Par Morgane Le Cam Publié le 26 février 2021
Santé en Afrique : les femmes et les enfants d’abord ! (3). Dans le district de la Kozah, un programme pilote a fait chuter la mortalité maternelle et infantile.
Le pas est pressé et les claquettes dérapent sur les cailloux de la piste tracée à travers les champs d’igname de Sarakawa, dans le nord du Togo. Afi Kpaba n’a pas de temps à perdre. Chaque jour, cette agente de santé communautaire (ASC) rend visite à une quinzaine de ménages pour s’assurer que les femmes et les enfants de moins de 5 ans se portent bien. Son matériel médical, rudimentaire, tient dans un sac à dos qui ne la quitte jamais. « On a des comprimés de première nécessité, un thermomètre, des fiches de soins et des tests de diagnostic du paludisme. Avec ça, je peux détecter les malades et en référer, si besoin, au centre de santé le plus proche », explique Mme Kpaba, avant de s’arrêter dans la cour de Yeriki Mérè, le chef du quartier.
« Le petit va bien ? », demande-t-elle, en regardant le nouveau-né, emmitouflé dans le pagne de sa mère. Le 29 décembre 2020, le chef est devenu père pour la quinzième fois. Et cette fois, c’est au centre de santé que sa femme a accouché. « Elle n’a plus de maux de ventre ni de maux de tête, comme auparavant, quand elle accouchait à la maison. Je ne connaissais pas les bienfaits de l’hôpital. Les ASC nous ont tout expliqué. Ce sont nos gendarmes de la santé », explique le vieil homme, souriant.
Depuis 2015, ce villageois, comme plus de 31 000 autres habitants du district de la Kozah, fait partie d’un programme pilote mené par l’organisation américano-togolaise Santé intégrée. Son objectif est d’améliorer la santé des femmes et des enfants de moins de 5 ans. Gratuité des soins, rénovation des centres de santé, formation de 160 agents communautaires capables de détecter les maladies maternelles et infantiles les plus courantes : « Nous voulons couper le mal à la racine, souligne le docteur Nabissan Kenkou, directeur médical de l’organisation non gouvernementale (ONG). La plupart des malades n’ont pas besoin de se rendre à l’hôpital mais ils y finissent quand même, car ils laissent traîner une maladie qui aurait pu facilement être soignée par une simple visite à domicile. »
Maladie évitable
En matière de santé, les femmes et les enfants sont les plus vulnérables. « Le niveau de mortalité maternelle est près de cinquante fois plus élevé pour les femmes d’Afrique subsaharienne, et leurs bébés ont dix fois plus de risque de mourir au cours de leur premier mois de vie », notaient les Nations unies en 2018. Cette année-là, sur le continent, un enfant sur treize est mort avant d’avoir pu souffler sa cinquième bougie. Au Togo, c’est pire : un enfant sur onze meurt encore aujourd’hui avant l’âge de 5 ans d’une maladie évitable et une femme sur 25 décède des complications liées à une grossesse, selon les chiffres de l’ONG Santé intégrée.
Ici, pouvoir se soigner est avant tout une question d’argent. Assis sur son banc, à l’ombre d’un toit en tôle, Yeriki Mérè dresse la liste des nombreuses fois où, pour transférer à l’hôpital sa femme enceinte et malade, il lui a fallu piocher dans le budget prévu pour la nourriture de la famille. Parfois, jusqu’au dernier franc CFA. « Quand il n’y avait plus rien, elle restait là et je faisais de l’automédication en allant récolter des herbes au champ, pour la soigner. Mais souvent, ça ne faisait qu’aggraver son état », reconnaît-il. Au Togo, faire suivre correctement une grossesse et accoucher au centre de santé est loin d’être à la portée de tous. Il faut compter près de 60 000 francs CFA (91 euros) tandis que le salaire minimum, lui, tourne autour de 35 000 francs CFA.
Dans le district de la Kozah, l’ONG a instauré la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Depuis 2015, le nombre d’accouchement à l’hôpital y a augmenté de 95 %, les consultations prénatales de plus de 200 % et celles des enfants de moins de cinq ans de 400 %. Le taux de mortalité infanto-juvénile dans le district est passé de 5,1 % à 3,5 %.
Au centre de santé de Kpindi, un autre village de la Kozah, les infirmiers et les sages-femmes sont débordés. Stéthoscope autour du cou, Ayi Kouevi enchaîne les consultations. Il est 11 heures du matin et, déjà, une cinquième patiente entre dans son bureau, un bébé dans les bras. « En moyenne, on est à 410 consultations par mois. Et un accouchement tous les deux jours. Comparé à il y a cinq ans, c’est le jour et la nuit », souligne l’infirmier en feuilletant son registre.
Avant la rénovation du centre, les locaux étaient quasiment à l’abandon. Le toit fuyait et la poussière envahissait les sols. Il n’y avait ni frigo, ni table de consultation, ni électricité. Rénové, le centre est aujourd’hui opérationnel. « Surtout, les médicaments sont disponibles ! Avant, toutes ces étagères étaient vides. On ne pouvait pas soigner les patients correctement », reconnaît M. Kouevi.
Ambulance taxi-moto
A l’époque, seuls les malades les plus graves prenaient la peine de se déplacer jusqu’à ce centre de santé délabré. « Il y avait beaucoup de décès néonataux. Les parents arrivaient ici avec leur enfant mourant, mais on ne pouvait pas faire de magie ! Certains terminaient leur course ici ou sur la route en direction du CHU. Il était trop tard pour les sauver », raconte le soignant.
Le petit Kevin, lui, a été sauvé à temps. Affaibli par une maladie génétique depuis de longues années, le petit Togolais de 6 ans a recouvré la santé depuis un an. Assis sous le baobab surplombant la cour familiale, il attend, chaque vendredi, le passage de Rebecca Tchotchokou, l’agente de santé communautaire du quartier. « Son cas demande un suivi régulier et il faut veiller à ce qu’il ait toujours les bons médicaments à portée de main », explique-t-elle. « Pendant des années, nous avons dû faire du porte-à-porte chez les voisins pour que quelqu’un nous prête sa moto et qu’on puisse transporter Kevin jusqu’au CHU. Parfois, on abandonnait », raconte son père, Abalo Somé Kakoya. La famille de cultivateurs n’arrivait pas toujours à trouver l’argent nécessaire pour payer le carburant de la moto. Aujourd’hui, père et mère se disent soulagés. Une ambulance taxi-moto a été mise à la disposition du centre de santé pour gérer les urgences médicales, gratuitement.
Ambulances, gratuité des soins, rénovation de 18 centres de santé, formation des agents communautaires, rémunérés 48 000 francs CFA par mois : en 2020, les mesures mises en place ont coûté plus de 2,4 millions d’euros. Mais les résultats engendrés par le programme pilote de l’ONG semblent avoir convaincu les autorités togolaises d’agir. Dans un premier temps, le ministère de la santé a promis que désormais tous les soins seraient gratuits pour les quelque 355 000 Togolaises qui tombent enceintes chaque année.
Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Cartier Philanthropy.
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