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lundi 1 mars 2021

« L'incesteur mène une vie que rien ne différencie des autres »

02.03.2021, par 
L'anthropologue Dorothée Dussy a enquêté pendant des années sur la réalité de l'inceste, un phénomène courant dans nos sociétés, qui dépasse l'addition de faits divers isolés. Elle rappelle notamment que l'incesteur, loin de la figure du monstre, mène souvent une vie des plus banales. 

Plusieurs enquêtes dans les pays occidentaux, depuis la Seconde guerre mondiale, révèlent que 5 à 10 % des enfants seraient victimes d'inceste1. Avons-nous affaire à un phénomène structurel ?

Dorothée Dussy2. Ces chiffres sont effectivement énormes. On ne peut donc pas traiter chaque révélation d'inceste3 comme un cumul de faits divers mais bien comme un phénomène structurel. La perception des viols sur mineurs a évolué au fil des siècles. L'historienne Fabienne Giuliani, qui a travaillé sur la perception de l'inceste4, remarque qu'un viol sur un enfant de la famille a toujours été condamné. Mais l'opprobre portait sur le groupe social. Il n'était pas vraiment question de reconnaissance du traumatisme de la victime. Il a fallu attendre les dernières décennies pour le considérer. Et si on sait documenter l'inceste dans toutes les sociétés humaines, l'anthropologie n'avait pas pensé à renseigner, jusqu'à mon travail, ce que représente l'inceste dans la réalité. Les travaux étudiaient l'interdit de l'inceste concernant les questions matrimoniales, à savoir avec qui une personne n'a pas le droit de se marier dans une société donnée. Mais, si les pères et les filles savent très bien qu'ils ne doivent pas s'unir, ça n'empêche pas certains pères, cousins ou grands frères, car ce phénomène concerne majoritairement des hommes, d'imposer des rapports sexuels à un enfant de la famille.

La perception des viols sur mineurs a évolué au fil des siècles (...) le traumatisme de la victime d'inceste n'est reconnu que depuis les dernières décennies. 

Dans votre livre Le Berceau des dominations, vous affirmez que ce qui pose problème à la famille est moins l'acte que son dévoilement...
D. D. Mon enquête montre le fonctionnement de la famille n'est pas vraiment perturbé par le viol répété d'un ou plusieurs enfants, au domicile ou à celui d'un parent. Les relations se poursuivent normalement, les enfants vont à l'école, les parents au travail, ils partent en vacances, etc. Il s'avère en effet que c'est au moment de la révélation de l'inceste que le fonctionnement familial explose.


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