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lundi 8 avril 2019

L’« homme de Callao », une nouvelle espèce humaine découverte aux Philippines

Des fossiles datés de 50 000 à plus de 67 000 ans ont été trouvés dans une grotte de l’île de Luçon. « Homo luzonensis » présente un mélange déroutant de caractères archaïques et modernes.
Par Hervé Morin Publié le 10 avril 2019
La grotte de Callao (Philippines) où ont été retrouvés les restes fossiles d’« Homo luzonensis ».
La grotte de Callao (Philippines) où ont été retrouvés les restes fossiles d’« Homo luzonensis ». Rob Rownd -UPFI and UP-ASP
L’album de la famille humaine compte désormais une page de plus. La photo du nouveau venu est floue, délavée par les touffeurs asiatiques – on ne le connaît que grâce à quelques dents, un fémur et des os de pied et de main – mais son irruption confirme que les paléontologues sont encore loin d’avoir exploré toute la diversité des humanités disparues. Homo luzonensis vivait à Luçon, la plus grande île des Philippines, il y a plus de 50 000 ans. Treize restes fossiles, attribués à au moins trois individus distincts, sont décrits dans la revue Nature du 11 avril.

Comme à chaque fois que l’on tente de définir une nouvelle espèce appartenant au genre Homo, il y aura des débats parmi les paléoanthropologues. Mais Florent Détroit (Muséum national d’histoire naturelle, Paris), premier signataire de l’étude de Nature, estime que son protégé remplit parfaitement le critère le plus discriminant : « Il est différent de tout ce que l’on connaît déjà ! » C’est-à-dire un mélange de caractères archaïques et modernes, qui enrichissent la diversité du genre Homo, un groupe apparu il y a plus de 2,5 millions d’années et défini par trois critères : une bipédie permanente, l’augmentation du volume cérébral et l’utilisation d’outils.
Le premier des fossiles philippins a été retrouvé dans la grotte de Callao en 2007 par Armand Salvador Mijares (Muséum national des Philippines). Il s’agissait d’un métatarse (un os du pied) qui avait une forme bizarre et avait pu être daté d’au moins 67 000 ans. « Cela ne collait pas bien avec H. sapiens, mais avec un seul os, on ne pouvait pas aller plus loin », se souvient Florent Détroit, à qui son collègue philippin avait demandé d’analyser ce métatarse.
La découverte en 2003 sur l’île de Florès, en Indonésie voisine, d’Homo floresiensis, vite rebaptisé « Hobbit », en raison de sa petite taille et de ses grands pieds, avait persuadé Armand Salvador Mijares qu’aux Philippes aussi, cela pouvait valoir le coup de « creuser plus profond ». Jusqu’alors, on considérait généralement que l’archipel n’avait été occupé par l’homme qu’au néolithique, il y a moins de 10 000 ans, et on n’avait exploré que les couches superficielles des sites archéologiques.

Sous deux mètres d’argile

Localisation de la grotte de Callao aux Philippines. L’île de Luçon où elle est située n’a jamais été accessible à pied sec au cours des trois derniers millions d’années. La zone gris clair montre l’extension maximale des zones émergées. A droite, vue des fouilles en 2011.
Localisation de la grotte de Callao aux Philippines. L’île de Luçon où elle est située n’a jamais été accessible à pied sec au cours des trois derniers millions d’années. La zone gris clair montre l’extension maximale des zones émergées. A droite, vue des fouilles en 2011. MNHN Florent Détroit
En 2011, une nouvelle campagne de fouilles est donc lancée dans la grotte de Callao, haut lieu touristique – mystique pour certains – comptant sept chambres successives, dont certaines au toit effondré. Sous deux mètres d’argile très compacte et stérile, sans doute apportée là au fil des typhons qui noient régulièrement la grotte, la récompense attend les chercheurs : « C’est là qu’on a trouvé presque tous les fossiles supplémentaires, dont une partie des dents », se souvient Florent Détroit, qui a lui-même déterré quelques dents.
Il est aussitôt intrigué par une étrange phalange de pied, dont la courbure et les attaches évoquent plus un australopithèque, cet ancêtre africain, ou notre cousin chimpanzé, qu’un membre du genre Homo. Les nouvelles datations donnent un âge de plus de 50 000 ans.
Après la découverte en 2015 d’une dent supplémentaire, l’analyse de ce matériel pourtant restreint a demandé des années. D’abord parce que les phalanges sont très rares en Asie, où les équipes de fouilles se sont longtemps concentrées sur les crânes, plus faciles à identifier que ces petits ossements. Il a donc fallu les comparer à des fossiles européens ou africains. Et surtout parce que, quand il s’agit de vestiges suspectés d’être humains, les relecteurs, chargés par les revues scientifiques d’analyser les résultats, sont encore plus exigeants.
Fossiles de dents, fémur, os du pied et de la main découverts dans la grotte de Callao aux Philippines et attribués à une nouvelle espèces, « Homo luzonensis ».
Fossiles de dents, fémur, os du pied et de la main découverts dans la grotte de Callao aux Philippines et attribués à une nouvelle espèces, « Homo luzonensis ». © Callao Cave Archeology project et © Nature
Homo luzonensis est donc unique, à plusieurs titres. Ses phalanges de pied suggèrent des capacités de préhension, liées à une morphologie qu’on ne retrouve pas chez Homo sapiens, même parmi les populations qui grimpent beaucoup aux arbres pour récolter miel et fruits, comme les Négritos, un peuple philippin de petite taille. « Avec un tel pied, il devait marcher bizarrement », estime Florent Détroit. Difficile d’en déduire la taille d’un individu moyen, car on ne sait pas à quels orteils ces os appartenaient précisément, et que, comme l’homme de Florès l’a montré, on peut combiner grands pieds et petite stature. Le fémur n’est pas d’un grand secours parce que ses deux extrémités sont manquantes et qu’il appartenait à un individu encore en phase de croissance.

