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Depuis une semaine, le recours aux urgences psychiatriques est devenu plus fréquent qu'au début du confinement. Photo Prakasit Khuansuwan. Getty Images
Si le premier mois de confinement semble s’être à peu près bien passé pour leurs malades, les psychiatres commencent à noter des signaux qui les alarment.
«Ils sont trop seuls, et cela peut être très lourd», lâche ce psychiatre, à l’unisson de bien d’autres. Ainsi, la vie confinée de ce jeune psychotique, dans un petit studio dans le nord de Paris. Avec quelques soutiens réguliers et avec ses rendez-vous réguliers à l’hôpital de jour qui ponctuaient sa semaine, il arrivait à tenir. Depuis un mois, ce dernier est fermé, il n’a plus de consultations, ou alors par téléphone. Et, depuis une semaine, son psychiatre n’arrive plus à le joindre. L’inquiétude est là, palpable. Et grandit autour de la situation des personnes, souffrant de maladies mentales, en particulier quand elles sont chez elles, cloîtrées, isolées, à l’écart, encore plus confinées aujourd’hui qu’hier. Comment vont-elles tenir et passer ce deuxième mois qui les attend ?
Rappelons-nous… Lorsque a surgi le confinement généralisé, bon nombre de médecins psychiatres avaient eu peur du choc de cette mesure sur leurs patients. Or, cela ne s’est pas trop mal passé, même si l’absence de masques protecteurs a été pointée un peu partout en France. «Pour les patients qui étaient suivis en ville, ils sortaient peu, cela n’a pas trop changé pour beaucoup d’entre eux», a constaté Tim Greacen, responsable d’associations de malades. «Dans les services d’hospitalisation, les équipes ont fait sortir beaucoup de patients, peut-être être trop et peut-être être trop vite. Mais bon, le pire n’est pas survenu. En plus, il y avait des lits de libre, ce qui n’était jamais arrivé depuis des années», note encore Tim Greacen.
«Depuis une semaine, on sent un retournement»
Aujourd’hui, le changement de météo est radical. La tonalité des réactions est sombre, avec le poids des jours qui s’accumulent. «On a des signaux qui nous alarment», nous raconte ainsi le professeur Antoine Pelissolo, qui dirige un important département de psychiatrie à Créteil. «Depuis une semaine, on sent un retournement. Il y a une hausse de l’activité des urgences. Les unités fermées sont à nouveau pleines, notamment de patients que l’on avait perdus de vue qui reviennent, beaucoup plus fragilisés qu’avant. C’est troublant», ajoute-t-il. Au centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA), lieu central en Ile-de-France qui accueille toutes les urgences psychiatriques, c’est le même son de cloche. Le Dr Raphaël Gourevitch, qui le dirige, le raconte ainsi. «Notre activité s’était effondrée, divisée par trois. De trente patients par jour, on n’en avait plus que dix. Là, nous avons le sentiment de voir une nouvelle vague de patients qui décompensent, ou de patients inconnus qui dans ce contexte très anxiogène perdent pied.» Lui comme d’autres craint pour ces malades, seuls à domicile, qui avant avaient leur rendez-vous régulier au centre médico-psychologique (CMP), ou recevaient des visites de personnel soignant. «Ils ont tenu un mois. Dans quel état va-t-on les retrouver», se demande-t-il.
Autre lieu et mêmes sombres perspectives. De par sa fonction, le Dr Marc Jouy a une vue d’ensemble. Psychiatre au Havre, il s’occupe en effet d’une unité d’hospitalisation de 24 lits, mais il a aussi une forte activité de consultation. «Nos patients en ville souffrent de plus en plus de la solitude, c’est très difficile, raconte-t-il avec douceur. Les consultations, que l’on fait par téléphone deviennent maintenant surtout un motif pour parler.» A l’hôpital ? «Tout devient compliqué à la longue. Beaucoup de lits ont été fermés, les effectifs du personnel sont tournants, toutes les activités et permissions de sortie sont arrêtées. Notre travail – qui est de faire de l’insertion – est à l’arrêt. Il y a deux jours, on avait réussi à faire sortir une malade qui était là, depuis longtemps. Deux heures après, elle est revenue. En plus, ajoute-t-il, l’ambiance est anxiogène. On ressent un calme inquiétant.» Et il dresse un constat identique à celui établi en Ile-de-France : «On recommence à avoir des entrées aux urgences. En hospitalisation, on avait des lits disponibles, là, de nouveau, cela devient juste.» Bref, le pire serait à redouter.
«Les situations peuvent s’effondrer»
En même temps, tous le constatent, rien n’est ne se passe tout à fait comme prévu. Par exemple, il y a, extrêmement peu de malades infectés, alors que c’était la crainte initiale. «On a fait des unités Codiv-19 un peu partout», raconte le Dr Jouy. Nous, on a huit lits de prêt. Et on attend toujours… le premier patient.» Même sentiment à l’hôpital Sainte-Anne, où travaille le Dr Marie-Jeanne Guedj, qui a dirigé un temps le CPOA. Elle pointe, en outre, quelque chose qui la surprend : «Des patients, des jeunes notamment, qui restaient totalement enfermés chez eux (1). Eh bien avec le confinement, on voit des choses étonnantes. Ces jeunes s’ouvrent, ils ont même des relations avec leurs parents qu’ils refusaient de voir.» Elle note également une bonne nouvelle avec l’ouverture d’un numéro de téléphone (2) pour les proches en difficultés. «Ce projet traînait depuis des mois. Là, en quelques jours, l’agence régionale de santé de l’Ile-de-France l’a mis en place. Comme quoi…»
Si l’on excepte ces quelques éclaircies, ce deuxième mois est à hauts risques, avec des évolutions cliniques incertaines des patients, et le poids de plus en lourd d’un enfermement qui caractérise bien souvent la maladie mentale. «Je suis encore plus inquiet pour les lieux médico-sociaux, comme les maisons d’accueil spécialisées. Les situations peuvent s’effondrer», insiste le professeur Pelissolo. En attendant, Claude Finkelstein qui préside la Fédération nationale des associations de malades mentaux, signale un point noir qui se focalise autour des autorisations de sortie dans la journée. «Plein de malades ne comprennent pas bien, ils ne les remplissent pas correctement. Et ils se font sanctionner. Comment voulez-vous qu’ils payent l’amende ?»
(1) On évoque à ce sujet le terme de hikikomori, pathologie pointée au Japon qui concernerait plus de 260 000 adolescents et jeunes adultes, qui se cloîtrent chez eux et n’en sortent plus.
(2) 01 48 004 800, tous les jours de 13 heures à 21 heures.
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