Encore trop souvent perçu comme la conséquence de défaillances éducatives, il s’agit en réalité d’un problème de neurodéveloppement. Seule une prise en charge adaptée peut en prévenir les complications telles que l’échec scolaire et professionnel ou les conduites à risque.
Le trouble dit « TDAH » associe, à des degrés divers, des problèmes d’attention, une impulsivité et une hyperactivité. YASMINE GATEAU
Une épidémie d’un trouble fourre-tout ; un problème d’éducation ; des enfants drogués à un médicament, le méthylphénidate – commercialisé sous le nom de Ritaline, Concerta, Quasym ou encore Medikinet. Les idées reçues sur le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ont la vie dure.
Au grand dam des parents et des spécialistes de ce trouble du neurodéveloppement, qui dénoncent, eux, des diagnostics et des prises en charge souvent trop tardifs, avec des conséquences parfois dévastatrices pour les jeunes et leurs familles.
Samedi 15 juin, ils étaient 360, parents, professionnels de santé et de l’éducation, réunis pour une journée de conférences et d’ateliers sur ce thème, organisée à Rennes par l’association TDAH Partout pareil. L’occasion de réaliser un tour d’horizon, en sept questions.
Quels sont les signes évocateurs de TDAH ?
Le TDAH associe, à des degrés divers, des troubles attentionnels, une impulsivité et une hyperactivité. « Le diagnostic n’est évoqué que lorsque ces symptômes entraînent une souffrance en milieu scolaire, social et/ou familial, insiste d’emblée Nathalie Franc, praticienne hospitalière en pédopsychiatrie au CHU de Montpellier. Il n’y a pas d’épidémie de TDAH, c’est une pathologie qui touche 5 % des enfants d’âge scolaire, un chiffre stable depuis trente ans. »
Peine à s’organiser, à mettre en place une routine, fautes d’étourderie, oublis, pertes, distractibilité… L’inattention s’accompagne de difficultés à accomplir un effort.
Peine à s’organiser, à mettre en place une routine, fautes d’étourderie, oublis, pertes, distractibilité… L’inattention s’accompagne de difficultés à accomplir un effort. « Ce sont des enfants qui peuvent mettre une heure pour s’atteler à des devoirs qui prennent cinq minutes », illustre la docteure Franc.
L’impulsivité correspond, elle, à un défaut d’inhibition sur le plan moteur et cognitif, se traduisant par des difficultés à attendre, une tendance à couper la parole, à finir les phrases des autres, etc. Des comportements qui peuvent être particulièrement problématiques en milieu scolaire.
Quant à l’hyperactivité, elle se manifeste par une agitation psychomotrice (impossibilité de rester assis longtemps, mouvements incessants…), mais aussi une logorrhée (flot de paroles). « L’hyperactivité est une composante facultative. D’ailleurs, on ne devrait plus qualifier le TDAH d’hyperactivité, car cela peut retarder le diagnostic », avertit Nathalie Franc.
Elément important, l’intensité des symptômes varie selon les moments. Ils sont majorés dans les situations monotones, demandant un effort intellectuel ou en présence de nombreux éléments distracteurs. Inversement, ils diminuent dans des contextes qui motivent l’enfant, en situation duelle et quand les comportements positifs sont renforcés par les adultes.
Classiquement, les garçons sont trois fois plus touchés que les filles. Mais plusieurs études suggèrent que la différence entre les sexes pourrait surtout s’expliquer, comme dans les troubles du spectre de l’autisme, par des symptômes moins sévères, plus intériorisés chez les filles, d’où un sous-diagnostic.
Comment le diagnostic est-il posé ?
Le diagnostic de TDAH est clinique et repose sur une analyse développementale, à partir de sources d’information diverses (parents, enfant, milieu scolaire…). Les examens neuropsychologiques et bilans des troubles des apprentissages donnent des compléments d’information utiles en termes de ressources cognitives et d’éventuels troubles associés.
Le TDAH fait partie des troubles du neurodéveloppement, qui comprennent aussi les troubles du spectre de l’autisme, des apprentissages (dyslexie, dyspraxie…), du développement intellectuel, etc.
