L’ancienne ministre est chargée par Agnès Buzyn de revaloriser les métiers d’aides-soignants et d’infirmiers. Elle devra rendre son plan le 15 octobre.
C’est un nom dont la notoriété va donner un coup de projecteur sur un secteur en souffrance depuis des années. Myriam El Khomri s’est vue investie, mercredi 3 juillet, d’une « mission sur les métiers du grand âge » par Agnès Buzyn. « C’est une nouvelle étape, une étape majeure dans la réforme du grand âge et de l’autonomie que nous sommes en train de construire », s’est félicitée la ministre de la santé et des solidarités en installant la mission lors d’un colloque sur les innovations dans le secteur médico-social. « Travailler sur l’attractivité des métiers est une condition sine qua non de la réussite de toute réforme du grand âge. »
L’ancienne ministre du travail de François Hollande conduira cette mission « à titre bénévole », précise la lettre de mission que lui a remise Mme Buzyn.
« Je vous demande de proposer et de piloter un plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers », écrit la ministre des solidarités dans ce document que « Le Monde » s’est procuré.
Myriam El Khomri va ainsi apporter son concours à la réforme qu’Emmanuel Macron a promis d’engager pour une meilleure prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées. Cette promesse doit se traduire par un projet de loi « à la fin de l’année », a précisé le premier ministre Edouard Philippe le 12 juin. Celle-ci sera, selon lui, « un grand marqueur social de ce quinquennat. Peut-être un des plus importants ».
Celle qui a porté au Parlement la loi travail d’août 2016, en butte à une grande partie des syndicats et à l’aile gauche du Parti socialiste, était-elle la mieux placée pour accomplir cette mission ? « L’avantage avec le choix de Myriam El Khomri, c’est qu’elle n’aura pas besoin d’un apprentissage du dialogue social, puisqu’elle a déjà fait ses preuves sur un texte sacrément difficile ! », avance Olivier Véran, rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et député (La République en marche, LRM) de l’Isère.
Trois grandes directions
La question à laquelle va devoir répondre la nouvelle « Mme Métiers » n’est pas moins complexe. Comment remédier à la pénurie de personnels soignants auprès des personnes âgées, alors que ces métiers suscitent une profonde crise des vocations ?
Pour résoudre ce casse-tête, Mme El Khomri va pouvoir s’appuyer sur le rapport sur la « concertation grand âge et autonomie » remis par Dominique Libault, président du Haut Conseil au financement de la protection sociale, le 28 mars, à Agnès Buzyn, qui fournit déjà quelques pistes.
Alors que le secteur du grand âge emploie environ 850 000 personnes, il faudrait, selon ce rapport, créer entre 150 000 et 200 000 postes d’ici à 2030 du fait des départs à la retraite et du vieillissement de la population. Pour renforcer la présence auprès des personnes âgées et disposer de davantage de temps pour leur prodiguer des soins, le rapport Libault préconise de revaloriser les salaires des professionnels dans le secteur de l’aide à domicile. Il propose aussi une hausse de 25 % du taux d’encadrement en Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) d’ici à 2024 par rapport à 2015, soit 80 000 postes. Une dépense supplémentaire de 1,2 milliard d’euros.
La lettre de mission adressée à Mme El Khomri n’aborde toutefois pas la question de l’augmentation des effectifs dans les maisons de retraite. Elle ne mentionne pas non plus la question de la revalorisation salariale.
« Il m’apparaît urgent de restaurer l’attractivité des métiers du grand âge en donnant une priorité à l’amélioration des conditions d’exercice », écrit simplement Mme Buzyn.
Dans cette lettre, trois grandes directions sont privilégiées pour atteindre cet objectif. D’une part, trouver les solutions pour accroître les personnels diplômés en formation initiale ou continue. Un effort tout particulier devra être fait en faveur « de la revalorisation du métier d’aide-soignant dans les Ehpad », indique la lettre.
D’autre part, susciter l’intérêt pour les métiers du grand âge parmi les demandeurs d’emploi, leur proposer plus souvent de se former à ces métiers et encourager l’apprentissage. Enfin, la lettre de mission insiste sur la nécessité de « favoriser les parcours professionnels (…) aussi bien entre les différents métiers du grand âge qu’entre les établissements et les services à domicile ». La mission devra également travailler à améliorer la qualité de vie au travail et « réfléchir à une stratégie globale de communication pour valoriser les actions » engagées au profit des métiers du grand âge.
L’urgence de créer des métiers intermédiaires
Mme El Khomri devra fournir une première restitution de ses travaux le 16 septembre et rendre un plan de mobilisation définitif le 15 octobre. Elle va rencontrer les grandes fédérations d’employeurs du secteur, qui ont déjà fourbi leurs doléances et leurs propositions.
Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés (Synerpa), devrait insister sur l’urgence de créer de nouveaux métiers intermédiaires entre celui d’auxiliaire de vie, d’aide-soignante et d’infirmière. « Aujourd’hui, la marche à franchir d’un échelon à l’autre est trop haute pour de nombreux jeunes. Ce qui les dissuade de s’orienter dans ce secteur et contribue à la pénurie de candidats », explique la patronne du Synerpa.
Au passage,« ces nouveaux métiers impliquerait d’élargir la grille de rémunération des métiers existants et donc obligeraient à augmenter les salaires des aides-soignantes et des infirmières, financés par les crédits de l’Assurance-maladie », remarque-t-elle.
Hostile à la création de nouveaux métiers, La Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap) qui représente la plupart des Ehpad privés non lucratifs proposera en revanche de donner plus de responsabilités et de compétences aux métiers existants. « Une jeune femme aura d’autant plus envie de devenir aide-soignante ou infirmière qu’elle aura des tâches valorisantes et considérées. Ce qui suppose de créer des modules de certifications ou de spécialisations qu’elle pourra passer en formation continue », explique Antoine Perrin , directeur général de la Fehap.
L’ancienne ministre rencontrera également les syndicats. Dix organisations (notamment la CGT, FO, la CFDT, SUD, la CFTC, UNSA, FSU, Solidaires), alliées à l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), réclament « la création de deux postes dans les établissements et dans chaque service à domicile dès 2019, soit 40 000 postes ».
« La création immédiate de postes est la première condition pour rendre les métiers plus attractifs, car elle permettra de soulager la charge de travail en attendant des réformes de structure et des embauches plus importantes à terme », soutient Pascal Champvert, président de l’AD-PA. Ce scénario supposerait que l’Etat débloque des moyens financiers dès maintenant, avant le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui intervient à l’automne.
Arbitrages financiers
Une revendication que d’autres experts du secteur estiment irréaliste. Réclamer des crédits à tous crins pour des créations de postes tant que les candidats n’existent pas pour les pourvoir est illusoire, estiment-ils. « Faire de la question financière un préalable, c’est tuer d’emblée tout débat sur les verrous à faire sauter pour créer des postes », affirme Luc Broussy, spécialiste du vieillissement et président de la filière « silver économie ».
Le gouvernement semble plutôt acquis à la dernière analyse. Le 12 juin, Edouard Philippe a indiqué que « dès le prochain PFFSS, nous enclencherons une première étape, avec des mesures favorisant le maintien à domicile et des investissements dans les Ehpad ».
Mais, mardi, à la veille de l’installation de la mission El Khomri, le cabinet d’Agnès Buzyn ignorait tout des arbitrages financiers en cours à Bercy, qui sont traditionnellement tranchés à la mi-juillet au plus tard.
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