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mardi 9 avril 2019

Attention «patient remarquable»

CHRONIQUE «AUX PETITS SOINS»
Par Eric Favereau — 
Dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital d'Argenteuil (Val-d'Oise), en juillet 2013.
Dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital d'Argenteuil (Val-d'Oise), en juillet 2013. Photo Fred Dufour. AFP




Après le «patient expert» et le «patient traceur», voici le «patient remarquable», une personne trop malade que le corps médical préfère mettre sous sédation plutôt que de la ranimer une nouvelle fois. Cette notion pose néanmoins question.

Est-ce si bon signe que cette floraison de qualificatifs autour du mot patient ? Il y avait le «patient expert», à savoir un malade très au fait de sa pathologie, de ses traitements, de sa prise en charge et qui, de ce fait, a acquis un savoir profane important qu’il peut partager avec d’autres malades comme avec les professionnels de santé. Il y a même des diplômes de «patients experts».
Plus récemment, le langage administratif nous a sorti le «patient traceur». C’est à dire un malade atteint d’une pathologie, souvent chronique, qui le conduit dans différents lieux ou services de soins. L’idée étant de suivre son parcours pour voir les différentes étapes, et examiner ainsi la bonne ou mauvaise coordination des multiples acteurs de santé qui interviennent autour de lui.
Et voilà que depuis peu est apparu le «patient remarquable». A priori, on se dit que ce doit être un patient magnifique, agréable et obéissant, bref bien à sa place. Un patient qui, en tout cas, doit suivre parfaitement ses traitements. Il n’en est rien. Ce qualificatif apparaît la plupart du temps dans les dossiers médicaux du Samu ou des services de réanimation pour dire, schématiquement, «Attention, ne pas réanimer». Ce sont, en effet, des «patients porteurs d’une maladie grave évoluée et évolutive». En phase d’aggravation, on estime que pour eux «les traitements curatifs ne sont plus appropriés», avec une évolution a priori plus ou moins rapide vers le décès à court terme. Bref, pour dire simplement, ce n’est pas très bon signe d’être qualifié de «patient remarquable» – et l’on se demande au passage quelle idée saugrenue a traversé son inventeur pour dénicher ce qualificatif.

Pas de réanimation, mais une sédation

En tout cas, ce lundi, lors d’un colloque passionnant sur les décisions médicales en fin de vie qui s’est tenu à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris (1), on a raconté une histoire bien déroutante d’un «patient remarquable», montrant les limites et les interrogations autour de ce qualificatif.
C’est l’histoire d’un homme atteint depuis plus de 20 ans d’une maladie dégénérative. Récemment, il connaît une nouvelle crise d’insuffisance respiratoire. Il est à bout, fatigué, mais il n’a pris aucune décision sur la suite de sa vie. Cette fois, il s’en sort, et peut repartir chez lui. Les médecins de l’hôpital, vu la gravité de sa situation clinique, décident néanmoins de faire une réunion collégiale sur la suite de sa prise en charge. Bizarrement, la famille n’est pas tenue au courant, mais quelques jours plus tard, elle reçoit un courrier qui la laisse, pantois. Elle apprend ainsi qu’il a été décidé que s’il revenait en urgence à l’hôpital, il ne serait pas réanimé, et qu’une sédation longue et continue jusqu’au décès serait éventuellement mise en route. Le patient étant, enfin, signalé comme «patient remarquable au Samu», afin que soit respectée «la procédure en cas de nouvelle complication respiratoire».

«Attention à la dérive»

A priori, pourtant, tout cela partait de «bons sentiments»pour éviter tout acharnement thérapeutique : il s’agissait en effet d’éviter à ce grand malade d’être mis sous intubateur s’il était pris en charge par une équipe qui ne le connaissait pas. Certes… Mais, outre le fait que cela n’avait pas été discuté avec lui ni avec sa famille, cette limitation programmée de traitement pose problème.
D’abord, la loi est claire : les médecins ne peuvent pas faire une réunion collégiale d’anticipation à un arrêt de traitement. «La réunion collégiale ne peut se faire qu’au moment où se décide un arrêt ou une limitation de traitement, et non pas en avance», a rappelé la Dre Véronique Fournier, qui dirige le Centre d’éthique clinique des hôpitaux de Paris. «Et cela est d’autant plus important que, jusqu’au dernier moment, le patient peut changer d’avis. C’est son dernier avis qui compte. Parfois il est d’accord, parfois il ne l’est plus. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence de cette procédure de signalement», a-t-elle ajouté. Dans la salle, une psychologue d’un service de réanimation a voulu se justifier : «Pour nous, cette notion de patient remarquable nous est parfois utile pour éviter que le malade n’aille en réanimation et qu’il soit plutôt conduit directement en soins palliatifs où il sera mieux pris en charge.» 
«Attention à la dérive de ces qualificatifs qui empêchent toute discussion», a ajouté la Dre Michèle Levy-Soussan, qui dirige le service de Soins palliatifs de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Peut-être faisait-elle référence à cette habitude qu’ont certains services de neurologie de mettre sur les dossiers de patients qui sont dans un état de santé très graves le sigle : NTBR. Ce qui veut dire «Not To Be Reanimated» («A ne pas réanimer»). Un sigle écrit bizarrement en anglais, comme si l'on voulait que cela ne soit compris que par quelques initiés.
(1) Organisé par la commission d’orientation de la démarche éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

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