Si l’imagerie cérébrale n’a pas d’intérêt diagnostique, elle est utile en recherche. « En IRM, plusieurs caractéristiques cérébrales du TDAH sont retrouvées, comme un retard de myélinisation, particulièrement au niveau du cortex préfrontal, structure-clé impliquée dans l’attention, les fonctions exécutives comme la planification, la flexibilité mentale, mais aussi l’inhibition des réactions impulsives, explique Clémence Cabelguen, psychiatre et chef de clinique au CHU de Nantes. Il y a aussi un retard de maturation corticale avec un moindre volume de substance grise. »
Surtout, poursuit la psychiatre, « en IRM fonctionnelle, on s’aperçoit que certaines zones s’activent très différemment pour des exercices similaires chez les patients avec TDAH comparativement à des patients témoins ».
Quels peuvent être les troubles associés ?
« Le TDAH “pur” est une exception, qui ne représente que 10 % à 20 % des cas, poursuit la docteure Franc. Par exemple, 30 % de ces enfants ont des troubles des apprentissages ou troubles “dys” [dyslexie, dyspraxie, dysphasie, dyscalculie] qu’il faut toujours rechercher par un bilan, au moment du diagnostic, puis plus tard si besoin. »
Troubles des apprentissages, mais aussi symptômes anxieux, voire anxio-dépressifs, troubles oppositionnels avec provocation, troubles du spectre autistique, addictions, personnalité antisociale, syndrome de Gilles de la Tourette… « De nombreux troubles peuvent accompagner le TDAH. Certains sont associés, d’autres en sont la conséquence. Par exemple, les addictions sont clairement des complications, tout comme la dépression », précise Jean-Baptiste Alexanian, psychiatre à Pont-l’Evêque (Calvados). Les troubles anxieux, eux, sont associés au TDAH, mais en sont aussi potentiellement une complication. « Il faut systématiquement les rechercher, car ils sont extrêmement fréquents et ont un impact négatif sur la qualité de vie, en particulier sur les apprentissages, poursuit le docteur Alexanian. La prise en charge des troubles anxieux, par des thérapies comportementales et cognitives, voire des antidépresseurs, permet de diminuer les symptômes du TDAH, au point qu’un traitement spécifique n’est parfois plus nécessaire. »
Ces comorbidités et complications sont aussi décrites chez les adultes TDAH et recouvrent en partie celles observées dans les troubles du spectre de l’autisme (TSA), autres troubles du neurodéveloppement avec lesquels ils partagent des facteurs génétiques.
Une étude menée à partir de registres norvégiens (publiée en ligne le 28 avril, dans la revue Biological Psychiatry) montre par exemple que les adultes TDAH ou autistes ont à peu près le même taux de troubles anxieux ou dépressifs, supérieur à celui de la population générale. L’association avec une schizophrénie est en revanche significativement plus fréquente chez les autistes que chez les TDAH. Ces derniers sont, eux, plus exposés à l’abus de substances ou à un comportement antisocial. « Au total, les comorbidités psychiatriques sont quatorze fois plus fréquentes chez les adultes avec un TSA et/ou un TDAH que dans la population générale, il faut absolument en tenir compte en pratique », insiste le docteur Alexanian.
A quoi les crises des enfants TDAH correspondent-elles ?
C’est souvent ce qui met le plus à mal les relations familiales : des crises de colère disproportionnées par rapport au contexte et à l’âge de l’enfant, avec agressivité verbale, physique. Pour la docteure Franc, ces épisodes explosifs ne sont cependant que la partie émergée de l’iceberg. « Dans deux tiers des cas, les enfants avec TDAH ont une dysrégulation des émotions, avec des difficultés autant pour gérer les émotions négatives (frustration, peur, tristesse…) que les émotions positives, explique-t-elle. Cette dimension émotionnelle, qui n’est d’ailleurs pas spécifique du TDAH, n’est souvent pas assez explorée. »
« Il y a une phase d’escalade, puis une phase de colère de vingt à trente minutes, où [l’enfant] n’est plus lui-même, et enfin un retour à la normale où il est épuisé et se sent souvent coupable. » Dr Nathalie Franc (CHU de Montpellier)
Les troubles de la gestion des émotions peuvent aussi se traduire par des comportements impulsifs inappropriés (automutilation, menaces suicidaires, bagarres…) ou encore par des crises « froides », avec comportement d’inhibition, mise en retrait.
