La démocratisation des kits génétiques en ligne permet de mieux documenter des récits de vie. Elle constitue aussi une intrusion dans la vie privée des donneurs. Avec le risque de découvrir un nombre important de naissances à partir d’un même don, ce que la loi interdit.
Tribune. En juillet 2017, je publiais une tribune annonçant que l’avènement des tests ADN dits récréatifs allait remettre en question l’anonymat du don de sperme, le rendre impossible et permettre aux personnes ainsi conçues de retrouver leur donneur. Six mois plus tard, Arthur Kermalvezen, en annonçant avoir découvert son donneur, me donnait raison. Depuis, le bilan tenu par l’association PMAnonyme montre une intensification de l’activité aboutissant, en une année, à l’identification de 12 donneurs et de 52 «diblings» c’est-à-dire des personnes conçues à partir d’un même donneur, soit des demi-frères ou des demi-sœurs. Il est facile de prédire une augmentation très rapide de ces chiffres : l’année 2019 devrait ainsi se terminer avec au minimum un doublement, voire un triplement de ces résultats. En effet, la popularité de ces tests ADN prospère. Ceci s’explique aisément. Malgré l’interdiction théorique de leur pratique en France, l’une des sociétés commercialisant ces kits, MyHeritage, fait des campagnes publicitaires très actives sur les réseaux sociaux, voire sponsorise des événements comme l’Eurovision. De plus, les coûts des kits sont encore en baisse, les prix moyens sont de l’ordre de 60 euros avec, lors des «Black Fridays» ou des fêtes de Noël, des promotions à moins de 50 euros, les rendant ainsi très accessibles à une majorité de personnes. MyHeritage s’enorgueillit d’avoir, en moins de trois ans d’activité, constitué une base de données comprenant plus de 3 millions de personnes. La motivation première de l’achat de ces tests est une meilleure compréhension de ses origines et non pas une recherche de géniteur. Il s’avère néanmoins que les personnes qui sont en quête de leur géniteur vont bénéficier de cet engouement. En effet, cette activité génère un cercle vertueux, que certains considèreront comme vicieux, où le succès entraîne le succès. Plus les bases de données sont pourvues, plus les renseignements sur les origines sont détaillés, plus les informations sont pertinentes, plus elles éveillent la curiosité et donc attirent d’autres clients. Plus les bases sont abondantes, plus il est aisé de retrouver une parenté, un donneur. Signalons en outre que certains seront irrémédiablement confrontés, du fait des résultats de ces tests, à des révélations remettant en question des paternités, voire des maternités. En effet, des secrets de famille seront ainsi mis au jour et certains découvriront immanquablement pour origine une adoption, un recours à un don de gamètes - ovocyte ou sperme - oumême un adultère. Si jusqu’à présent ces découvertes de donneurs semblent se dérouler avec une relative sérénité, il est important d’anticiper, surtout en cette période de révision de la loi de bioéthique, les scandales à venir. L’un des tout premiers étant l’intrusion de la personne conçue par don dans la vie privée de son géniteur. Nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer sur le sujet pour demander que la nouvelle loi de bioéthique réponde non seulement au besoin de certains d’avoir accès à leurs origines, mais aussi à celui de protéger la vie privée des donneurs.
Une source de scandales possibles est liée non plus au fait d’identifier le donneur, mais à l’intrusion dans sa vie privée et familiale, conséquence de la révélation de son don auprès de son entourage. L’un des embarras, certes des moindres, serait que l’un ou des directeurs de Cecos [centres d’études et de conservation des œufs et du sperme] soient identifiés comme donneurs. Je ne les blâmerais néanmoins pas pour cela. En effet, au début de l’activité et convaincus du bien-fondé de celle-ci, la pénurie de sperme pouvait justifier que les fondateurs des Cecos soient eux-mêmes donneurs. Longtemps, des gynécologues, dans leur cabinet privé, pratiquaient l’insémination de sperme à l’aide, en principe, de paillettes délivrées par les Cecos. Il ne peut être exclu que certains d’entre eux aient utilisé, pour ce faire, leur propre sperme et que leur nom finisse ainsi par apparaître. Le non-respect d’une des toutes premières règles que se sont fixées les Cecos, à savoir limiter le nombre de naissances pour un même donneur, d’abord à cinq puis, lors de la révision de la loi de bioéthique en 2011, à dix, pourrait être à l’origine des plus gros scandales futurs. Ces recherches de géniteurs vont inévitablement, comme cela a été le cas dans de nombreux pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas…), permettre d’identifier des «serial» donneurs. Plusieurs types d’entre eux peuvent exister : des donneurs voyageant intentionnellement d’un Cecos à l’autre ; des gynécologues ; plus grave, et je n’ose l’imaginer, un directeur de Cecos. Pour les premiers, l’absence de registre national des dons de gamètes rend en effet très difficile l’identification de telles pratiques. Il est en conséquence grand temps de revoir la pratique du don de gamètes. Le don doit rester anonyme mais il doit être possible, pour les personnes le souhaitant et à partir de leur majorité, d’accéder à l’identité des donneurs. De plus, la création d’un registre est indispensable pour une gestion nationale de cette activité. Il est aussi temps d’admettre enfin que la compréhension de ses origines ne correspond pas à une recherche en filiation.
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