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mardi 2 mars 2021

Covid-19 : entre confinements et restrictions, l’épreuve sans fin des familles de handicapés




Servane a perdu beaucoup de forces depuis un an, mais elle a gardé son sens de l’humour. Cette Grenobloise de 45 ans raconte sa famille à mots choisis, sobres et précis. Elle est professeure des écoles, son mari chef d’entreprise, leur premier enfant, une fille de 17 ans, va bien. Le second, Antoine, 15 ans, a souffert d’un grave problème d’oxygénation à la naissance, qui a provoqué une paralysie cérébrale très sévère : il ne parle pas et ne peut se mouvoir seul. Depuis l’âge de 4 ans, il est pris en charge en établissement spécialisé. Son frère Arthur, le troisième enfant du couple, est né en mai 2010 avec une surdité profonde. C’est à ce moment-là que Servane éclate de rire : « Le handicap, ici, on en connaît un rayon ! »

Il y a sept ans, cette femme énergique a dû arrêter de travailler, engloutie par la paperasse administrative, noyée dans l’océan des sigles et des acronymes, happée par les rendez-vous avec les professionnels de santé, les multiples prises en charge éducatives et médicales dont ses enfants ont besoin. Elle s’est par ailleurs dévouée corps et âme à une association, Loisirs pluriel, où valides et handicapés se regroupent pour des activités.

Jusqu’à l’arrivée du Covid-19, Antoine était hébergé dans un centre de jour, où il dormait tout de même deux soirs par semaine. « Cela nous permettait de souffler et de nous occuper de nos autres enfants », précise Servane. Le premier confinement, en mars 2020, a bouleversé cet équilibre. Du jour au lendemain, le centre a fermé ses portes, l’auxiliaire de vie chargée de promener Antoine, de lui donner le bain et de préparer sa soupe, a cessé de travailler.

Pendant que son mari continue de se rendre à son entreprise, Servane se retrouve à la maison avec les trois enfants. « En mode robot, en pilotage automatique », comme elle dit, contrainte d’enchaîner les gestes en se répétant : « Il faut que tout le monde aille bien. »

Pas facile avec Antoine : il nécessite une attention de chaque instant et a besoin d’être stimulé, sous peine de régresser. Les autres enfants ont été un peu livrés à eux-mêmes, passant beaucoup de temps sur leurs écrans. « Tous les soirs je me disais : “Je ne vais pas tenir, je vais m’écrouler demain.” Il y a eu beaucoup de larmes, beaucoup de craquages, mais on s’est soutenus entre parents d’enfants handicapés, et j’ai tenu. »

A force de porter son fils, Servane est sortie de cette première épreuve avec une tendinite, des douleurs dans tout le corps, une fatigue physique et psychique extrême. De la colère aussi : « La pandémie a mis en exergue l’approche globale du handicap en France, où il est considéré comme le problème des parents. Il est fou qu’en 2021 on n’aménage pas nos vies d’aidants. Nos familles sont invisibles, car nous ne grognons pas, nous ne manifestons pas, nous sommes trop épuisés pour ça. »

Quotidien chamboulé

Avec l’été, la famille s’est un peu requinquée, mais le répit a été de courte durée. A l’automne 2020, le deuxième confinement, même s’il a été globalement plus facile à gérer puisque les structures d’accueil sont restées ouvertes, a de nouveau chamboulé le quotidien : difficulté d’accès aux professionnels de santé, soignants « cas contact » ou positifs au Covid-19 incapables d’assurer le suivi des soins, limitation des activités en raison des protocoles sanitaires…

La deuxième vague de l’épidémie n’a pas épargné Servane et les siens. Antoine est tombé malade le premier, puis les autres membres de la famille ont été déclarés positifs. Cette fois, le cauchemar a duré quinze jours. « J’ai été horrifiée de constater à quel point nous étions seuls, poursuit l’ancienne enseignante. Les auxiliaires de vie ont déserté, on n’a eu aucun suivi après le premier appel de la Sécurité sociale. Heureusement que ni moi ni mon mari n’avons développé de forme grave, car qui se serait occupé d’Antoine ? »

Aujourd’hui, la situation est redevenue à peu près normale, mais, privé d’activités en raison des restrictions, Antoine a développé des troubles du comportement. Lorsqu’il est frustré, l’adolescent devient agressif, se frappe contre son fauteuil, son auxiliaire de vie n’arrive pas toujours à lui donner sa douche.

