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A Lavau-sur-Loire près de Nantes, le 28 mars. Photo Loïc Venance. AFP
Selon le psychiatre Stephan Eliez, le confinement exacerbe les tensions émotionnelles comme l'angoisse liée au virus ou le stress généré par le télétravail. Et toutes les familles ne sont pas égales face à la promiscuité.
«Et toi, tu survis ?» c’est ainsi que se prennent les nouvelles sous le règne du Covid-19. Avec les enfants et parfois le télétravail, la vie familiale peut devenir champ de bataille, ou plutôt guerre de positions. D’autant que les problèmes qui existaient auparavant ne se sont pas volatilisés, ils sont eux aussi assignés à résidence : conflits dans le couple, soucis d’argent, enfants souffrant de trouble du comportement… Pour Stephan Eliez, professeur en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, à la faculté de médecine de l’université de Genève, toutes les familles ne sont pas égales dans ce confinement. Dans Etre Parent et s’aimer comme avant (Odile Jacob, 2020), il propose des techniques pour rester en contact avec nos émotions et celles des autres.
Le confinement met les familles face à un défi : comment vivre ensemble tout le temps quand la possibilité de l’autre et de l’extérieur est anéantie ?
Pour les familles, le défi est double. D’abord, le confinement exacerbe les tensions émotionnelles, le stress et l’angoisse liés au virus évidemment mais aussi au travail des parents, l’incertitude professionnelle, aux études des enfants, les questions d’argent… Paradoxalement, la difficulté pour les membres de la famille peut être de se rencontrer. On est cloîtrés ensemble en 2020, mais via les écrans, on peut être là sans être là. Il faut savoir qu’aujourd’hui les parents passent 25% de temps en moins avec leurs enfants par rapport aux années 90. Ils travaillent plus et les jeunes ont créé des communautés d’adolescents plus présentes. Chaque membre de la famille a son écran. Le confinement a lieu dans cette réalité familiale.
On est ensemble et en même temps, il est difficile de se retrouver, tout envahit tout. Entre parents et enfants, entre partenaires ou entre enfants, ce climat est évidemment vecteur de décharge. La clé réside dans la structuration des journées et la ritualisation de la vie familiale. Il faut donner de l’espace aux liens, par exemple au moment des repas qui sont des moments de partage où les écrans ne doivent pas avoir droit de cité. Le télétravail représente un deuxième défi de taille, il a fait irruption dans le foyer et génère du stress, comment travailler avec les enfants dans des appartements où il est difficile de s’isoler ? L’intimité est aussi un sujet, l’intimité sexuelle pour les parents mais aussi pour les adolescents.
Comment le confinement agit-il selon vous sur les enfants ? Y a-t-il des différences selon les âges ?
Les enfants vivent la même chose que les adultes, leur vie sociale s’est arrêtée avec le confinement. Ensuite selon les âges, ils ne le vivent évidemment pas de la même façon. Les plus jeunes qui sont à la crèche saisissent l’opportunité de passer plus de temps avec leurs parents, de même pour ceux qui sont à l’école, mais pour les adolescents, c’est plus difficile. Ils arrivent à compenser cet isolement avec les réseaux sociaux pour certains mais tous les jeunes n’ont pas la même place sur les réseaux sociaux. Celui ou celle qui n’y est pas à l’aise va sans doute se retrouver davantage marginalisé.
On observe déjà chez les adolescents l’augmentation du nombre de passages à l’acte. Pour ceux qui ont un trouble du spectre de l’autisme, certains vont vivre là une période de grâce. Confinés à la maison, avec leurs proches, protégés du reste du monde, cela a pour eux un côté rassurant et ils envisagent facilement ce mode de vie. Mais sur la durée cela les isole quand même terriblement car le confinement évite une confrontation avec l’extérieur qu’ils devront inévitablement retrouver. Les familles dont un ou plusieurs enfants ont des troubles de l’attention vivent des moments difficiles, dans l’intensité du soutien pour maintenir un travail scolaire mais également l’augmentation des problèmes de comportements dans un environnement confiné.