« Normalement, les émotions, même fortes, passent rapidement, en quelques minutes. En cas de dysrégulation, elles peuvent s’accumuler jusqu’à l’explosion, souvent en fin de journée, explique la docteure Franc. Il y a alors une phase d’escalade, avec souvent les même signes chez un enfant donné, puis une phase de colère de vingt à trente minutes, où il n’est plus lui-même, et enfin un retour à la normale où il est épuisé et se sent souvent coupable. »
Dans le service de pédopsychiatrie du CHU de Montpellier, dirigé par la professeure Diane Purper-Ouakil, l’équipe propose aux familles des stratégies pour apprendre à gérer et à désamorcer les crises, notamment dans le cadre de programmes de guidance parentale. « En phase d’escalade, les parents peuvent encore intervenir. Lors de la phase de colère proprement dite, c’est trop tard. Il faut attendre que cela passe en limitant les dégâts et, si possible, en se mettant à distance, pour ne pas alimenter la crise », préconise Nathalie Franc.
Le travail de fond se fait surtout « à froid ». Les parents sont invités à encourager et aider l’enfant à exprimer ses émotions et à valider son ressenti émotionnel. Ils sont aussi incités à exprimer leurs propres émotions. L’enjeu est aussi d’acquérir de bons réflexes, en particulier en restant zen face aux débordements de l’enfant, et de prendre soin d’eux-mêmes. L’équipe de Montpellier propose également aux enfants un travail en groupe pour expérimenter des stratégies de décharge émotionnelle qui peuvent les aider à s’apaiser : taper dans un coussin, sauter…
Que sait-on des causes du TDAH ?
Trouble neurodéveloppemental, avec un retard de maturation de certains circuits cérébraux, le TDAH implique de multiples facteurs génétiques et environnementaux, avec des interactions entre eux.
« Chez les apparentés des enfants avec TDAH, le risque du trouble est multiplié par quatre pour ceux du premier degré, avec des symptômes plus ou moins invalidants dans une même famille », précise la docteure Franc. Parmi les facteurs génétiques associés au TDAH, certains sont fréquents dans la population générale et ont des effets faibles à l’échelle individuelle ; d’autres sont des variations rares avec des effets plus importants sur le développement. Certains sont également retrouvés dans d’autres troubles neurodéveloppementaux.
Parallèlement, les chercheurs ont mis en évidence de multiples facteurs de risque environnementaux : stress pré ou postnatal, exposition de la mère pendant la grossesse à différents toxiques (alcool, tabac, plomb, pesticides…) ; malnutrition pré ou postnatale ; prématurité… Mais le poids relatif de ces paramètres est variable chez un individu donné : le TDAH est un syndrome hétérogène du point de vue clinique et étiologique.
Quelles sont les prises en charge non médicamenteuses ?
Tous les spécialistes insistent sur ce point : la prise en charge ne doit pas se limiter aux symptômes du TDAH, mais intégrer celle des troubles associés : anxiété, dysrégulation émotionnelle, etc.
Les stratégies non médicamenteuses peuvent faire appel à diverses méthodes de psychothérapie et rééducation : psychothérapies comportementales et cognitives, approches de remédiation cognitive (qui visent à apprendre des stratégies pour compenser les troubles de l’attention, l’impulsivité…) ; psychomotricité ; aménagement de l’environnement de l’enfant, scolaire notamment…
« [Les parents avec un enfant TDAH connaissent] aussi la perte d’amis, les conflits avec la famille. Ils peuvent en arriver à des conduites d’évitement, voire d’éloignement de leur enfant. » Sébastien Henrard, neuropsychologue
Alors qu’ils font partie intégrante de la prise en charge du TDAH dans les pays anglo-saxons, les programmes de guidance parentale, dits aussi « programmes d’entraînement aux habiletés parentales » (PEHP), sont encore peu développés en France.