« On vit sans vivre, il n’y a jamais de pause. La fatigue s’accumule. J’ai le sentiment que le château de cartes que j’ai construit depuis quinze ans s’est écroulé. Le Covid-19 m’a enlevé ma foi dans la vie », soupire Servane, qui se décrit pourtant comme « quelqu’un de fort et de positif ». Elle précise avoir « la chance » d’avoir les moyens financiers pour supporter tout cela, et sestime déjà heureuse d’avoir eu une place en centre d’accueil, alors que certains attendent trois ans.

« J’ai eu de la chance »« Il y a pire que moi »… Ce genre de phrase revient souvent dans la bouche des familles concernées, habituées à se faire discrètes, s’excusant de déranger une société qui peine à accepter la différence, comme s’il ne fallait surtout pas avoir l’air de se plaindre, même du pire, de l’insoutenable.

Choix cornélien

La France compte douze millions de personnes handicapées, dont 3 % à mobilité réduite. Ce sont ces dernières, les plus gravement atteintes, qui souffrent le plus de la pandémie. Comme dans le cas d’Antoine, le Covid-19 prend des allures de catastrophe pour les polyhandicapés et leurs familles : défaut de soins, perte de la sociabilité, complications logistiques, crainte des conséquences du virus sur des organismes déjà fragilisés.

Dès le début de l’épidémie, Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, a mis en place une série de mesures concrètes : numéro d’appel unique pour les familles afin d’éviter l’attente téléphonique aux différents guichets, autorisation de déconfinement pour les autistes annoncée le 2 avril par Emmanuel Macron, permission de déplacement pour les aidants, don de tablettes numériques, dérogations au port du masque, élargissement du périmètre de 1 km pour les sorties, lancement de la production de « masques inclusifs », c’est-à-dire transparents au niveau de la bouche pour permettre de lire sur les lèvres. Elle a également décidé de proroger tous les droits des personnes et des familles, pour ne pas ajouter des tracasseries administratives aux charges du quotidien. Sophie Cluzel a aussi tenu à ce que les internats pour adultes restent ouverts, comme les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Une mesure d’équité qui a mis, paradoxalement, de nombreuses familles dans l’embarras. Valait-il mieux faire revenir leurs enfants à la maison ou les laisser en centre, sans savoir quand ils allaient les revoir ? Un choix cornélien.

Quand le centre a appelé Laurence et son mari pour leur demander s’ils voulaient récupérer leur fils de 25 ans chez eux, le couple a beaucoup hésité. Benjamin, atteint d’un syndrome autistique qui ne lui permet pas d’être autonome, vit depuis l’âge de 6 ans en institution. Situé dans l’Oise, où l’un des tout premiers clusters a été recensé, le centre s’est confiné en urgence quinze jours avant le confinement national.

Vétérinaire, Laurence travaille dans l’industrie alimentaire, son mari, qui a vingt ans de plus qu’elle, est à la retraite. C’est justement l’âge de celui-ci, 74 ans, qui les a conduits à laisser Benjamin dans sa structure d’accueil. Des cas de Covid-19 ayant été détectés dans le centre, un retour sans tests ni masques au domicile familial risquait de mettre le père en danger. Une décision douloureuse que le couple regrettera amèrement. Benjamin a l’habitude de retrouver sa famille un week-end sur deux et de passer les vacances avec ses parents. Il restera trois mois sans les voir.

« Il n’a plus de vie sociale »

Au début, Laurence l’a tous les jours au téléphone. Même s’il parle peu, elle a le sentiment qu’il tient le coup. Au bout de deux mois, le centre annonce aux familles que des cas de Covid-19 ont été à nouveau détectés et que les soixante pensionnaires ont été séparés en deux groupes afin d’éviter les contaminations. Benjamin a dû quitter sa chambre, sa télévision, ses repères, du jour au lendemain. Déstabilisé, il refuse désormais de parler au téléphone. Ses parents commencent à s’inquiéter.

