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jeudi 4 mars 2021

Les jeunes Bruxellois entre tentation complotiste et ouverture sur le monde

Par   Publié le 3 mars 2021

Une étude menée dans la capitale belge met en lumière les convictions complotistes et antisémites d’une partie de la jeunesse, mais aussi l’ouverture d’esprit de ces nouvelles générations. 


Dans un collège à Bruxelles, en septembre 2020.

LETTRE DU BENELUX

Ils sont 43 % à ne pas associer Adolf Hitler au mal et 73 % à ne jamais avoir entendu parler du génocide rwandais. S’ils sont d’origine arabo-musulmane, 28 % d’entre eux pensent que les services secrets israéliens sont derrière les attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. C’est le bilan aussi sombre qu’affligeant que dressent deux chercheurs sur l’état d’esprit dans des collèges et des lycées de la ville-région de Bruxelles.

Il aura fallu trois ans à Joël Kotek et Joël Tournemenne pour obtenir un financement public régional afin de mener à bien leur enquête dans une soixante d’établissements – trente-huit acceptant finalement d’y participer. Et c’est avec le soutien de la Fondation Jean-Jaurès, proche du Parti socialiste français, qu’ils ont publié leur étude, à la fin 2020

Sans doute les responsables politiques belges redoutaient-ils le titre un peu trop explicite donné à ce projet – « Le juif et l’autre dans les écoles francophones bruxelloises » – par deux universitaires du Centre européen d’études sur la Shoah, l’antisémitisme et les génocides, lié à l’Université libre de Bruxelles.

Sans doute les dirigeants de la région craignaient-ils aussi des conclusions risquant d’illustrer les carences d’un système éducatif qui néglige l’histoire, la philosophie ou l’éducation aux médias. De quoi encourager, bien sûr, le complotisme et les lacunes – « effrayantes » dit M. Kotek – des jeunes sur de grands thèmes sociétaux.

Les « ravages du déni »

Sans doute, enfin, le monde politique ne voulait-il pas qu’on mette le doigt de façon un peu trop insistante sur les « ravages du déni »dont parle Elisabeth Badinter. A savoir, cette pratique consistant, dans le débat public ou dans les médias, à mettre sous le tapis tous les sujets qui fâchent et qui pourraient menacer le fragile équilibre entre les différentes communautés et les différentes religions dans une grande ville.

Or, ce déni est bien une réalité à Bruxelles, ville aux allures de patchwork, où les plus pauvres ne côtoient pas les plus riches, où la segmentation entre autochtones et personnes d’origine étrangère limite les échanges, sous l’œil indifférent de la communauté des fonctionnaires internationaux.

Il ne faut pas se tromper, insistent toutefois MM. Kotek et Tournemenne : les facteurs socio-économiques existent bel et bien mais ils sont moins déterminants que les représentations culturelles et religieuses quand il s’agit d’expliquer une série de phénomènes, dont l’antisémitisme. L’attentat contre le Musée juif de Bruxelles, commis par Mehdi Nemmouche, qui a tué quatre personnes en mai 2014, n’a apparemment provoqué aucun changement, sauf peut-être le renforcement de la présence de policiers et de militaires aux abords des synagogues et des écoles juives.

En 2011 déjà, l’étude « Jong in Brussel » du professeur Mark Elchardus, réalisée auprès de jeunes élèves néerlandophones, avait surpris en montrant que 48 % des lycéens de confession musulmane embrayaient sur les clichés antisémites les plus répandus, comme l’idée que « les juifs veulent tout dominer » ou que « quand on commerce avec les juifs, il faut veiller à ne pas se faire rouler ». C’est en s’inspirant de ce travail que M. Kotek et son collègue ont voulu sonder la communauté – plus nombreuse – des jeunes francophones de la capitale.

Le poids de la pratique religieuse

Ils ont certes découvert que 21 % de l’ensemble des musulmans estiment que « le bilan de la Shoah est gonflé », mais leur constat final est double. Plutôt rassurant dans un premier temps, il présente une jeunesse globalement acquise au « libéralisme culturel », accueillante, ouverte aux droits de l’homme et à l’altérité. Un autre aspect est, en revanche, plus inquiétant : des réticences assez classiques – sur le mariage avec un conjoint d’une autre confession, par exemple –, mais, surtout, la progression d’une série de préjugés, sous l’influence conjointe de la religion et d’un manque criant de connaissances.

Dans cette ville où 39 % des sondés se disent de confession musulmane – dont 81 % de pratiquants –, « les élèves arabo-musulmans sont à rebours de la tendance à ce libéralisme culturel qui a gagné l’ensemble de la jeunesse », relèvent MM. Kotek et Tournemenne. Ces élèves partagent avec les catholiques pratiquants interrogés des préjugés sexistes, antisémites et homophobes. Quelque 26 % de jeunes musulmans pratiquants, et une proportion semblable de catholiques fréquentant l’église, refusent ainsi d’avoir un professeur homosexuel, tandis que 38 % (et 29 % de catholiques pratiquants) estiment que la loi religieuse prime sur la loi civile. La théorie darwinienne de l’évolution est-elle fausse ? Respectivement 29 % et 20 % le pensent, avec également, il faut le relever, une proportion de 26 % chez les musulmans qui se disent être des non-pratiquants.

Les deux chercheurs ont aussi tenté de déterminer dans quelle mesure le conflit israélo-palestinien, souvent incriminé, influait sur la résurgence des préjugés antijuifs. « De manière accessoire », affirment-ils. Il ne ferait, en réalité, qu’amplifier, et justifier, des visions plus anciennes, d’origine culturelle et familiale. Sauf pour de jeunes radicalisés, chez qui le sionisme est l’une des facettes de la modernité honnie, qui les pousse à combattre aussi, entre autres, les caricaturistes ou les professeurs.

Le Parlement régional de Bruxelles a prévu d’organiser des Assises sur le racisme et l’antisémitisme. Il possède désormais un outil qui démontre l’urgence à agir dans les écoles et auprès de jeunes en pleine confusion. « On ne protège pas du racisme en niant la réalité de l’antisémitisme, qui n’est pas qu’une affaire juive », soulignent encore les deux auteurs.



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