5 mars 2021
Après avoir laissé planer la menace d’une obligation, l’exécutif a finalement choisi la méthode douce. Reste que le taux de vaccination très bas des personnels de santé scandalise jusque dans les hôpitaux.
La caresse plutôt que le bâton. Dans un tweet posté vendredi, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a pris ses distances avec l’idée agitée à l’Elysée d’imposer aux soignants une vaccination obligatoire contre le Covid-19. «Je suis convaincu que la couverture vaccinale chez les soignants va augmenter, avance le locataire de l’avenue de Ségur. Mon objectif, c’est de continuer de les convaincre.» Quelques heures plus tard, le ton de sa lettre également postée sur Twitter est tout en mots doux : des soignants, le ministre salue leur «courage», leur «énergie» et leur «engagement», avant de leur «demander» au nom de la «sécurité collective» et de la «capacité du système de santé à tenir» à passer à l’acte «rapidement». C’est clair : pour Véran, mieux vaut pousser à la vaccination de masse que de stigmatiser des professionnels de santé qui pourraient être de nouveau prochainement confrontés au feu roulant de l’épidémie. Du moins dans l’immédiat. Car le sujet reste brûlant. C’est que le manque d’empressement des soignants à se faire vacciner confine au «scandale» pour nombre de praticiens hospitaliers, convaincus que l’impératif de protection collective doit aujourd’hui prévaloir sur la liberté individuelle.
Quelle est la couverture vaccinale chez les soignants ?
Le dernier pointage des soignants vaccinés au sein des établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a servi de détonateur. Alors que le vaccin est ouvert aux soignants de plus de 50 ans avec comorbidités depuis début janvier et à tous les soignants depuis le 6 février, l’exemplarité n’est pas vraiment au rendez-vous : 38 % des médecins se sont fait vacciner, chiffre qui tombe à 17 % chez les paramédicaux et 18 % chez les agents non soignants. Au total, 29 % seulement des 99 952 salariés de l’AP-HP se sont fait injecter un produit anti-Covid. Même si les quelque 12 500 agents qui ont eu le coronavirus sont a priori naturellement immunisés, le bilan est calamiteux. D’autant qu’il ne doit rien à la pénurie : sur 103 000 doses d’AstraZeneca allouées mi-février par l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France aux établissements de santé de la zone, 22 000 seulement avaient trouvé bras preneur au 2 mars…
Pourquoi cette situation est-elle préoccupante ?
«A l’hôpital, on a des clusters…» rappelle le professeur Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis de Paris. Et beaucoup. Début février, 71 foyers épidémiques ont été identifiés dans les établissements de l’AP-HP. Et le reste de la France n’est pas épargné. Début février, les trois quarts des CHU faisaient état d’un cluster dans leur mur. En janvier, 148 agents de l’hôpital de Dieppe ont été testés positif ; 62 à l’hôpital de Loudun mi-février… Dans ces lieux fermés, les contaminations nosocomiales liées au Covid se multiplient. Entre le 1er janvier 2020 et le 14 février 2021, Santé publique France a recensé quelque 26 839 patients qui ont attrapé le coronavirus à l’hôpital. 57 % de ces contaminations seraient liées à des contaminations de patients à patients, mais 34 % seraient d’origine soignante… De quoi nourrir l’indignation des praticiens. «On a des patients qui rentrent dans les hôpitaux pour une dialyse, une intervention chirurgicale, une prise en charge de diabète ou de cancer, et qui terminent en réanimation avec la Covid, ce n’est pas normal», proteste le professeur François Chast, ancien chef de service de la pharmacie clinique de l’hôpital Necker.