Il leur faut attendre encore plusieurs jours pour qu’une soignante leur confie qu’il ne quitte plus son lit, prostré, volets fermés, et refuse de s’alimenter. Puis, c’est le directeur qui leur dit qu’une hospitalisation est envisagée, car Benjamin « décompense ». Ce 25 mai, Laurence bondit dans sa voiture et fonce récupérer son garçon. « Je ne sais pas si je pourrai oublier un jour ce que j’ai vu, confie-t-elle. Il était totalement émacié, l’air hagard, il tremblait. Il ne pesait plus que 50 kg pour 1,80 m, il poussait des cris de bête blessée, j’avais l’impression d’être face à un vieillard. »

Il a fallu plus d’un mois à Benjamin pour récupérer, dormir la nuit, s’apaiser, reprendre du poids et des forces. « Je télétravaillais, se souvient Laurence, on a fait comme on a pu avec mon mari. Au bout de deux mois, il s’est remis à sourire. »Le couple a décidé qu’il ne retournerait pas dans son institution : « Il a failli y passer », estime la mère. Elle-même a fait un burn-out pendant l’été, elle a été arrêtée trois semaines, épuisée.

Depuis, si Benjamin va mieux et va intégrer bientôt une structure d’accueil plus adaptée à ses besoins, la situation sanitaire lui complique encore la vie. « Il s’ennuie, car il est très limité dans ses activités, il n’a plus de vie sociale et, comme il ne supporte pas le port du masque, on ne peut pas se promener avec lui », explique Laurence.

Le cas de Benjamin n’est malheureusement pas isolé. Après le premier confinement, Hélène, comédienne vivant à Paris, a retrouvé son frère aîné de 60 ans dans un « état catastrophique ». Vincent est autiste. Il a passé toute sa vie dans une succession de lieux d’accueil souvent inadaptés, gavé de psychotiques et médicamenté à outrance.

Hébergé dans une maison d’accueil médicalisée au moment de la pandémie, il est resté cloîtré cinq semaines dans sa chambre, ne répondant plus sur son portable. Les activités et les repas en commun avaient été supprimés. « Or, pour les autistes, la stimulation reste la base de la progression, insiste Hélène. Lorsqu’on a pu enfin venir le chercher, après la déclaration d’Emmanuel Macron du 2 avril, il avait perdu 8 kg et était en état de choc. Il n’arrêtait pas de répéter : “Je parle fort”, car il n’avait pas entendu le son de sa propre voix pendant plus d’un mois. » Vincent s’est stabilisé, mais manifeste une très grande anxiété dès qu’il entend le mot « confinement ». « Nous sommes obligés de le rassurer sans cesse, en lui promettant qu’on ne le remettra pas dans son foyer », poursuit Hélène d’une voix douce et apaisante. Même si, comme de nombreux aidants, elle ne veut pas « polémiquer », elle juge que « très peu de lieux ont géré la situation de façon satisfaisante ».

Apéros virtuels entre parents

« Dans le polyhandicap, la routine est extrêmement importante, c’est pourquoi cette pandémie qui désorganise tout est épouvantable, constate Hélène Rossinot, médecin spécialiste de santé publique en lien permanent avec les associations d’aidants. De nombreux handicapés ont régressé avec l’interruption des soins, et les aidants n’ont pas eu le moindre répit. »

Ainsi, Bérénice, mère de Werner, un garçon autiste de 13 ans, habituellement scolarisé à Paris dans une classe ULIS – unité localisée d’inclusion scolaire –, où une assistante de vie scolaire s’occupe de lui. A la fermeture des écoles, en mars 2020, la famille de quatre personnes, comme tous les Français, a été assignée à résidence dans ses 67 mètres carrés pour la première fois, ou presque. Car, comme l’indique Bérénice, ils ont toujours organisé leur vie pour que chacun ait son espace, sa place, son temps de repos. Au point, par exemple, de ne jamais partir tous les quatre ensemble en vacances. « C’est comme ça qu’on arrive à tenir le coup », dit-elle.

Werner ne peut pas travailler seul. Il faut toujours être à ses côtés et l’occuper, sinon il tourne en rond. « Comme beaucoup d’autistes, il est dans la répétition permanente, il peut poser des dizaines de fois la même question, lâche Bérénice. En confinement, ça rend dingue ! Il m’agaçait avec ses bruits, alors que d’habitude je m’en accommode. »

Elle a développé de nombreuses stratégies pour introduire de nouveaux sujets de conversation, le faire sortir de ses obsessions en regardant des films avec lui afin de susciter des discussions. Malgré cela, le huis clos les étouffe. « Très vite, j’ai eu l’impression de tout faire mal, de ne pas arriver à travailler ni à bien m’occuper de mes enfants, témoigne Bérénice. J’aurais dû me mettre en arrêt maladie car, au bout d’un moment, j’ai plongé. » Investie dans une association, elle a tout de même trouvé le ressort pour organiser des apéros virtuels afin d’échanger avec d’autres parents, partager leurs expériences, en rire aussi, chacun son verre à la main.

