat-nation.
Ainsi, en France, l’enseignement des langues vivantes n’est réellement entré à l’école primaire qu’au début des années 2000, et l’anglais n’est pas obligatoire. A titre de comparaison, l’Europe du Nord a introduit les langues vivantes à l’école primaire dès les années 1960, et l’anglais est rapidement devenu obligatoire en Suède (1962), en Norvège (1969) ou au Danemark (1970).
Ce retard historique a des conséquences en chaîne : à l’école primaire, où il est désormais prouvé que le cerveau des enfants est le mieux à même d’assimiler de nouvelles langues, les professeurs sont peu formés et se disent mal à l’aise avec cet enseignement, même s’il s’est durablement installé – il est obligatoire dès le CP depuis 2016. Leur situation est d’ailleurs caractéristique des hésitations de la France sur le sujet : une option langue avait été introduite au concours de recrutement en 2006, obligeant les candidats à travailler ces disciplines… mais elle a été remplacée peu après par une simple certification de niveau.
Aujourd’hui, seuls 10 % des enseignants du premier degré sont issus de cursus en langues vivantes à l’université, mais ils sont 81 % à se charger eux-mêmes du cours de langue, à raison de cinquante-quatre heures par an (une heure et demie par semaine environ). En outre, 80 % des professeurs des écoles déclaraient en 2016 n’avoir reçu aucune formation sur les langues étrangères au cours des cinq dernières années.
« Plan pour les langues vivantes »
L’enseignement des langues pèche aussi – paradoxalement – par excès de zèle. Là où la France conserve une « culture du stylo rouge » qui consiste à corriger l’erreur quand elle survient, l’apprentissage des langues demanderait au contraire la mise en place d’un « droit à l’erreur » qui permette aux élèves de retrouver confiance en eux pour s’exprimer, sans subir l’inhibition d’une correction systématique, particulièrement contre-productive à l’adolescence.
Les recommandations du Cnesco convergent en grande partie avec les « propositions pour une meilleure maîtrise des langues vivantes étrangères », remises en septembre 2018 par l’inspectrice générale Chantal Manes et le journaliste Alex Taylor au ministre de l’éducation nationale. Jean-Michel Blanquer doit présenter, le 18 avril, un « plan pour les langues vivantes ». Selon toute vraisemblance, il devrait s’appuyer sur ces deux séries de travaux, souffle son entourage.
Parmi les recommandations communes du rapport Manes-Taylor et du Cnesco sur lesquelles le ministre pourrait s’appuyer, on trouve par exemple l’idée de travailler sur la musicalité des langues « le plus tôt possible », c’est-à-dire dès la maternelle. Ou bien la nécessité, appuyée sur la recherche, de « fractionner » les heures de cours en plusieurs séances courtes, pour exposer plus régulièrement les élèves à la langue. L’heure et demie consacrée à l’anglais au primaire gagnerait à être fractionnée en séances de vingt minutes, selon les chercheurs cités par le Cnesco. Au collège, où l’on consacre quatre heures à la langue vivante 1 en 6e puis trois heures à partir de la 5e (niveau auquel les élèves commencent l’étude d’une deuxième langue), les cours pourraient durer quarante-cinq minutes.
Favoriser « l’immersion »
Le Cnesco et le rapport ministériel réclament aussi le renforcement de séjours à l’étranger, pour les élèves comme pour les enseignants. Les échanges favorisent « l’immersion » dans une langue étrangère – à terme, ils doivent permettre de renforcer les compétences des professeurs de disciplines non linguistiques pour développer, au collège et au lycée, l’enseignement d’autres matières en langues étrangères.
Plébiscités par la recherche comme étant un moyen de développer « fluidité à l’oral, connaissance du vocabulaire, confiance en soi », les dispositifs d’enseignement d’une autre matière en langue vivante sont proposés dans moins de 10 % des établissements, selon l’étude SurveyLang de 2011 citée par le Cnesco.
Enfin, le rapport Manes-Taylor et le Cnesco déplorent la disparition de l’évaluation des langues au moment du recrutement des professeurs des écoles. A l’heure où la formation des enseignants est par ailleurs en pleine refonte, le « plan pour les langues vivantes » pourrait bien en être l’occasion.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire