Par Jean-Baptiste Jacquin Publié le 02 mars 2021
L’inspection de la justice saisie par le garde des sceaux conclut à l’absence de manquements… mais révèle une accumulation de problèmes.
Il faut parfois savoir lire entre les lignes d’un rapport d’enquête administrative. Qu’ont voulu bien dire l’Inspection générale de la justice et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) à l’issue de l’enquête demandée par le ministre de la justice sur le suicide de Luc Viviani, le 2 août 2020, à la maison d’arrêt de Marseille ? « L’analyse des prises en charge [de M. Viviani], sans relever de manquements, appelle cependant des améliorations », écrivent les inspecteurs en conclusion de leur rapport remis en janvier à Eric Dupond-Moretti. Les choses auraient donc dû mieux se passer, un euphémisme.
Des dysfonctionnements en série apparaissent. Sans compter la première des questions que le rapport ne pose même pas : comment un tribunal qui sollicite un expert psychiatre pour savoir si le prévenu est pénalement responsable de ses actes et éligible à une sanction peut-il décider de le mettre en prison avant de le juger, le temps de l’expertise ? C’est pourtant une pratique courante.
Dans le cas de cet homme de 52 ans atteint de troubles psychiques, poursuivi pour avoir crevé à neuf reprises, sans motif, les pneus de la voiture d’une kinésithérapeute et violé un contrôle judiciaire (interdiction de se rendre dans la commune de cette femme), le tribunal de Marseille le place en détention provisoire le 1er juillet 2020 et renvoie le procès au 28 juillet. Le psychiatre est mandaté par courriel, mais aucune expertise n’est faite et le tribunal le découvre la veille de l’audience.
Amené depuis la prison des Baumettes, M. Viviani apprend donc à l’audience qu’il y retourne pour un mois supplémentaire… le temps de l’expertise psychiatrique. Voilà un homme placé deux mois en détention provisoire avant de pouvoir être jugé, alors que pour les faits qui lui sont reprochés il n’aurait probablement jamais été condamné à deux mois fermes.
Surveillance horaire
Mais ceci n’est pas un dysfonctionnement, la justice ne sait pas faire autrement. La recommandation des inspections est de s’assurer que l’expert accepte la mission dans le temps imparti. Entre-temps, le père et la compagne du détenu avaient sollicité un permis de visite, rapidement obtenu… sauf que personne ne les a informés de la décision. Le rapport recommande donc de formaliser l’information des justiciables sur les permis de visite.
Ce 28 juillet, tout bascule. Apprenant son retour en prison, le prévenu « se blesse violemment et volontairement en frappant sa tête contre la vitre du box de la salle d’audience », relatent les inspecteurs. Après un passage aux urgences, il retrouve le lendemain sa cellule. Surveillants et détenus constatent qu’il n’est pas dans son état normal. Le psychiatre décide une surveillance horaire, avec un surveillant qui passe toutes les heures regarder par l’œilleton de sa cellule.
Le 30 juillet, M. Viviani « formalise verbalement son intention de se suicider au gradé du bâtiment qui lui suggère d’exprimer son ressenti par écrit à lui remettre le lendemain », note le rapport. Le détenu qui partageait la cellule de M. Viviani depuis la mi-juillet a alerté dès le 29 juillet sur le changement brutal de son codétenu qui ne cessait de se plaindre de l’injustice de la décision du tribunal.
« Ce codétenu a déclaré avoir vécu plusieurs jours particulièrement anxiogènes », demandant à plusieurs reprises de changer de cellule, sans obtenir de réponse. « Il avait eu alors le sentiment de remplir un rôle qui n’était pas le sien, permettant simplement à l’établissement de respecter l’une des règles fixées qui est celle de ne pas laisser seul en cellule un détenu présentant un risque suicidaire. » Le rapport en déduit que l’administration aurait dû se montrer plus soucieuse de « rassurer » ce codétenu.
Le 31 juillet, le psychiatre lève la surveillance horaire, parce qu’il la juge « trop intrusive », malgré la confirmation par écrit des intentions suicidaires de M. Viviani. Pendant la promenade de son codétenu, M. Viviani se scarifie les avant-bras et se blesse au front. Il est décidé de ne pas le prendre en charge au service médico-psychologique régional dont dispose les Baumettes et de le revoir à la consultation psychiatrique du lundi 3 août. Il se pendra dans sa cellule dans la nuit du 1er au 2 août.
Le rapport relève que personnels de santé et personnels pénitentiaires sont soucieux de prévenir le suicide, mais chacun de son côté. La construction du nouvel établissement « a éloigné ces deux mondes ». Les surveillants et les gradés ont « le sentiment de ne pas être suffisamment écoutés par les équipes sanitaires ». Pour l’heure, l’information judiciaire ouverte pour « recherches des causes de la mort » à Marseille se poursuit.
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