Propos recueillis par Lucie Soullier Publié le 2 mars 2021
Romain Colas, maire socialiste de Boussy-Saint-Antoine, revient sur les rixes d’adolescents après la mort d’un garçon de 14 ans, poignardé dans sa ville.
En deux jours, lundi 22 et mardi 23 février, deux adolescents de 14 ans sont morts dans l’Essonne, poignardés dans deux rixes qui ne sont pas liées sur le fond : Lilibelle, à Saint-Chéron, et Toumani, à Boussy-Saint-Antoine.
Romain Colas, maire socialiste de Boussy-Saint-Antoine, revient sur ces affrontements entre bandes d’adolescents dans sa ville et son département.
Une réunion s’est tenue sur la « lutte contre les bandes » autour des ministres de l’éducation nationale, de l’intérieur et de la justice, lundi 1er mars. Avez-vous l’impression que le gouvernement prend en main le problème ?
En tout cas, il y a une volonté affichée, et je me réjouis que cela aille plus loin que l’angle répressif. Parce que depuis une semaine, j’ai entendu un certain nombre de responsables nationaux qui avaient tendance à aborder ce problème exclusivement autour du prisme policier et pénal. Il s’agit évidemment de volets fondamentaux. Mais on a tendance à se focaliser là-dessus et à moins s’interroger sur les causes profondes. Ce qui est finalement un renoncement.
Un renoncement à quoi ?
A comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre dans ces affrontements, et à essayer de les contrarier. Il faut faire les deux : du préventif et du curatif. On ne va pas arrêter des gamins de 9 ans parce qu’ils habitent un quartier et que, dans quelques années, ils vont potentiellement se battre avec les types de leur âge du quartier d’en face. Si on se limite à ce seul volet policier et répressif, qui est nécessaire, on fait preuve de fatalisme : on acte le fait que des drames arriveront à nouveau et que l’on punira les auteurs quand ça arrivera. Point.
Moi, je ne m’y résous pas. Quand deux gamins meurent en deux jours dans de telles conditions, à Saint-Chéron et à Boussy-Saint-Antoine, c’est d’abord un échec des adultes qui n’ont pas su empêcher tout cela.
Gérald Darmanin a notamment pointé du doigt le « manque d’autorité parentale »…
Evidemment, ça peut exister. Mais le dire ne suffit pas à régler le problème. Et pointer comme facteur prépondérant la responsabilité des parents, c’est faire fi de la réalité. La mère de l’enfant décédé sur ma commune n’est absolument pas une mère démissionnaire. Par contre, c’est une mère qui élève seule ses cinq enfants, travaille pour les nourrir et donc, fatalement, n’est pas là toute la journée. Mais elle avait le souci de l’avenir de son enfant : un travail avait même commencé au collège de Boussy-Saint-Antoine pour le réorienter, à la demande de la mère.
Par ailleurs, les gens qui habitent ces quartiers, les mamans notamment, sont celles dont on a loué l’engagement et le fait qu’elles ne restaient pas chez elles quand on était tous confinés chez nous pour protéger notre santé. C’est souvent celles qui font le ménage dans les centres commerciaux et les entreprises, celles qui prennent le RER tôt le matin et rentrent tard le soir parce qu’elles ont des temps partiels et sont obligées de cumuler. Je ne veux pas faire de misérabilisme, mais c’est aussi ça, la réalité de ces territoires.
Donc oui, il y a des parents démissionnaires. Et il y en a surtout d’autres qui ne sont pas démissionnaires mais n’ont pas les moyens matériels, parce qu’ils ne sont pas là, d’accompagner leurs enfants autant qu’ils le voudraient. On soulève là la question du soutien à la parentalité et du boulot qui devrait être celui de nos institutions. Donc quand je parle d’échec des adultes, je pense à nous, à nous tous. A notre faillite collective. On a laissé ce problème se reproduire de génération en génération dans ces quartiers.
Sur quoi reposent les rivalités entre les adolescents des deux quartiers – Le Vieillet à Quincy-sous-Sénart et Les Cinéastes à Epinay-sous-Sénart – qui se sont affrontés dans votre commune ?
Sur rien de rationnel, pas sur des conflits liés à du trafic de drogue ou à ce genre de choses en tout cas. Mais ces tensions sont loin d’être nouvelles. Je vis ici depuis quarante et un ans, et j’ai toujours connu ça. Les rivalités sont aussi vieilles que les quartiers eux-mêmes.
Nos villes sont des champignons sortis de terre en dix ans, dans les années 1960. Il fallait forger du commun dans des villes naissantes avec des gens qui venaient de partout, alors le quartier est devenu un ciment. A un moment, cette identité s’est construite dans la confrontation, on l’a laissée s’installer et mardi dernier, on a atteint une intensité inédite avec la mort de ce gamin de 14 ans.
Vous avez pourtant mis en place un système d’alerte pour éviter ce type de drames…
En effet. Depuis quelques années, nous avons mis en place un système de veille avec une boucle de mails entre les associations, la police, les services jeunesses, les établissements scolaires, les élus… L’idée est de pouvoir échanger rapidement des informations sur des événements témoignant une montée de tensions.
Cela a montré un certain succès, on a pu casser pas mal de chaînes de violences. Mais cette fois, on n’a rien vu venir. Notamment parce que cela s’est passé pendant les vacances scolaires et que la tension est montée sur les réseaux sociaux.
De toute façon, ce système ne règle pas tout, il n’est que curatif. Il faut s’attaquer aux racines du mal : comment des ados qui vivent à quelques kilomètres les uns des autres peuvent en arriver là ? C’est dramatique, mais ces affrontements sont parfois devenus un processus de socialisation dans ces quartiers, une sorte de rite initiatique pour « devenir un homme ». Ce qui montre d’ailleurs qu’ils n’arrivent pas à acquérir cette reconnaissance ailleurs.
Et donc, comment s’attaquer à la racine de ces violences ?
Il faut casser la spirale de reproduction de génération en génération. Regardez, à Boussy-Saint-Antoine la semaine dernière, ce sont les plus grands – on parle de gamins de 15 ou 16 ans – qui ont organisé la bagarre des petits de 13-14 ans. Ça raconte tellement de choses… Il faut travailler avec les tout petits : faire en sorte que les enfants de 6, 7, 8 ans de ces quartiers passent du temps ensemble, se connaissent, fraternisent. Ça peut paraître idiot, mais je pense que c’est comme ça qu’on peut participer à traiter le problème de fond.
Avec les maires d’Epinay-sous-Sénart et de Quincy-sous-Sénart, nous avons proposé de leur faire partager des vacances dans le même centre de loisirs. Ce qui permettrait également de créer une communauté de parents. On voulait le mettre en place dès les vacances de Pâques. Malheureusement, avec le Covid-19, on ne peut pas mélanger les enfants pour l’instant…
Pensez-vous pouvoir encore corriger une situation si ancrée dans votre territoire ?
Nous en avons l’impérieuse obligation. Je crois aujourd’hui que la volonté est partagée par beaucoup d’élus. La semaine dernière, je ressentais beaucoup de tristesse et de colère. Là, j’ai surtout un sentiment de gâchis.
Il nous faut tirer de ces drames l’énergie de contrarier ce qui nous a trop longtemps paru être le cours fatal des choses. Notre boulot, c’est de faire en sorte qu’une partie de ceux qui sont dans nos écoles primaires aujourd’hui ne deviennent pas, dans quelques années, les tristes acteurs de la tragédie à laquelle on a assisté mardi soir.
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