A Paris, le 6 juin, des personnels des services d’urgences défilaient de la gare Montparnasse au ministère de la Santé pour demander des hausses de salaires et plus d’effectifs. Photo Albert Facelly
Alors que l’intersyndicale appelle ce mardi à intensifier la mobilisation qui dure depuis trois mois, «Libération» s’est rendu à l’hôpital Necker. Fleuron de la pédiatrie, l’établissement souffre lui aussi d’un manque cruel de personnel.
C’est une nouvelle journée de mobilisation dans les hôpitaux qui s’annonce ce mardi, juste avant un été bien incertain. «Pour obtenir des hausses d’effectifs et de salaires», l’intersyndicale CGT-FO-SUD appelle «tous les personnels de l’ensemble des établissements de santé à se mobiliser et les services d’urgences à intensifier leur grève». Une grève qui dure depuis plus de trois mois avec des méthodes inédites (lire ci-contre).
Cette mobilisation devrait se jouer en trompe-l’œil. Elle sera vraisemblablement peu visible, avec un rassemblement prévu devant le ministère de l’Economie à Paris, mais néanmoins tendue, malgré les dernières annonces gouvernementales (75 millions d’euros d’engagés). Surtout qu’avec l’été qui s’installe, les prochaines semaines seront difficiles pour de nombreux services d’accueil des urgences (SAU). Une «enquête flash» menée par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France a montré combien ceux-ci fonctionnent en sous-effectifs. Fin juin, dans les SAU des huit départements franciliens, 458 à 728 plages médicales de douze heures n’étaient toujours pas pourvues pour juillet - entre 567 et 892 pour le mois d’août. Comment faire alors fonctionner les services ?
Cercle vicieux
Nous sommes au deuxième étage d’un bâtiment aux couleurs un rien passées, au cœur du temple de la pédiatrie française, l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris. Plus précisément, dans le petit bureau d’Isabelle Desguerre, professeure spécialisée en neurologie pédiatrique et cheffe du service dédié de l’établissement. Un de ces lieux d’excellence que l’on met en avant pour dire combien la médecine française est la meilleure au monde. Il faut dire qu’à Necker, on fait des choses incroyables pour sauver des enfants, de thérapies géniques en innovations chirurgicales. Et pourtant là aussi, le ciel est lourd. «Jusqu’à récemment, on était sur l’idée que la pédiatrie hospitalière serait toujours préservée. Un enfant malade ? C’est sacro-saint, lâche Isabelle Desguerre. Eh bien non, ce n’est plus le cas.»
Cette professeure très réputée n’a rien d’une va-t-en-guerre. Sa vie, c’est son service. Mais voilà que tout se tend. Les grèves des urgences, à l’hôpital Necker comme ailleurs, ont en effet des répercussions en cascade dans les services dits de spécialité. Et aggravent un peu plus leurs difficultés. Ainsi, dans celui d’Isabelle Desguerre, où se mêlent les unités de neurologie, d’endocrinologie et de métabolisme, il y a normalement 25 lits. Mais depuis des mois, un tiers sont fermés faute de personnel soignant. En ce début de semaine, quatre infirmières se sont mises en arrêt de travail. Cercle vicieux. Le flux des jeunes patients est de plus en plus tendu, rendant l’activité épuisante. Les enfants rentrent et sortent de plus en plus vite. «L’offre de soins n’est pas satisfaisante. On croule sous les demandes que l’on ne peut pas satisfaire. Alors il faut jongler», explique la professeure.
De fait, ces services de pointe mettent à mal la grande mode managériale des ressources humaines à l’hôpital, à savoir la mutualisation, ce qui veut dire qu’une infirmière serait interchangeable, pouvant aller et venir d’un service à l’autre. «C’est absurde, affirme Isabelle Desguerre. Chez nous, cela marche bien si un tiers des infirmières sont là depuis quelques années et peuvent encadrer les plus jeunes. Maintenant, ce n’est plus le cas.» Alors elle et son équipe tentent de «faire au mieux sans faire le mieux».
Isabelle Desguerre raconte les choix auxquels elle est confrontée. Il y a, par exemple, les enfants qui sont hospitalisés dans des établissements en périphérie, en attendant d’être pris en charge chez elle : «L’enfant peut être très malade, avec des situations à risque. On essaie de gérer, de trouver un lit. Et s’il le faut, on va tenter de l’hospitaliser dans un autre service de Necker. Ce qui est le cas pour près d’un tiers d’enfants.» Autre cas de figure problématique, ceux que l’on n’arrive pas à hospitaliser : «C’est très dur pour les parents.» Un pédiatre raconte : «On a beaucoup d’enfants qui ont fait un AVC. Eh bien on n’a pas le choix, après la phase aiguë et avant qu’on ne leur trouve une place dans un lieu de convalescence, ils doivent rentrer à leur domicile, ce qui est très ango issant pour la famille.»
«On n’est pas bons»
En moyenne, pour une consultation, le délai est de six à sept mois d’attente. «Le week-end, je reprends tous les dossiers de la semaine pour m’assurer des situations de grande urgence», explique Isabelle Desguerre. Et elle le reconnaît : «Une fois sur dix, je me dis que l’on aurait dû suivre l’enfant plus tôt.» Une cheffe de clinique poursuit : «Pour faire sortir au plus vite l’enfant, on va expliquer aux parents comment donner le traitement. Ce n’est pas bien, mais c’est ainsi. On n’est pas bons.»
Chez le personnel soignant aussi, la frustration est évidente. «Il y a des jours où je ne fais que prélever, alors que ce n’est pas mon boulot, raconte une infirmière. On est toujours en train de courir mais on ne peut plus faire la moindre pause. On nous reproche même de boire.» Une jeune médecin ajoute : «La neuropédiatrie, c’est une discipline qui rend modeste. On n’a pas la prétention de guérir. D’où l’importance du soin, de l’accompagnement. C’est ça qui est très dur pour le personnel soignant.» Et cela se passe à Necker-Enfants malades, temple de l’hospitalisation française…
Photo Albert Facelly
Ces derniers jours, de nombreux autres services de pédiatrie (urgences ou non) ont fait état de leurs difficultés. A l’hôpital général de Niort (Deux-Sèvres), le service de pédiatrie, le seul de ce type dans le département, implose. Selon un médecin, «la moitié de l’équipe est partie, épuisée par les gardes, aucun interne pédiatre de la région ne s’engage comme praticien hospitalier, et il y a trois demandes de disponibilités parmi les cinq pédiatres restants». L’urgentiste Christophe Prudhomme, délégué CGT à Paris, fait état fin juin d’un autre cas, celui de l’hôpital Robert-Debré, dans le XIXe arrondissement : «Ce matin, cinq infirmières au lieu de huit aux urgences pédiatriques. Aucune réaction de la direction interpellée par l’équipe, qui a dit clairement qu’elle ne pouvait assurer la sécurité des enfants dans ces conditions.» Et Christophe Prudhomme de lâcher, très inquiet : «Et l’été qui vient à peine de commencer…»
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