A ces apéros, il y avait aussi Vincent, un ingénieur de 44 ans, père divorcé de deux enfants, dont l’un, Gabriel, 13 ans, souffre depuis la naissance d’un gros retard mental. « Il ne parle pas, n’est autonome en rien, il a des troubles du comportement de type autistique », résume Vincent. Depuis trois ans, Gabriel est dans un internat dans l’Oise – la famille n’a pas obtenu de centre plus proche – et rentre un week-end sur deux chez son père ou sa mère à Paris.*

Au premier confinement, les parents ont décidé de le laisser sur place. « L’avoir à la maison est trop épuisant, admet le père. Il se fait mal, peut se frapper la tête contre les murs, il faut être à 100 % avec lui pour intervenir dès qu’il s’énerve avant que ça devienne ingérable. » Le choix de le laisser seul si loin n’a pas été simple « C’était angoissant, car on nous a dit : “Il ne peut plus entrer ni sortir”, et on ne savait pas comment il allait réagir, ni combien de temps ça allait durer. » Ça a duré trois mois, sans autres nouvelles que celles données au compte-gouttes par les encadrants, puisque Gabriel ne peut s’exprimer. Les tentatives de « visio » ne sont pas concluantes, il ne réagit pas non plus à l’image. « Nous avions très peu de contacts avec le centre. Ils nous ont dit, au début, que Gabriel avait eu une recrudescence d’angoisses, car il ne comprenait pas ce qui se passait, puis il s’y est apparemment fait. » Quand ses parents l’ont retrouvé pour les vacances, trois mois plus tard, il avait l’air d’avoir « plutôt bien réagi ».

Des couples sous pression

D’un ton calme, Vincent confirme, lui aussi, qu’un an plus tard, la situation n’est pas revenue complètement à la normale. Comme la plupart des parents concernés, il n’en veut à personne, constate que « chacun a été pris de court et a fait comme il a pu », l’Etat, les associations, les centres, les aidants, les soignants, mais il observe que les règles changeantes et les restrictions alourdissent encore le quotidien : transports médicalisés supprimés, activités suspendues aux décisions des agences régionales de santé, tests PCR obligatoires qui limitent les entrées et sorties des structures d’accueil.

Laure, actrice et réalisatrice de fiction, mère de deux filles dont une jolie adolescente aux boucles blondes quadriplégique de naissance, dresse un constat semblable. Sa fille Noémie, 15 ans, n’a pas vu d’orthophoniste depuis un an. Conséquence : « Elle a arrêté de faire des progrès. » Cette Parisienne mince et élégante dit, elle aussi, avoir « de la chance », car elle a du temps pour s’occuper de Noémie, même si elle souffre de maux de dos qui l’empêchent de dormir à force de soulever sa fille, si menue soit-elle (1,50 m, 45 kg), pour la laver, l’aider à manger, la changer. Dès sa naissance, Laure et son mari ont fait le choix de la garder à la maison, faute d’avoir trouvé un centre adapté à ses besoins. Au fil des années, ils se sont organisés avec des nounous, une maîtresse qui se déplace une fois par semaine, trois visites de kiné hebdomadaires, un cours de danse thérapeutique et deux séances de rééducation du langage financés grâce aux aides de l’Etat…

Ce système s’est effondré à l’annonce du confinement. Le couple s’est retrouvé sans personne pour l’aider, parcs et lieux publics fermés. Il a fallu louer un van pour trimballer fauteuil, déambulateur, matériel de kiné, élastiques et vibreur pour l’orthophonie et partir s’installer avec Noémie, sa sœur et un couple d’amis dans une maison de campagne prêtée par un proche. « Depuis sa naissance, nous sommes à la fois parents et soignants de nos enfants, résume Laure. Là, on est passés un cran au-dessus. On s’est transformés en professionnels de santé et aides à domicile. On a improvisé en se documentant. On filmait le travail fait avec Noémie afin que le kiné nous dise si ça allait, mais il y a énormément de gestes techniques que l’on ne sait pas faire. Notre vie est déjà pesante au quotidien, la pandémie a rendu toutes les difficultés exponentielles. »

