par Alexandra Pichard publié le 2 mars 2021
Alors que 18 cas de Covid-19 ont été dépistés dans la prison de l’Essonne il y a quelques jours, syndicats et défenseurs des droits carcéraux alertent sur la situation sanitaire «inquiétante» dans les centres pénitentiaires.
Après Fresnes, Nanterre et Réau en janvier, c’est au tour du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne, d’être touché par un cluster. Dix-huit cas de Covid-19 ont été découverts au sein du bâtiment D2, une des structures de la maison d’arrêt regroupant près de 680 détenus et un bon nombre du personnel. Testés lors d’un dépistage massif mené les 24 et 25 février, ils ont provoqué quelque 77 cas contacts. Le syndicat FO de Fleury-Mérogis évoque de son côté vingt détenus contaminés, ainsi que deux membres du personnel – parmi lesquels un soignant. Sans compter «plus de 200 prisonniers ayant refusé le test, ce qui laisse craindre des trous dans la raquette», estime le secrétaire local du syndicat, Didier Kandassamy.
Le protocole sanitaire a été mis en place selon la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) d’Ile-de-France : les personnes atteintes du Covid et les cas contacts sont isolés au sein d’une aile dédiée et soignés par les médecins de l’unité sanitaire. Confinées, elles ne peuvent plus se rendre au parloir, ni au travail le temps de leur isolement. Mais le syndicat FO va plus loin en demandant la «mise sous cloche» de l’ensemble du bâtiment D2 avec «la suspension totale des parloirs, du dépôt de linge, des ateliers, mais aussi la désinfection des locaux». Pour deux semaines au moins, le temps de «ramener de la sérénité sanitaire» au sein de la structure et «d’éviter la propagation de l’épidémie» sur l’ensemble de l’établissement. «Le principe de précaution doit s’appliquer»,tonne Didier Kandassamy.
Alors que le département est placé en «surveillance renforcée» en raison de la flambée des variants, le syndicaliste se fait l’écho de«l’angoisse de la communauté pénitentiaire» : «Depuis quelques semaines les clusters se multiplient dans les prisons, il y a en a déjà eu sept rien qu’en région parisienne. Ces indicateurs montrent que le virus circule activement, qu’il n’est pas aux portes de nos établissements pénitentiaires mais bien à l’intérieur.» La DISP tempère en évoquant actuellement treize cas positifs à Bois-d’Arcy et treize autres à la maison d’arrêt du Val-d’Oise, sur les 11 800 détenus qu’elle compte dans 18 établissements.
«Angoisse face au virus décuplée»
«C’est une sorte de miracle que ce ne soit pas pire», souligne auprès de Libération la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot. Elle craint une flambée des cas et des clusters «inévitables» face aux variants qui propagent la maladie plus rapidement. Angoisse partagée du côté des détenus : «Les allées et venues des personnels vivant à l’extérieur menacent de véhiculer le virus dans les prisons et plusieurs détenus s’inquiètent aussi de voir certains surveillants porter leur masque sous le menton», rapporte le coordinateur du pôle enquête de l’Observatoire international des prisons, François Bès.
Il témoigne d’une «angoisse face au virus décuplée en prison», à laquelle s’ajoutent des conditions de détention dégradées depuis près d’un an. «Les activités sont réduites, les parloirs sont très restreints, avec l’interdiction de se toucher et des vitres en plexiglas qui séparent les familles. Tous alignés, ils doivent hurler pour se faire entendre, ce sont des conditions épouvantables», regrette Dominique Simonnot.
L’urgence : désengorger les prisons pour limiter au maximum la promiscuité des détenus. «La surpopulation carcérale remonte en flèche, on frôle les 64 000 prisonniers, avec 1 000 entrées en détention chaque mois, pointe la Contrôleuse générale. S’il y a trop de monde, avec des détenus parfois à trois par chambre, difficile de tenir les gestes barrières. Les détenus sont condamnés mais pas à risquer d’attraper le Covid.» A Fleury-Mérogis, le taux d’occupation de la prison est actuellement de 109,9 % selon l’OIP : un chiffre bien plus élevé qu’au printemps 2020.
«Promiscuité permanente et la santé plus fragile»
«La surpopulation carcérale endémique que connaissait la France avant la pandémie est de retour», écrivait fin janvier Dominique Simonnot dans un courrier adressé au ministre de la Santé. Dans une autre lettre du 25 janvier destinée au garde des Sceaux, elle l’exhortait à prendre «sans délai» des mesures «au moins équivalentes» à celles prises au printemps, où «des ordonnances avaient notamment permis de libérer des détenus proches de leur fin de peine et de différer des incarcérations». En limitant la détention provisoire par exemple – coïncidence, le bâtiment D2 de Fleury-Mérogis où s’est développé le cluster renferme justement les prévenus en attente de jugement. Eric Dupond-Moretti a répondu que «les outils juridiques et techniques existent», en rappelant aux juridictions «le panel de mesures pouvant être utilisées afin de favoriser la régulation carcérale» pendant la crise sanitaire. Pas de nouvelles ordonnances, donc.
La mise en œuvre rapide d’un plan vaccinal dans les prisons est l’autre cheval de bataille des défenseurs des droits en milieu carcéral et du syndicat FO. «Les conditions de détention, notamment la promiscuité permanente et la santé plus fragile des personnes détenues sont des facteurs à risque», souligne François Bès, qui regrette qu’il n’ait «pas été question de prioriser la vaccination dans les centres pénitentiaires».
Interpellé à ce sujet par Dominique Simonnot, le garde des Sceaux a répondu que «comme chaque Français âgé de 75 ans et plus, les détenus concernés (environ 250 personnes) sont prioritaires». A l’heure actuelle, 327 détenus ont été vaccinés, rapporte la chancellerie à Libération, rappelant que «les détenus présentant des facteurs de comorbidités sont également prioritaires, comme pour la population générale». «La vaccination des prisons suit le plan national alors qu’elles ne sont pas des lieux comme les autres», déplore la Contrôleuse générale.
En Belgique, une prison entière a été placée en quarantaine ce week-end : plus de la moitié des détenus et du personnel du centre pénitentiaire de Namur ont été testés positifs au Covid-19. Une telle épée de Damoclès pourrait bien peser au-dessus des prisons françaises.
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