Une équipe internationale a mis au jour, en Ardèche, le plus ancien exemple jamais retrouvé de cordage. Une découverte qui atteste la maîtrise du fil chez les cousins d’« Homo sapiens »
C’est une nouvelle brique pour la grande entreprise de reconstruction et de réhabilitation de l’homme de Neandertal, longtemps caricaturé en brute épaisse, mais dont il apparaît, fouille après fouille, qu’il disposait de capacités cognitives et de techniques n’ayant rien à envier à son cousin Homo sapiens. Dans une étude publiée jeudi 9 avril par la revue Scientific Reports, une équipe internationale annonce la découverte, sur le site ardéchois de l’abri du Maras, d’un minuscule fragment de cordelette, mis au jour dans une strate vieille de 41 000 à 52 000 ans. Selon les auteurs, c’est le plus ancien exemple jamais retrouvé de cordage et il est l’œuvre de Néandertaliens, les seuls humains qui aient jamais occupé cet abri sous roche sis à la sortie des gorges de l’Ardèche.
A l’origine, personne n’avait rien vu. Directrice de recherches au CNRS, Marie-Hélène Moncel travaille sur le site de l’abri du Maras depuis une quinzaine d’années. C’est elle qui a, en 2015, ramassé un éclat de silex taillé – un parmi les milliers de restes lithiques et osseux de la strate – et l’a glissé dans un sachet en plastique. « Je m’en souviens, dit-elle, parce qu’il était magnifique, mais je n’ai pas fait attention au petit bout de brèche qui y était collé. » La brèche est une roche qui se crée à partir de la dégradation d’autres roches. Il y avait donc une sorte de petite pastille de boue solidifiée sur cet éclat. Et quand, bien plus tard, le silex a été sorti de son sachet pour analyse et que la brèche a été retirée, l’observation au microscope a révélé que quelque chose d’autre adhérait au caillou.
Des fibres végétales torsadées
Il serait malheureusement trop simpliste de dire qu’il s’agissait du fragment de cordage car, sauf exception rarissime, les matériaux d’origine végétale ne résistent pas au passage de dizaines de millénaires. Il s’agissait plutôt de son moulage fossilisé. « Au cours du temps, explique Marie-Hélène Moncel, le silex subit des modifications chimiques qui vont affecter tout ce qui est à sa surface, le minéraliser et le mouler intégralement avec une précision inimaginable. »
C’est ce qui est arrivé au petit bout de cordage sur lequel reposait l’éclat de silex. L’examen au microscope électronique à balayage de ce « fossile » de seulement 6,2 millimètres de long pour un demi-millimètre d’épaisseur, a révélé qu’il y avait là un système à trois brins de fibres végétales torsadées, trois fils eux-mêmes torsadés les uns autour des autres. « La nature ne peut pas faire cela, assure la chercheuse française. Ce n’est pas dû au hasard, c’est volontaire. »
D’autres analyses ont montré que les fibres en question avaient probablement été collectées sous l’écorce d’un conifère, sans qu’il soit néanmoins possible d’en préciser l’espèce. Plusieurs études ont déjà mis en évidence que Neandertal avait développé une véritable expertise du monde végétal qui l’entourait. « Par exemple, quand on a su analyser le tartre des dents de Néandertaliens, on y a retrouvé des restes de plantes médicinales et aromatiques, dit Marie-Hélène Moncel. On sait aussi qu’il travaillait énormément le bois et cette découverte montre qu’il avait une connaissance des aptitudes des différentes couches du bois. »
Même s’il leur est impossible de déterminer la fonction de cette cordelette, les auteurs de l’étude soulignent que cette découverte montre que la technologie cordière s’avère plus ancienne qu’on ne le pensait jusqu’à présent et que ses applications sont nombreuses. Outre la confection de cordes, pour tracter ou attacher des charges – Marie-Hélène Moncel rappelle par exemple que les occupants de l’abri du Maras devaient y rapporter les pattes des gros mammifères (rennes, chevaux, bovins) qu’ils chassaient –, la maîtrise du fil et de la fibre permet la fabrication de sacs ou de filets et constitue une porte d’entrée vers le textile. Ils ajoutent que la manufacture de cordages, très consommatrice de temps et de matière première, nécessite « une chaîne opératoire complexe ».
Des capacités « mathématiques »
Cette remarque n’est pas anodine. De cet infime fragment, les scientifiques déduisent en effet certaines des capacités mentales de nos anciens cousins, « notamment mathématiques, précise Marie-Hélène Moncel, car il fallait compter les fibres. Fabriquer des cordes implique un processus très complexe d’anticipation et de planification. »
L’étude n’hésite d’ailleurs pas à conclure en expliquant qu’à la lumière des récentes découvertes, « il est difficile de voir comment nous pouvons considérer les Néandertaliens comme autre chose que les égaux cognitifs de l’homme moderne ». Toutefois, Marie-Hélène Moncel ne veut pas entrer dans le jeu de la comparaison à tout prix entre Homo sapiens et Neandertal : « Il avait sa propre vision des choses. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de comprendre la cohérence de son monde. »
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