Le plus emblématique est le PEHP de Barkley, du nom du psychologue américain Russell Barkley, l’un des grands spécialistes du TDAH. « Ces programmes visent d’abord à aider les parents, qui sont souvent plus en souffrance que leur enfant. Mais il y a aussi des bénéfices pour l’enfant lui-même, parce que ses parents vont mieux », explique le neuropsychologue Sébastien Henrard, qui dirige le Centre de l’attention à Charleroi (Belgique). Pour ce spécialiste, le principe qui s’applique est le même que pour les masques à oxygène dans un avion : le parent doit d’abord s’en équiper avant de l’appliquer à son enfant.
De fait, les conséquences familiales du TDAH sont loin d’être négligeables. « Le taux de stress parental est plus élevé dans les familles avec un enfant TDAH que dans les autres, selon une méta-analyse de 2010, publiée dans le Journal of Emotional and Behavioral Disorders. Il y a aussi la perte d’amis, les conflits avec la famille. Ils peuvent en arriver à des conduites d’évitement, voire d’éloignement de leur enfant », énumère Sébastien Henrard. Tout ce contexte favorise des pratiques éducatives inadaptées, avec, par exemple, des tentatives de serrer la vis pour contrer les oppositions, qui, in fine, renforcent les comportements négatifs, décrypte le neuropsychologue.
Le programme de Barkley, qui se pratique en groupe, comporte dix séances espacées de deux semaines. Il est aussi décliné sous forme de stages intensifs, lors d’un week-end.
Les parents apprennent d’abord les notions de base sur le TDAH, puis chaque séance est consacrée à un thème, qui doit être mis en application au fur et à mesure : renforcer les comportements positifs de l’enfant, reprendre du plaisir en sa présence, apprendre à donner des ordres simples…
« Attention, ces approches ne sont pas indiquées si les parents sont en burn-out ou si le cas de l’enfant est très sévère », prévient Sébastien Henrard. Dans les situations particulièrement difficiles, où le comportement de l’enfant confine à la tyrannie, les parents peuvent se former à d’autres stratégies, comme la « résistance non violente », enseignée principalement au CHU de Montpellier. L’équipe de la professeure Diane Purper-Ouakil, très impliquée dans l’accompagnement des parents, a aussi mis en place le programme « Incredible Years » pour les parents de jeunes enfants (3 à 6 ans) avec troubles du comportement, qu’ils aient ou non un diagnostic de TDAH.
Quand faut-il traiter par méthylphénidate ?
Le méthylphénidate (Ritaline, Concerta, Medikinet, Quasym), un psychostimulant, est indiqué entre 6 et 18 ans quand les stratégies non médicamenteuses se révèlent insuffisantes. C’est le seul traitement à disposer d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France pour le TDAH. S’agissant d’une molécule apparentée aux amphétamines, sa prescription est très encadrée, comme celle des stupéfiants. Ce médicament fait l’objet d’un suivi national de pharmacovigilance et d’addictovigilance par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Dans un rapport daté d’avril 2017, l’ANSM constate une progression régulière des ventes en France, entre 2008 et 2014, avec environ 49 000 utilisateurs en 2014. L’agence estime cependant que l’utilisation « reste faible en comparaison d’autres pays européens et de la prévalence du TDAH ». Depuis, les prescriptions continuent à augmenter (notamment chez l’adulte, pour lesquels ce médicament n’a pas d’AMM), sans nouveau risque de pharmacovigilance identifié.
Malgré cet encadrement très strict, le méthylphénidate souffre encore de sa mauvaise réputation, propagée par des personnes hostiles à ce qu’elles nomment la « pilule de l’obéissance », ou encore la « drogue des enfants ».
Certaines familles se sentent montrées du doigt, car, pour le grand public, les manifestations du TDAH sont encore perçues comme des défaillances éducatives. « Or, un traitement bien adapté et bien suivi permet d’obtenir des améliorations significatives en termes de symptômes et de qualité de vie sociale, familiale et scolaire ou professionnelle, souligne la docteure Franc. Comme la persistance de symptômes de TDAH invalidants est un facteur de risque de complications (dont l’échec scolaire, l’isolement social, les conduites à risque, les accidents), l’absence de reconnaissance du trouble et de soins appropriés est une perte de chance majeure pour les personnes concernées. »
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