Des molaires « absolument minuscules »

Restent les dents, qui là encore réservent leur part de surprises. Les prémolaires, de petite taille, possèdent jusqu’à trois racines, un cas unique dans le genre Homo, mais souvent observé chez les australopithèques. Les molaires sont pour leur part « absolument minuscules », et étonnamment modernes avec leurs racines très réduites, souligne Florent Détroit.
Ces caractères déroutants posent donc la question de l’origine de l’homme de Callao. Malgré le « vieux fonds primitif » des prémolaires, il est douteux qu’il descende directement des australopithèques, bien plus anciens et qui jamais ne se sont aventurés hors du berceau africain. Homo erectus, présent en Asie entre 1,6 million d’années et 140 000 ans, fait un ancêtre bien plus plausible. Il faudrait l’imaginer navigateur, car rejoindre Luçon à pied sec n’a jamais été possible.
Dents supérieurs droites de l’individu CCH6 découvert au Philippines, qui a servi à définir une nouvelle espèce d’hominine, « Homo luzonensis ». De gauche à droite, deux prémolaires et trois molaires en vue linguale.
Dents supérieurs droites de l’individu CCH6 découvert au Philippines, qui a servi à définir une nouvelle espèce d’hominine, « Homo luzonensis ». De gauche à droite, deux prémolaires et trois molaires en vue linguale. Callao Cave Archaeology Project - Florent Détroit
L’occupation humaine ancienne de cette île est indirectement attestée par la découverte, annoncée en 2018, d’ossements de rhinocéros vieux de 700 000 ans et portant des traces de découpes par des outils de pierre taillée. Pour Thomas Ingicco (maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle) qui a participé à ces fouilles situées à une trentaine de km à vol d’oiseau de Callao, « les deux découvertes vont se conforter l’une l’autre ». Même s’il y a « 600 000 ans d’histoire qu’on ne connaît pas entre les deux », le lien de parenté « le plus direct »pourrait relier H. erectus et l’homme de Callao. Il lui semble que les différents critères avancés pour faire de celui-ci une nouvelle espèce sont « tout à fait convaincants ».
Même enthousiasme chez Gerrit Van Den Bergh (université de Wollongong, Australie), qui a participé à la découverte des « Hobbits » sur l’île indonésienne de Florès. « La découverte de Luçon est spectaculaire, même si le matériel reste limité. On se retrouve à nouveau dans une île où des homininés ont évolué de façon isolée, comme à Florès, souligne-t-il. Il semble que ces archipels du Sud-Est asiatique soient un laboratoire de l’évolution humaine. Il n’y avait pas de gros carnivores sur ces îles, donc l’évolution y a pu prendre un tour très différent d’ailleurs. »
« Ces combinaisons de caractères archaïques et dérivés, qu’on trouve chez floresiensis comme chez luzonensis, donnent des maux de têtes aux paléoanthropologues », constate Jean-Jacques Hublin (Institut Max Planck, Leipzig, Collège de France). Une explication possible est la réapparition de caractères primitifs, toujours présents dans le génome mais non exprimés, dans un contexte insulaire. Le génome d’H. luzonensis, dont l’ADN n’a pas été conservé, ne pourra être comparé à celui d’autres espèces disparues, comme Néandertal ou Denisova.

Etourdissante diversité

L’Asie pourrait réserver d’autres surprises. Jean-Jacques Hublin note ainsi qu’il a suffi de quelques dizaines de milliers d’années pour qu’au sein même de notre espèce Homo sapiens, une grande diversité de caractères apparaissent après sa sortie d’Afrique. Une variabilité bien plus profonde a dû toucher H. erectus qui a évolué pendant plus d’un million et demi d’années et a été confronté à des environnements très divers.
Autre enseignement de la découverte de Callao, souligné par Jean-Jacques Hublin comme par son collègue paléoanthropologue Antoine Balzeau (CNRS-MNHN) : « On sort complètement du modèle d’évolution humaine linéaire, où une espèce succède à l’autre, avec la découverte d’humanités variées, originales, plus mobiles et aventureuses qu’on ne l’avait imaginé. »
Etourdissante diversité en effet : H. sapiens, dont le plus ancien représentant a été daté à 315 000 ans au Maroc, a pu compter jusqu’à six autres Homo parmi ses contemporains : H. naledi en Afrique ; Néandertal au Levant ainsi qu’en Europe et Denisova en Eurasie, qui ont tous deux laissé des traces dans notre ADN suite à des croisements ; H. floresiensis et H. luzonensis dans le Sud-Est asiatique et peut-être même des H. erectus tardifs en Asie. L’histoire semble ensuite se répéter : dès lors que H. sapiens arrive, « c’est terminé pour les autres, résume Jean-Jacques Hublin. Notre espèce les absorbe par croisement ou les remplace ». Aux Philippines, le discret homme de Callao n’a pas échappé à ce grand remplacement…
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