Les gratifications que ces jeunes ont dans les activités sportives sont pour le moment perdues et ils restent constamment confrontés à ce qui est difficile pour eux. Pour ces enfants, cet enfermement n’est tout simplement pas tenable. Toutes les familles ne sont donc pas égales dans ce confinement. Des aménagements devraient être faits pour prendre en compte toutes ces dimensions. Sans cela, le risque social, humain, psychique risque de dépasser le risque sanitaire. J’ai été effaré par la multiplication des jugements de jeunes gens pour non-respect du confinement. Certains ont vraisemblablement des troubles psychiques qu’il faudrait pouvoir prendre en compte car les amendes d’ordre ne représentent pas la réponse, chez ces adolescents, pour éviter les récidives. Au contraire, ces amendes doivent être utilisées pour identifier des jeunes en grande difficulté et assorties absolument d’autres mesures qui ne les poussent pas à la rupture.
En temps normal, la vie de couple est mise à rude épreuve avec l’arrivée des enfants, quelle différence avec le confinement ?
En temps normal, le couple est mis en danger par l’arrivée des enfants s’il n’y a pas de réactualisation des projets partagés du couple dans le contexte familial, c’est-à-dire que chacun travaille, évolue, a ses loisirs dans son coin. La chanson les Feuilles mortes qu’interprète Yves Montand décrit bien cela : «La vie sépare ceux qui s’aiment, tout doucement, sans faire de bruit.» Ce qui pose problème aux couples de parents est souvent la répartition des rôles qui n’est jamais complètement équitable et qui doit être explicitée et quittancée par les deux membres du couple. Le malentendu et la distance s’installent quand cette inéquité n’est pas reconnue, quand le conjoint cherche à la minimiser. Le sexe, l’argent, les belles-familles font partie des autres sujets sensibles pour les couples et malheureusement les couples sont confinés avec tous ces sujets de discorde. L’enfermement en réduisant l’intelligence émotionnelle élève le niveau de tensions psychiques. La possibilité de perdre contact avec nos émotions et de se représenter celle des autres est augmentée. Nous vivons dans l’orange, à la limite du rouge. La proximité, la perte d’intimité, le manque d’activité physique nous y pousse.
Des clés pour sauver l’amour ?
On parle beaucoup de communication. Plus que le fond, c’est la forme qui compte. Le sarcasme et l’ironie dans le propos par exemple sont des signes catastrophiques pour la survie d’un couple. S’accorder aussi un temps d’écoute pendant lequel l’un parle et l’autre écoute. Une écoute attentive, sans réponse nécessaire. Cela réduit l’anxiété, permet de prendre soin les uns des autres. Dans le couple mais aussi avec ses enfants, la mentalisation a fait ses preuves. Il s’agit d’avoir l’autre à l’esprit. Que ressent-il dans cette situation ? Nous sommes tous confinés et vivons les choses de manière différente, faire l’effort de cet exercice peut aider.
Garder aussi le contact avec ses propres émotions est une nécessité pour éviter de se perdre dans la colère. Les recherches en neurosciences ont clairement montré que nous sommes programmés pour réagir dans une situation de stress par l’attaque ou la fuite. Dès qu’il y a une excitation une tension qui monte, notre cerveau archaïque reptilien prend le dessus, la partie plus évoluée, mammifère, de notre cerveau s’éteint et les circuits permettant la représentation des émotions et donc l’intelligence émotionnelle sont éteints. La technique de mentalisation permet d’éviter l’explosion, cette perte de liens qui fait qu’il devient impossible de faire quelque chose d’une situation. Heureusement, mentaliser, faire appel à son intelligence émotionnelle est quelque chose que nous faisons tous mais qu’il est également possible de beaucoup développer en cette période de confinement.
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