Les files de patients étendus sur des brancards constituent une surcharge de travail pour le personnel mais aussi un facteur aggravant de mortalité pour les malades. Ces services sont débordés parce que les autres acteurs du système de santé ne veulent ou ne peuvent plus faire.
Tribune. Si la ministre de la Santé a qualifié notre système de santé comme étant «à bout de souffle», il faut reconnaître que nos urgences hospitalières sont au bord de l’asphyxie. La grève du personnel paramédical illustre cet état inquiétant et le «No Bed Challenge» lancé depuis de nombreux mois par Samu et Urgences de France (1) doit être interprété comme un appel à l’aide désespéré. Les urgences sont débordées parce que les autres acteurs du système de santé ne veulent plus ou ne peuvent plus faire. C’est le dernier endroit où le patient perçoit encore une lumière «accueillante» 24 heures sur 24, mais pour combien de temps encore ?
Toutefois, le grand public, les politiques et les médias peinent à identifier où se situe la principale difficulté pour les services d’urgences hospitaliers. Quand bien même le nombre de consultations ait augmenté de 10 millions à plus de 20 millions par an en quelques années et que d’aucuns considèrent qu’une proportion notable (estimée raisonnablement à 30 %) pourrait bénéficier d’une prise en charge ambulatoire dans d’autres structures (si elles existaient), il ne s’agit pas du problème principal. Le problème le plus grave auquel doivent faire face les urgences hospitalières, c’est l’absence d’aval suffisant et sa conséquence immédiate, les longues files de patients couchés sur des lits brancards pendant de très nombreuses heures dans ce qu’il convient d’appeler «les couloirs de la honte».
Pourquoi ? Parce qu’il est largement prouvé que ces lits brancards sont associés à une augmentation de la morbidité et de la mortalité (2). Parce que ces patients sur des lits brancards constituent une surcharge de travail considérable pour le personnel paramédical et médical, notamment de poursuite de soins et de surveillance, les empêchant de faire face au flux incessant d’arrivée de nouveaux patients alors même qu’ils ne sont souvent pas en nombre suffisant pour gérer ce flux. Parce que la recherche de lits pour ces patients, travail d’un «Sisyphe malheureux» qui verrait l’ascension de son rocher constamment freinée, gâche une part importante de temps médical et paramédical. Parce que ces patients entassés dans des structures inadaptées, les couloirs, peuvent s’aggraver, renvoyant aux soignants un sentiment aigu de mal faire leur travail, quand ils ne sont pas cloués au pilori pour «défaut d’organisation».
Les lits brancards représentent, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, une manne financière non négligeable pour les établissements de santé. Ces patients ne relèvent pas, ou plus, de la médecine ambulatoire, ils requièrent une hospitalisation, et, d’ailleurs, il est bien connu que ces patients des urgences ont souvent besoin d’une hospitalisation plus prolongée que les patients dits programmés, expliquant entre autres leur faible attractivité pour les services d’avals. Les causes en sont multiples et parfaitement identifiées : restriction budgétaire de l’hôpital public, concurrence entre établissements, tarification à l’activité (T2A), virage ambulatoire décidé de manière technocratique et imposé aveuglément par l’outil budgétaire, vieillissement et précarisation de la population, proportion croissante de patients souffrant de maladies chroniques invalidantes, etc. Et le dispositif Copermo, qui impose, pour obtenir une participation de l’Etat à une restructuration des établissements pourtant indispensable, un virage ambulatoire, souvent irréaliste, laisse entrevoir des lendemains bien sombres.
Il s’agit du plus grand dysfonctionnement dont souffrent les urgences hospitalières et toutes les mesures de la loi «Ma santé 2020» soumise au vote ou celles qui seront proposées par la commission Mesnier-Carli auront un effet homéopathique si ce phénomène délétère n’est pas pris à bras-le-corps et de manière urgente, pour libérer, au moins un peu, le carcan qui asphyxie nos urgences hospitalières.L’objectif doit être «zéro lit brancard» dans le cadre de cet hôpital public rendu dysfonctionnel par les politiques de santé poursuivies depuis des décennies (3 et 4).
(2) «Association entre mortalité et attente aux urgences chez les adultes à hospitaliser pour étiologies médicales», de E. Thibon et al. in Annales françaises de médecine d’urgence, 2019.
(3) Hôpital : «Ce fut une erreur d’avoir pensé que le marché pouvait réguler l’offre de soins», d’Alexis Dussol. le Monde du 19 juin.
(4) La Casse du siècle, de Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent, éditions Raisons d’agir, 2019
Par Bruno Riou, Professeur, membre du Conseil national de l’urgence hospitalière (Cnuh).
Doyen de la faculté de médecine, Sorbonne-Université
Doyen de la faculté de médecine, Sorbonne-Université
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