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vendredi 17 avril 2020

Roger Berkowitz : “Aux États-Unis, nous affrontons l’inconnu menés par un président à la gestion hasardeuse”

Mis en ligne le 16/04/2020

© Mandel Ngan/AFP
Le 13 avril 2020, Donald Trump quitte la Brady Briefing Room de la Maison-Blanche, où il vient de faire son allocution quotidienne. © Mandel Ngan/AFP

Alors qu’aux États-Unis le nombre de morts du Covid-19 ne cesse d’augmenter, la gestion de la pandémie par le président Donald Trump pose question. Nous avons demandé à Roger Berkowitz, professeur de sciences politiques au Bard College, de nous éclairer.

ROGER BERKOWITZ

Professeur de philosophie au Bard College dans l’État de New York, où il dirige le Hannah Arendt Center for Politics and Humanities, il est l’auteur d’un essai sur Leibniz (The Gift of Science, « Le don de la science », Harvard University Press, 2005 ; non traduit) et a codirigé un ouvrage sur la pensée d’Arendt, Thinking in Dark Times (« Penser par temps sombres », Fordham University Press, 2009 ; non traduit).
Quels principes ont guidé Donald Trump dans sa gestion de la crise ?
Roger Berkowitz : Il a commencé par prendre les devants, en interdisant par exemple tous les vols en provenance de Chine dès le début du mois de janvier. Mais subitement, de mi-janvier à mi-mars, aucune mesure de protection n’a été engagée, et nous avons perdu un temps précieux. Il aurait pu avoir l’occasion de révéler le meilleur de lui-même mais il l’a manquée en s’en tenant à ses schémas habituels, notamment à sa méfiance envers les experts. Au lieu d’organiser la coopération entre les centres de recherche publics et les laboratoires privés pour la mise au point de tests, au lieu de faire de la prévention et de la pédagogie auprès de la population, au lieu d’équiper les hôpitaux du pays en respirateurs, il a préféré fanfaronner en prétendant qu’il n’y aurait aucun problème et qu’il fallait continuer à sortir, à acheter et à produire. Le résultat est un désastre absolu. Trump doit le succès de sa première campagne à la promesse d’une économie forte. Il a donc eu peur que ce coronavirus ne sape l’un de ses principaux arguments. Pour éviter cela, il a adopté sa stratégie habituelle : politiser l’enjeu en divisant les camps. Il a même prétendu, dans un premier temps, qu’il s’agissait d’un canular venu de l’étranger – il a longtemps appelé le Covid-19 « le virus chinois ». À l’entendre, nous étions à l’abri. Comme si les États-Unis étaient immunisés contre les virus ! Heureusement, sur le plan local, quelques maires ont pris la situation en main : celui de San Francisco, par exemple, qui a placé la ville en confinement dès le 17 mars. Résultat : la ville dénombre assez peu de cas. A contrario, le maire de New York Bill de Blasio a agi de façon complètement irresponsable en encourageant ses administrés à sortir, à faire leur jogging normalement et en maintenant les écoles ouvertes, suivant en cela les pas de Trump. Ce n’est pas un hasard si New York est désormais le foyer principal de la pandémie dans le pays. 

“Pendant quatre ans, Donald Trump a affiché sans complexe son mépris pour la science et les experts. Il est aujourd’hui obligé d’en rabattre mais il lui en coûte”

Roger Berkowitz

Même si cela lui coûte, Trump n’a-t-il pas été obligé d’infléchir son discours ?
Pendant quatre ans, il a affiché sans complexe son mépris pour la science et les experts. À ses yeux, ils représentent l’administration, la bureaucratie fédérale, autant de choses que Trump hait. Mais ces derniers jours, il a été obligé d’en rabattre. En témoigne l’influence grandissante du docteur Anthony Fauci, responsable de la cellule de crise spéciale Covid-19 à la Maison-Blanche. Il est toutefois assez flagrant qu’il déteste cette dépendance. La preuve : encore ce week-end, il a retweeté quelqu’un qui appelait à la démission de Fauci, à présent sous le feu des critiques parce qu’il n’aurait pas agi assez tôt. Le président a été obligé de rétro-pédaler en confirmant que Fauci resterait bel et bien à son poste. Cela témoigne à quel point il lui est pénible de devoir écouter l’avis d’experts, de ne pas pouvoir se contenter de dire à tort et à travers ce qu’il pense. 

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