Des manifestantes contre la fermeture de la maternité de Creil, le 23 janvier. Photo Philippe Huguen. AFP
Leurs décisions de fermetures de certains services hospitaliers, de petits hôpitaux ou de maternités sont très contestées par les élus locaux qui leur reprochent un éloignement des territoires. Deux décisions prises par des ARS ont même été désavouées par le président Macron.
Les Agences régionales de santé (ARS) vont-elles être des victimes collatérales du grand débat ? En tout cas, depuis peu, elles ont le spleen, se sentent menacées, critiquées de toutes parts, y compris au plus haut niveau.
Ces structures, somme toute assez récentes car datant de 2010 avec la loi «Hôpital, patients, santé et territoire» (HPST) de Roselyne Bachelot, sont devenues peu à peu le bras armé en région des pouvoirs publics en matière de santé. Formellement, elles se doivent «d’assurer un pilotage unifié de la santé en région, de mieux répondre aux besoins de la population et d’accroître l’efficacité du système». Bref, elles sont là pour moderniser l’offre de soins, veiller à une bonne gestion des dépenses hospitalières et médicales. Et surtout faire entrer la notion de proximité et de territoire dans des politiques jugées parfois trop centralisatrices. Un enjeu devenu essentiel, ces derniers mois, avec le mouvement des gilets jaunes.
Fermetures de maternités
Or, voilà qu’à deux reprises le président Emmanuel Macron les a désavouées sur des sujets à hautes charges symboliques que sont les fermetures des maternités. Ainsi, avant même la crise des ronds-points, c’est en visite Bretagne en juin dernier, que Macron s’est opposé à la fermeture de la maternité de l’hôpital de Guingamp, pourtant décidée depuis deux ans par l’ARS de Bretagne. La décision présidentielle a surpris tout le monde, la ministre de la Santé en premier lieu. Les mauvais esprits ont mis en avant le fait que l’ancien maire de Guingamp, Noël Le Graët, préside la Fédération française de football, un sport qu’affectionne le chef de l’Etat. En tout cas, sur le moment, ce fut la stupeur, aussi bien à l’ARS de Rennes que dans toutes les sociétés savantes de gynécologie qui avaient appuyé ce projet de fermeture finalement suspendu.
Rebelote, cette fois-là, en pleine crise des gilets jaunes. Il y a deux semaines, fin mars, trois mois après l’annonce officielle du transfert de la maternité de Creil vers Senlis faite par l’Agence régionale de santé, Emmanuel Macron a demandé au préfet de l’Oise de rouvrir le dossier de la maternité de Creil. Le maire LREM de Nogent-sur-Oise, Jean-François Dardenne, après un échange avec le Président, a lui-même raconté la scène : «Lors de ce débat, quand j’ai évoqué la fermeture de la maternité de Creil, j’ai été étonné, le Président m’a répondu du tac au tac, expliquant qu’effectivement, l’Agence régionale de santé était parfois trop éloignée des préoccupations des habitants et qu’il demandait au préfet de l’Oise de bien vouloir reprendre le dossier, réunir les parties, afin de trouver une solution consensuelle.» Un désaveu cinglant pour son administration, même si le cas de la maternité de Creil est très particulier ; il ne manque pas en effet de naissances, mais de médecins, et existe une guéguerre interne qui ne facilite pas, ces derniers mois, le fonctionnement de la maternité de Creil. Il n’empêche, le petit monde des ARS ont ressenti ces propos comme une gifle.
C’est dans ce contexte que depuis quelques jours des hauts fonctionnaires de la santé, via l’Hôtel Matignon, se sont vus commander des rapports sur les ARS, leur devenir, leur place, et éventuellement leur changement. De fait, l’enjeu est bien réel. Et se retrouve dans d’autres domaines : comment rapprocher davantage l’administration du terrain et donc des élus ?
Peu autonomes
En matière d’offre hospitalière, c’est le même scénario qui se répète : à chaque fois devant la menace de la fermeture d’un service hospitalier ou d’un petit hôpital, les élus vont se plaindre de ne pas avoir été écoutés, ni même d’avoir été reçus par les ARS, comme à Bernay dans l’Eure où l’ARS a décidé, en janvier, de la fermeture de la maternité. «On nous parle de débats, de territoires, mais nous avons le sentiment que l’on nous tire dans le dos», nous expliquait ainsi le maire centriste Jean-Hugues Bonamy. «Ici, à Bernay, on se bat, nous avons réussi à maintenir plus de 200 commerces, on a créé une médiathèque et on va ouvrir un théâtre. Et cette année, la population a augmenté.» Et en colère, il ajoutait : «Pourquoi dynamiser nos villes si, derrière, les services publics s’en vont ? La santé, c’est primordial.»
Comment faire dès lors pour rétablir des liens ? Pour certains, il y a la tentation de faire passer plus frontalement les ARS sous la coupe des préfectures, supposées être plus à l’écoute des élus et du terrain. Certains y réfléchissent. D’autres pointent la pauvreté en gestion médicalisée des problèmes sanitaires. Très peu de médecins de haut vol travaillent en effet dans les ARS, et plus généralement, c’est une des administrations où il y a le moins de fonctionnaires de catégorie A. «Il est injuste de taper sur les Agences de santé», corrige néanmoins un ancien directeur d’une ARS. «Dans un monde de contraintes, elles font bien leur travail, même si cela peut rester trop administratif.» D’autres, encore, notent que les missions des Agences sont parfois trop étendues : par exemple, elles ont la charge de la surveillance de la vétusté des immeubles. Enfin, la place et le rôle des directeurs généraux. Ils sont pris entre deux feux. Entre la crainte d’être licenciés à chaque Conseil des ministres et une pression très forte sur leurs dépenses régionales de santé. Au final, ils se montrent peu autonomes vis-à-vis du ministère, obsédé par une politique d’équilibre des comptes.
Que va-t-il dès lors se passer ? La réflexion est, en tout cas, lancée. L’intérêt des sujets de santé s’étant fortement manifesté lors de ces Grands débats. «Ce serait une grave erreur de revenir en arrière», nous dit l’ancien ministre Claude Evin qui fut directeur de l’ARS d’Ile-de-France, «et de considérer que, comme l’Education nationale, les Agences de santé sont un service de l’Etat comme les autres. Elles doivent avoir une autonomie pour mener une politique au niveau régional.» Et d’ajouter, avec conviction : «L’organisation de l’offre de soins ne se résume à la fermeture ou pas d’une maternité. Mais c’est vrai, cela nécessite un lien avec les élus, mais ce ne sont pas eux qui décident.»
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