Marjorie, pédopsychiatre et maman de Valentine, une fillette de 9 ans polyhandicapée à cause d’une maladie génétique rare, y a laissé son couple. Sa fille passe habituellement ses journées dans une maison de santé située près de Montpellier. A la fermeture de cette structure, il y a un an, Valentine revient à la maison, ce qui se révèle d’emblée très difficile. Elle n’est pas autonome, a marché à l’âge de 6 ans, porte encore des couches, a un gros retard mental et ne parle pas. Elle souffre, en outre, de troubles du comportement, griffe, mord, peut avoir de puissants accès de violence.

« Valentine était ravie d’être avec nous à la maison, c’est nous qui l’avons mal vécu !, reconnaît aisément Marjorie, qui devait, en outre, faire l’école à la maison pour leurs deux autres enfants, préadolescents. Sans aide, nous sommes arrivés à un tel niveau de stress et d’épuisement que c’est devenu irrespirable. On a explosé en vol. »

« Un monde oublié »

Le couple s’est séparé il y a six mois. « A deux, on a droit à davantage d’heures d’auxiliaires de vie, et quand Valentine est chez l’un, l’autre peut souffler un peu. » Marjorie n’a toujours pas digéré que l’établissement de sa fille ait été fermé lors du premier confinement : « C’est comme si on avait fermé les hôpitaux psychiatriques, ce sont des lieux de soin et pas seulement d’éducation. Nos enfants ont besoin de ces centres, ce n’est ni éthique ni acceptable de les fermer ! »

Magali, fonctionnaire installée à Grenoble, était, elle, déjà divorcée avant l’épidémie. Peu de couples résistent au ravage du handicap, quand il est aussi lourd. Son fils Julien, âgé de 15 ans, est autiste non verbal. Le passage a l’adolescence l’a rendu violent, au point que sa mère a dû prendre des cours d’aïkido pour se défendre. Elle aussi préfère en rire : « Chez moi, il n’y a rien d’accroché aux murs, rien sur les étagères, rien à portée de main sinon, il casse tout. Il est chaud, Julien ! »

La vie de Julien se partage entre le centre éducatif et ses parents. Son équilibre, il le trouve dans le sport : ski, VTT, course à pied, rollers. Le confinement a été une bénédiction pour lui : ses parents, sportifs eux aussi, ont profité du beau temps pour l’accompagner dans ses activités. « Il était très heureux », se souvient Magali. Le retour au centre, en revanche, a été redoutable : « Depuis, il nous en veut, il s’est mis à se faire pipi dessus, est devenu exclusif, il casse tout, il a frappé des éducateurs. Quand il fait des crises, il n’a pas de limites, on a dû le mettre sous neuroleptiquesJ’en viens à espérer un reconfinement pour qu’il aille mieux ! »

La secrétaire d’Etat Sophie Cluzel veut croire que cette période pénible aura permis des avancées pour la cause du handicap. « Cette crise nous a donné l’occasion d’identifier des personnes qui n’étaient répertoriées nulle part, elle a aussi favorisé le travail en commun de nombreuses associations qui ne se connaissaient pas, pour trouver des solutions au niveau départemental. Les soignants ont également découvert l’expertise parentale, ils ont pris la mesure de ce que les parents savent faire. La pandémie a, par ailleurs, révélé que le centre n’est pas la seule solution, il faut aller au maximum vers une école plus inclusive », énumère-t-elle, espérant, « capitaliser » sur ce qui s’est passé pour faire monter le niveau d’acceptabilité du handicap dans la société. Elle assure que, s’il y a encore des désorganisations, « le management de l’Etat a changé, il est devenu plus réactif ».

Pour la médecin Hélène Rossinot, on en est malheureusement encore loin. « Le monde du handicap a été oublié depuis trop longtemps, estime-t-elle. Les familles sont à bout, épuisées, inquiètes d’un nouveau confinement car les soins commencent tout juste à reprendre normalement. » Seul espoir, la vaccination des soignants, qui progresse à petits pas et permettra peut-être enfin de « voir le bout du tunnel ».


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