Qui élargit le spectre au-delà de l’hôpital : «Depuis le début de l’épidémie, Il y a eu quelque 25 000 décès nosocomiaux liés au Covid dans les Ehpad. Je suis effrayé de constater que le personnel de ces établissements ne se vaccine qu’à 38 % !» Jean-Michel Molina lui fait écho : «Les chercheurs anglais et israéliens ont publié des études observationnelles qui permettent de dire que le vaccin réduit la transmission, rappelle-t-il. On ne supprime pas le risque mais on le réduit. Il y a trop de réticence. On est en pleine épidémie, on n’a pas le temps d’attendre.»
Pourquoi le ministre de la Santé préfère-t-il temporiser ?
Question de prudence. «Rendre le vaccin obligatoire pourrait être contre-productif», alerte Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers. D’autant que les soignants, sursollicités depuis un an et en sous-effectifs chroniques, estiment ne pas avoir de leçon à recevoir d’un gouvernement qui les a longtemps laissés sans protection face au virus. Un risque de bronca difficile à courir alors que les structures de santé sont sous pression. «Vu l’épuisement des équipes, je crains déjà qu’on peine à trouver des renforts là où on a besoin», avertit le professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP. Référent vaccination sur l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), le gériatre Christophe Trivalle confirme : «On est en pleine crise, inutile de rajouter de la tension à la tension. Il vaudrait mieux essayer de convaincre.»
Les soignants sont-ils rétifs au vaccin par principe ?
En réalité, l’obligation vaccinale existe déjà pour les professionnels de santé. La vaccination contre la diphtérie, le tétanos, la polio et l’hépatite B est nécessaire pour valider une inscription dans les écoles d’infirmières ou en faculté de médecine. En revanche, les professionnels de santé ne se protègent que distraitement contre les épidémies saisonnières. Pour preuve, la médiocrité de leur couverture vaccinale contre la grippe sur la saison 2018-2019 : selon Santé publique France, 67 % des médecins s’en étaient prémunis, contre 36 % des infirmiers et 21 % des aides soignants. Des taux assez proches de la couverture vaccinale contre le Covid, à cette différence près qu’aujourd’hui toute la population n’a pas accès aux vaccins… Pour l’ancien directeur de Santé publique France, François Bourdillon, l’impératif de protection collective devrait donc aujourd’hui prévaloir sur la liberté individuelle : «Le Covid n’est pas une maladie rare, et c’est une maladie mortelle. Aucun des trois vaccins autorisés en France ne présente de contre-indication, à l’exception du choc anaphylactique [réaction allergique sévère, ndlr]. Alors que le Covid a fait près de 90 000 morts en France sur les douze derniers mois, il est paradoxal de ne pas ajouter ce vaccin à la liste des obligations.»
Pourquoi tant de réticences ?
La première tient au vaccin. «Les plus de 50 ans ont eu le droit au Pfizer, mais on ne propose à tous les autres qu’AstraZeneca, souligne Thierry Amouroux. Cela crée du mécontentement. C’est un produit adapté à la population générale, pas aux personnels les plus exposés, puisqu’il présente une faible efficacité, de l’ordre de 22 % à 40 % sur les variants sud-africain et brésilien.» Le docteur Trivalle constate : «On a du mal avec l’AstraZeneca. Certains ne veulent que Pfizer ou Moderna. Quand ils découvrent qu’il n’y en a pas, ils disent qu’ils préfèrent attendre, surtout s’ils ne travaillent pas dans des services exposés.»
Mais le refus vaccinal relève aussi souvent du fait que beaucoup de paramédicaux, ayant pour la plupart moins de 50 ans, se pensent à l’abri d’une forme sévère du Covid. Les théories antivax propagées sur les réseaux sociaux n’arrangent rien. «Ils viennent plus volontiers dès qu’ils y trouvent un intérêt personnel, selon Christophe Trivalle. Par exemple quand ils projettent de partir à l’étranger et qu’ils pensent devoir fournir une preuve de vaccination pour prendre l’avion. Si demain, on leur dit qu’il faut avoir été vacciné pour pouvoir aller au cinéma ou au restaurant, j’ai le sentiment que la demande va monter en flèche.» De l’art de contraindre sans obliger.
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