Frank Bellivier, qui a été nommé cette semaine délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, cherche ses marques alors que le secteur est très tendu.
Le voilà encore un peu en errance, sans bureau, juste installé au salon Champ-de-Mars au septième étage du ministère de la Santé. Le professeur Frank Bellivier cherche ses marques. Il vient tout juste d’être nommé délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, un poste inédit dont la création souligne la gravité de la situation.
Le tout nouveau psychiatre en chef renvoie l’image d’un homme posé, plutôt discret. Il dit avoir été approché il y a trois semaines, et reconnaît avoir hésité. «La psychiatrie est pour moi un engagement», lâche-t-il. Dans un univers psy très tendu, il peut surprendre. On le sent pragmatique, on l’écoute sans qu’il ne produise des effets de manche. Et on le voit détendu alors que bon nombre d’experts évoquent une mission impossible, d’autres estimant même que sa seule fonction va être de servir de fusible à la ministre.
Moment clé
Le chercheur reconnu et chef du département de psychiatrie du groupe hospitalier Saint-Louis, Lariboisière et Fernand Fernand-Widal à Paris se prépare à sa nouvelle fonction méthodiquement. Et pour la première fois depuis sa nomination, il parle publiquement. Bellivier a l’air en tout cas imperméable au buzz ambiant. En début de semaine, Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat aux handicapés, déclare qu’il «s’agit de ne plus placer des enfants autistes devant des psychiatres… Face à un spectre de l’autisme très large, il faut que l’on arrête de parler de psychiatrie». Des propos aussi maladroits que polémiques. «Non, assure-t-il, je n’étais pas au courant.» Sa mission, une tâche impossible ? «Il y a toujours le risque que cela soit un effet d’annonce mais je sens une volonté politique forte», répond-il, très pro. Et il poursuit : «La situation est préoccupante, cela ne date pas d’aujourd’hui. Les patients comme leurs proches en souffrent. La communauté de soignants fait état de difficultés récurrentes. Et il y a une inadéquation persistante entre les besoins et l’offre.»
Constat bien connu : la psychiatrie est en mauvais état. La France, hier pionnière en matière d’organisation des soins, se doit aujourd’hui de composer avec une diminution trop forte du nombre de lits de psychiatrie générale à l’hôpital : plus de 60 % en moins entre 1976 et 2016. Les grèves se multiplient. Les centres médico-psychologiques, lieux de consultations, sont saturés, alors que les besoins augmentent (2,5 millions de patients suivis en 2016) : prendre un rendez-vous est un défi et il faut attendre en moyenne entre trois et huit mois, ahurissant quand on sait que la demande de consultation se fait souvent en situation d’urgence. Autre problème, le financement des établissements, cruellement inégal selon les régions. Pire, les budgets dédiés ne sont pas toujours intégralement alloués aux services psychiatriques.
Fin février, Emmanuel Macron lançait le chantier ; il évoquait «une initiative de grande ampleur» pour la psychiatrie, avec l’objectif d’apporter une réponse «à l’automne». On y est donc, avec un pilote unique dans le dispositif. «Nous sommes à un moment clé, insiste Bellivier. Les pathologies mentales viennent de passer au-dessus des maladies cardiaques et cancéreuses, en termes de coûts et de handicaps.» Certes, mais que faire et par où commencer ? «L’urgence, c’est l’accès aux soins, répond-il. La deuxième urgence, c’est l’amélioration des parcours des malades qui, aujourd’hui, restent trop hachés.»
Propos justes mais mille fois entendus. Frank Bellivier se montre disposé à agir. Mais quel est exactement son rôle ? «Il devra impulser la dynamique de transformation et d’ouverture de la psychiatrie», précise laconiquement le ministère. Certes, mais y aura-t-il au moins de l’argent ? «Il y a de l’argent sur la table, la ministre a été claire, confirme Frank Bellivier. On n’a pas le choix, car nous sommes à un point de rupture, il faudra que cela s’accompagne de moyens, mais il ne s’agit pas que d’injecter de l’argent.»
«Maillage»
Il se doit aussi d’avancer en déminant une série de conflits. Comme la réorganisation de la prise en charge des patients. Certains évoquent des centres spécialisés par pathologie mentale. «Je n’ai pas de religion, mais une offre de soins unique, avec un maillage territorial que nous avons grâce au secteur, est très importante. En même temps, en matière de recherche, il y a des progrès importants, il y a des découvertes, des évolutions, et des outils nouveaux de prises en charge. Et en effet, cela peut s’adresser à des sous-types de patients, comme pour l’autisme, ou les troubles de l’humeur avec des structures particulières. Mais, vous savez, c’est l’histoire de la médecine, la psychiatrie doit intégrer ce mouvement.» On insiste, alors. Avec la mode écrasante des neurosciences n’y a-t-il pas un risque de perdre toute l’importance du lien et de la parole en psychiatrie ? «Je n’oppose pas les neurosciences et les sciences cliniques. Il faut des deux. On manque de tout et l’arrivée des neurosciences est plutôt une bonne nouvelle en psychiatrie, mais il faut intégrer, bien sûr, les aspects sociétaux.»
Comme aspects sociétaux, que pense-t-il, dès lors, des pratiques de contention et d’isolement qui se développent partout ? «C’est un sujet sensible. La contention ou l’isolement, c’est du soin, cela répond à des pratiques et situations spécifiques. Mais il y a des dérives et j’y serai très attentif. En tout cas, je rencontrerai très rapidement la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.»
Ce vendredi, Frank Bellivier va étrenner son nouveau costume. Il sera en visite officielle à Lille avec Agnès Buzyn, dans un service de pédopsychiatrie, une des disciplines les plus sinistrées.
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